Tout gouvernement a besoin d'argent pour administrer. Il ne peut ni construire un tronçon de route pour le public, ni accorder un moindre octroi à des entreprises qui en méritent, ni payer un seul fonctionnaire, sans avoir de l'argent dans son Trésor.
Le gouvernement de M. Duplessis le sait aussi bien que le gouvernement qui l'a précédé. Et c'est pourquoi, s'il parle de supprimer une taxe impopulaire, comme l'est la taxe de vente, il cherche immédiatement le moyen de la remplacer par une autre taxe, comme la taxe de luxe qui, malheureusement pour le gouvernement, s'est démontrée aussi impopulaire et a fini par être guillotinée avant d'être promulguée. Devant l'impossibilité d'établir une taxe de luxe, le gouvernement est forcé de maintenir la taxe de vente.
Les citoyens eux-mêmes veulent des services publics et s'adressent au gouvernement pour les avoir. Mais ces services requièrent des hommes et du matériel. Les hommes et le matériel employés aux services publics ne peuvent être en même temps employés à la production de biens pour la consommation privée. Ceux qui sont à la disposition de l'entreprise publique ne peuvent pas être en même temps à la disposition de l'entreprise privée.
C'est au public à dire à son gouvernement, par l'entremise de ses députés en parlement, s'il est prêt à se passer d'une certaine quantité de production pour usage privé, afin d'avoir, à sa place, une production pour usage public.
Et puisque c'est le public qui consomme socialement les services publics, c'est au public de les payer. D'où les taxes.
Les taxes sont des sommes prélevées aux citoyens. Ces sommes sont autant de moins laissé entre les mains des citoyens pour payer la consommation privée, et autant de plus entre les mains du gouvernement pour payer la consommation publique. Encore une fois, en démocratie, c'est aux citoyens eux-mêmes à décider de la proportion à enlever à la consommation privée pour accorder à la consommation publique.
Dans un pays qui, comme le Canada, comme la province de Québec, a de l'abondance à revendre, il devrait être facile de soustraire à cette production surabondante, offerte à la consommation privée, une quantité suffisante pour augmenter la consommation publique. Puisqu'il y a tellement de surabondance qu'on cherche des débouchés hors du pays, il devrait être facile, sans priver personne, de faire moins de surabondance pour les étrangers et de la remplacer par des biens publics pour les gens du pays.
Mais pour cela, vu que les services publics sont payés en argent, il faudrait que l'argent corresponde à l'abondance et à la surabondance de production.
S'il y avait entre les mains des citoyens une surabondance d'argent, comme il y a une surabondance de production offerte, le prélèvement par les taxes ne les mortifierait pas, puisqu'il serait pris à même une surabondance d'argent.
Ce n'est pas le cas, hélas ! et c'est pourquoi il y a tant de résistance devant les taxes.
Voici un homme dont le revenu annuel est de $1,000. Si le gouvernement en prend $100., cela lui fait mal ; il n'en garde que $900. Il était serré à $1,000., il l'est encore bien plus à $900., et il est bien porté dans ce temps-là à mésestimer les services publics que ses $100. de taxes contribuent à payer ; manquant de l'essentiel dans sa maison, les services de la route et autres ne lui disent pas grand'chose.
Supposons maintenant que, par une méthode quelconque, par des moyens quelconques, le revenu de cet homme, au lieu d'être $1,000., devient $2,000. Si le gouvernement continue à prendre pour les services publics le dixième du revenu, il va prendre à cet homme $200. au lieu de $100. Mais l'homme va garder $1,800., tandis qu'auparavant il ne gardait que $900. Tout de suite, le gouvernement a deux fois plus de revenu pour la consommation publique, et l'homme aussi a deux fois plus de revenu pour la consommation privée. Les deux sont très satisfaits.
Le souci conjoint du gouvernement et des citoyens devrait donc être surtout d'augmenter le revenu des citoyens. Tous y gagneraient, et les citoyens et le gouvernement.
Et si cette augmentation de revenu est faite de façon à financer le marché domestique au niveau de la production domestique, ce sont les habitants du pays qui en profitent, et non pas les étrangers ; c'est la production domestique qui prend son essor, parce qu'elle se trouve financée par les consommateurs domestiques.
C'est là justement le premier effet à attendre d'une institution comme les Maisons du Trésor, que nous avons déjà expliqué maintes fois dans ce journal.
Par le système des Maisons du Trésor, le trésorier provincial augmente graduellement le pouvoir d'achat domestique à mesure que la production domestique ainsi encouragée met plus de produits devant les consommateurs. En même temps, le gouvernement, sans augmenter le pourcentage de ses taxes, augmente tout de même, aussi graduellement, le revenu des taxes ; il peut donner plus de services publics sans mécontenter des contribuables qui peuvent simultanément augmenter leur consommation privée.
Comptez toutes les énergies et tout le temps consacrés par le gouvernement Duplessis à passer une loi pour décréter l'abolition de la taxe de vente de 2%, puis pour chercher une autre source de taxe plus lourde sur des articles moins nombreux. Le tout pour aboutir à un fiasco qui est une défaite monumentale pour le gouvernement et qui nous ramène exactement au même point. Puis, dites-nous s'il n'aurait pas mieux fait d'employer ce temps et cette énergie à établir et promouvoir un système de Maison du Trésor pour augmenter le revenu des citoyens. Sans abolir la taxe de 2 pour cent, si les ventes étaient doublées, la taxe serait doublée, mais ce qui entrerait dans les maisons serait aussi doublé.
Évidemment, les Maisons du Trésor ne doubleraient pas de sitôt le revenu des citoyens ; mais elles commenceraient immédiatement à l'augmenter, dans la mesure où, par leurs achats préférentiels de produits de la province, ils activeraient la production de la province.
Nous croyons donc que, dans le domaine provincial au moins, les Créditistes devront mettre plus d'énergies à réclamer les Maisons du Trésor qu'à réclamer la suppression des taxes. Sous notre régime, la suppression d'une taxe ne peut signifier que deux choses : soit son changement pour une autre taxe, soit la diminution d'un service public. (Nous supposons Évidemment une administration honnête, dans laquelle les taxes sont intégralement au service du public).
Quant aux Maisons du Trésor, elles ne transportent point les charges publiques d'une personne à une autre ; elles ne diminuent point non plus les services publics. Bien au contraire, elles permettent à la fois plus de biens publics et plus de biens privés, tant que la capacité maximum de production de la province n'est pas épuisée.
On connaît déjà l'immense capacité de production de la province, manifestée dans les annonces de toutes sortes, dans la concurrence des marchands à augmenter leur clientèle, dans les activités des hommes d'affaires et des gouvernements pour trouver des acheteurs loin du pays.
Cette capacité de production ne peut être qu'augmentée par le retour au foyer des dizaines de mille jeunes gens enlevés à la production pour les œuvres de destruction. Elle ne peut être qu'augmentée, aussi, et considérablement, par l'application dans l'industrie de paix de l'énorme production mécanique employée depuis plus de cinq ans dans l'industrie de guerre. Puis la science, les inventions, les laboratoires, les cerveaux qui ajoutent sans cesse des acquisitions aux acquisitions reçues des devanciers, tout cela nous promet une abondance possible presque illimitée.
Il est grand temps que le gouvernement prenne le moyen d'établir le pouvoir d'achat global selon le baromètre de la production ; puis, qu'il fasse les augmentations nécessaires de pouvoir d'achat entre les mains des acheteurs, du côté des familles, et non plus du côté des monopoles bien cotés près des banques pour leurs emprunts.
Le crédit social appliqué au fédéral y verrait. À ce défaut, les Maisons du Trésor peuvent le faire efficacement dans les limites de la province.
Réclamons de toutes nos forces les Maisons du Trésor.