Dans la page financière de L'Action Catholique du 13 octobre, M. Roger Vézina, analysant le dernier bilan financier des Maisons du Trésor de l'Alberta, signale l'excédent des dépenses sur les recettes : un déficit de $234,471, qui, ajouté aux déficits des années précédentes, forme un total de $2,046,657.
Il en conclut que les Maisons du Trésor, au lieu d'être un actif pour l'Alberta, sont un passif : "Un réseau de Maisons du Trésor est la plus aléatoire, la plus dangereuse et la plus risquée des réformes monétaires que l'on puisse souhaiter et préconiser pour une province".
Il termine en écrivant :
"Nous croyons parfaitement justifié de conclure à l'inutilité des Maisons du Trésor pour la province de Québec."
M. Vézina place les maisons du Trésor sur un plan faux et leur attribue une fonction qu'elles n'ont pas ; d'où son jugement.
Les Maisons du Trésor n'ont pas été instituées pour effectuer des opérations financières rapportant un profit direct au Trésor de la Province — pas plus qu'un Trésor provincial n'existe pour des placements et des profits. En Alberta, comme ailleurs, le Trésor Provincial paie les dépenses de la province à même les sommes prélevées du public par les taxes.
Pour savoir si les Maisons du Trésor sont un actif ou un passif pour la Province, il serait plus juste de poser deux questions, l'une concernant les administrés, l'autre concernant les administrateurs de la chose publique :
1. — Les citoyens de l'Alberta tirent-ils avantage du système des Maisons du Trésor ?
2. — Du fait de l'existence des Maisons du Trésor, le Trésor provincial perçoit-il plus de revenus sans que les taxes pèsent plus lourdement sur les citoyens ?
Les Maisons du Trésor, en effet, sont un service provincial placé à la disposition des citoyens qui veulent s'en servir, — Tout comme le réseau routier est un service provincial placé à la disposition des citoyens qui veulent s'en servir.
A-t-on jamais entendu cette réflexion : "Les routes ont coûté à la province 3½ millions cette année, 3 millions l'an dernier, 2½ millions il y a deux ans. Cela fait un total de 9 millions que les citoyens ont dû solder. C'est un déficit pour la province ; supprimons le réseau routier."
Il faudrait plutôt se demander :
1. — Les citoyens tirent-ils avantage de leur réseau routier ?
2. — Le réseau routier permet-il au gouvernement d'obtenir plus de revenus pour l'administration, sans peser plus lourdement sur les citoyens, que si le pays était dépourvu de routes ?
Le gouvernement ne tire pas son argent, ses taxes, de l'administration des routes ; il n'y a là que dépenses. Il tire ses taxes des activités économiques des citoyens, et celles-ci sont stimulées par un bon système de voies de transport.
Le système des Maisons du Trésor n'est pas une banque provinciale, même s'il peut aider le gouvernement et les citoyens à s'affranchir de la dépendance envers les banques.
C'est un mécanisme pour permettre aux citoyens de l'Alberta qui le désirent de développer l'économie interne de la province, et d'augmenter proportionnellement le pouvoir d'achat des participants, sans pour cela créer de dette nulle part.
Si les Maisons du Trésor font cela, et dans la mesure où elles le font, elles introduisent une fonction nouvelle dans l'économie interne de la province. Cette fonction remplace dans la même mesure la fonction, usurpée par les banques, de l'expansion monétaire, et viciée par elles en l'accompagnant d'un accroissement de dette.
En tendant à rendre à la société une prérogative accaparée par des banques à profit, les Maisons du Trésor ne constituent pas pour cela un système bancaire, mais plutôt un correctif au système bancaire.
Il est absolument déplacé de mettre en comparaison, comme le fait M. Vézina dans ses conclusions 5 et 6, les Maisons du Trésor et les Caisses Populaires. Ce sont deux institutions d'ordre tout à fait différent, parce que d'un objectif spécifique tout à fait différent.
En Alberta, les deux institutions existent. Les Caisses Populaires sont établies librement par des groupes de citoyens, là-bas comme chez-nous, en se prévalant d'une loi provinciale qui, en Alberta, a été adoptée sous le gouvernement d'Aberhart, sous le même gouvernement qui a institué les Maisons du Trésor.
La fonction propre des Caisses Populaires est de faire profiter à la communauté les épargnes des citoyens de la communauté.
La fonction propre des Maisons du Trésor est de faire profiter à la communauté les dépenses des citoyens de la communauté.
Les Caisses Populaires rendent profitable l'argent épargné. Les Maisons du Trésor rendent profitable l'argent dépensé.
Les Caisses Populaires favorisent la prospérité générale en fournissant des capitaux pour augmenter les moyens de production. Les Maisons du Trésor favorisent la prospérité générale en augmentant le pouvoir d'achat des consommateurs pour acheter la production augmentée, sans endetter personne.
Les Caisses Populaires mettent de la production nouvelle en marche par des placements productifs. Les Maisons du Trésor maintiennent cette production augmentée en facilitant son écoulement.
Les Maisons du Trésor existent spécifiquement pour permettre du crédit gratuit à la consommation, lorsque la production est prête à y répondre et que consommateurs et producteurs conviennent d'employer et accepter ce crédit d'origine provinciale, au lieu de s'en tenir exclusivement à l'argent-dette du système bancaire.
Il est vrai que les Maisons du Trésor acceptent aussi les épargnes des citoyens qui veulent les confier à ces Maisons, et elles paient sur ces épargnes un intérêt fixe, comme les banques. Sous ce rapport, les Caisses Populaires sont plus profitables ; et dans les localités où il y a des Caisses Populaires bien établies, c'est aux citoyens d'être assez intelligents pour leur donner la préférence.
S'il y avait une Maison du Trésor dans ma ville, j'y porterais l'argent que je veux dépenser, et je porterais à la Caisse Populaire l'argent que je veux épargner.
Mais ce déficit de $234,471 n'est-il pas un poids pour la province ?
C'est la somme nette que la province paie pour entretenir le service des Maisons du Trésor.
Si le système n'apportait pas à la province, aux citoyens comme au gouvernement lui-même, des avantages bien supérieurs aux frais qu'il coûte, croit-on qu'un gouvernement intelligent continuerait à en souffrir la charge ? Croit-on que la population aurait réélu deux fois, par une majorité écrasante, un gouvernement qui répéterait chaque année une dépense inutile ?
Le Trésor de l'Alberta, comme celui des autres provinces, est obligé de fournir les argents nécessaires aux divers départements de l'administration provinciale. Croit-on qu'il rendrait sa tâche plus difficile en maintenant des succursales qui l'appauvriraient au lieu de l'enrichir ?
Si, depuis que le système existe, le gouvernement albertain a pu, sans emprunter un sou des banques et sans établir des taxes nouvelles, augmenter ses services sociaux et ses travaux publics, c'est qu'il est tombé plus d'argent dans le Trésor. C'est donc que les activités économiques de la province ont augmenté le revenu général. Le gouvernement est à même de s'en apercevoir, et les citoyens aussi : sans se saigner plus, ils obtiennent davantage.
Il est exact de dire que cette somme de $234,471 est payée par les contribuables de la province, même par ceux qui ne se servent pas des Maisons du Trésor et n'en tirent donc pas de bonis. Mais il faut également dire que tous les citoyens de la province, même ceux qui ne collaborent pas au système, tirent des avantages des améliorations générales apportées à l'économie provinciale grâce au système. Même les adversaires qui essaient de le saboter en tirent des avantages, puisque la province est plus prospère et les services publics meilleurs.
Quant au Trésor lui-même, il débourse ces $234,471 ; mais d'autre part, il reçoit, par d'autres voies, bien des fois $234,471 qu'il ne percevrait pas si l'économie était stagnante ou si elle ne pouvait se développer qu'à coups d'endettement.
La somme de $75,780, distribuée en bonis aux acheteurs l'an dernier, peut paraître petite. N'oublions pas qu'elle constitue une augmentation de circulation monétaire qui n'est point condamnée à disparaître au bout d'un temps déterminé, comme les émissions bancaires. C'est une expansion Monétaire destinée à demeurer, et c'est ce qui produit son efficacité.
Pour être saine, cette expansion monétaire ne peut être que proportionnée à l'expansion de la production. Elle doit diminuer ou même être suspendue lorsque, par suite des restrictions de guerre et autres imposées par le fédéral, la production vendable cesse d'augmenter.
Si les Maisons du Trésor continuaient à donner des bonis quand la production est statique, elles auraient tort. Elles tomberaient alors dans le défaut du système bancaire, qui augmente l'argent en face de la destruction des produits comme pendant la guerre, alors qu'il supprime l'argent en face d'une production qui s'accumule ou attend comme pendant la crise.
M. Vézina est mal inspiré de condamner les Maisons du Trésor, sous prétexte que le système ne fait pas encore le dixième des transactions financières dans la province.
Le réseau des Maisons du Trésor ne date que d'hier et a trouvé sur les lieux un système d'exploitation bien ancré, avec des chaînes solidement rivées sur toute la vie économique de la province.
Sous prétexte que le géant domine encore, faut-il discréditer le nouveau venu qui cherche à lui ôter ses armes ? Sous prétexte qu'un enfant ne fait pas encore le travail d'un homme, faut-il le condamner à mort ?
D'ailleurs, l'établissement des Maisons du Trésor n'avait point pour but de déplacer les institutions actuelles d'épargnes, de prêts et de placements. Il remplit plutôt une fonction supplétive et correctrice. Il comble une lacune. Le système peut éventuellement — pas tout d'un coup — arriver à remplacer complètement l'expansion monétaire faite actuellement par les banques sous forme de dette, par une expansion monétaire provinciale sous forme de cadeaux (bonis ou dividendes) aux consommateurs. Le système en est intrinsèquement capable, mais il y faut du temps. On peut voir très clairement l'objectif, mais il faut aussi tenir compte du point d'où l'on part.
Il y aurait tout un chapitre à écrire sur cet aspect des Maisons du Trésor ; il ne peut trouver place ici aujourd'hui. Nous y reviendrons.