L'exemple de travaux publics sans taxes, qui va suivre, suppose l'existence d'un système de finance conforme aux réalités, un système de Crédit Social, avec les émissions et les cancellations de crédit-argent d'après les faits, avec la distribution périodique d'un dividende à tous et à chacun, avec l'ajustement compensé des prix. Il faut donc se situer en esprit dans une économie créditiste complète, si l'on veut comprendre le fonctionnement d'une finance publique sans taxes.
Des travaux publics sans taxes, un pont construit sans taxes : ce n'est pas sous le régime financier actuel qu'il faut chercher cela. Sous le présent système, la finance commande, conditionne, limite et camisole les réalités.
Mais, sous un régime de Crédit Social, la finance n'est plus rien que la représentation comptable des réalités. On produit, et on exprime en crédit la valeur de ce qui est produit. On détruit, et on exprime en débit la valeur de ce qui est détruit.
La question, « Est-on capable de payer ? », ou bien « Comment va-t-on faire pour payer ? », ne se pose plus.
Un pont est-il demandé par la communauté, la seule question considérée sera : « Est-on capable de construire ce pont ? »
Être capable, cela veut dire : avoir le matériel, les techniciens, la main-d'œuvre, pour réaliser le projet.
S'il s'agit d'une entreprise provinciale, c'est au Ministre des Travaux Publics de soumettre le projet au Parlement provincial. Le Parlement l'approuve ou le refuse, ou le remet à plus tard, au nom de la communauté. Pour prendre cette décision, le Parlement n'entre dans aucune considération financière. Il examine seulement si le projet répond au désir de la population, et si les possibilités physiques de la province le permettent.
Le pont peut certainement être évalué, d'après les devis, d'après la qualité du matériel requis, d'après ce qu'il faudra y consacrer de matériel et de travail. Mais il n'y a pas besoin d'un seul dollar en main pour évaluer une chose, pour en mesurer la valeur.
La construction du pont pourra très sagement être confiée au plus bas soumissionnaire s'il est compétent. Considérant, en effet, la finance comme le reflet des réalités, un prix moindre signifie moins de consommation de matériel, de temps, d'énergie. Or, un pays s'enrichit d'autant plus qu'il obtient un maximum de biens finis avec un minimum de matière première.
C'est, disons, l'entrepreneur Gabriel Larouche qui obtient le contrat pour la construction du pont projeté. Il exige $500,000.
Où le gouvernement va-t-il prendre les $500,000 pour payer M. Larouche ? — Le gouvernement n'a pas à se tracasser de cela. La finance n'est pas une affaire d'administration, c'est une simple affaire de comptabilité.
Le fonctionnement d'un système financier créditiste présuppose l'établissement d'un organisme comptable à cette fin.
Appelons cet organisme l'Office du Crédit Provincial, puisqu'il est question de finance publique provinciale. Le bureau-chef est à Québec. Mais l'Office a un réseau de succursales, disposé selon les besoins. Un peu comme les banques, avec leur bureau-chef et leurs succursales et agences.
Les succursales de l'Office provincial de crédit traitent avec les producteurs et commerçants locaux, et transmettent leurs rapports au bureau-chef. Tout comme les banques avec leurs clients.
Qui va nommer les comptables à la tête du système ? — Le gouvernement provincial, puisqu'il s'agit d'un organisme provincial. La nomination ne peut pas venir d'ailleurs. Mais une fois les commissaires choisis, le gouvernement n'a pas à s'ingérer dans leurs opérations.
Le gouvernement, au nom de la communauté, pose les objectifs. Ils sont déterminés dans la législation créant l'Office. Mais c'est aux comptables à effectuer les opérations voulues, dans la ligne de ces objectifs, et en fonction des faits de la production et de la consommation, de la richesse qui naît et de la richesse qui disparaît.
Un peu comme pour le système judiciaire. Le gouvernement fait des lois. Le gouvernement nomme les juges. Mais il n'intervient pas dans les jugements des juges. Les juges sont liés seulement par la loi (qu'ils n'ont pas faite) et par les faits (qu'ils n'ont pas posés). Ils peuvent même juger contre le gouvernement qui les a nommés.
Ainsi feraient les comptables de l'Office de Crédit. Ils ne dicteraient ni quoi produire, ni quoi consommer, mais enregistreraient simplement les résultats. Puis, de ces résultats, œuvre de citoyens libres, les comptables déduiraient mathématiquement les conséquences, en fonction du but tracé par la législation établissant l'Office, qui peut s'exprimer ainsi :
1. Créer et canceller l'argent-crédit, en rapport avec la production et la disparition de richesse ; 2. Créditer périodiquement chaque citoyen d'un dividende lui garantissant une part des biens de son pays ; 3. Ajuster périodiquement les prix à payer par les acheteurs au détail, selon le rapport de la consommation globale à la production globale d'une période à l'autre.
Pour en revenir au pont : ce n'est donc pas l'Office du Crédit Provincial qui décide si un pont doit être construit ou non, ni à quel prix. Mais c'est lui, et non pas le gouvernement, qui est chargé de voir à financer le pont, à mesure qu'il se bâtit, puisque, sous le système considéré, la finance n'est que comptabilité.
L'entrepreneur du pont, M. Larouche, peut avoir en main les fonds nécessaires pour payer factures et salaires tout au long de l'entreprise. Dans ce cas, il recevra son paiement total, $500,000, lorsqu'il livrera le pont terminé. Mais il peut aussi fort bien avoir besoin d'avances de crédit, pour rencontrer ses paiements de matériel et de main-d'œuvre. Dans ce cas, rien de plus simple. Il recourt à l'Office du Crédit. Supposons que M. Larouche reçoive une livraison de ciment, de bois, d'acier, pour un montant de $25,000. Il n'a qu'à présenter ces factures à l'Office du Crédit. Les factures attestent l'existence d'une richesse, richesse produite puisqu'elle est même livrée. L'Office n'a pas à faire lui-même l'évaluation du matériel. Il constate les factures, et crée le crédit correspondant basé sur cette richesse : $25,000. Il avance ce crédit à M. Larouche, qui s'en sert pour payer les producteurs de la richesse.
C'est, en fait, un prêt sur demande, fait à M. Larouche ; mais un prêt sans autres gages que la richesse produite, et sans intérêt. Pourquoi exigerait-on de l'intérêt ? Quel sens y a-t-il à charger une amende à ceux qui produisent de la richesse ?
M. Larouche peut se faire ainsi avancer, à mesure que le pont se bâtit, les crédits nécessaires, jusqu'à concurrence de $500,000.
Supposons qu'au total, M. Larouche a obtenu des avances pour la somme de $225,000. Quand et comment va-t-il rembourser ?
Lorsque le pont est terminé, M. Larouche le fait approuver par le ministre des Travaux Publics. L'inspection faite et le pont approuvé, le ministre donne à M. Larouche un certificat, attestant qu'il a livré à la province un pont de $500,000.
M. Larouche présente ce certificat à l'Office du Crédit.
L'Office du Crédit, au nom de la Communauté qui a reçu le pont, donne à M. Larouche :
1— Quittance pour les $225,000 avancés ;
2— Un crédit-argent de $275,000 pour compléter le prix du pont.
L'Office du Crédit Provincial inscrit à l'actif de la province la somme de $500,000, représentant la richesse nouvelle : le pont.
D'autre part, il a été mis en circulation, par l'entrepreneur, à lui-même (son profit), au personnel qu'il a employé (salaires), aux fournisseurs (matériaux), un total de $500,000, qui constitue une créance sur la production de la communauté. C'est le passif en contre-partie de l'actif.
Si aucun d'eux ne se servait de cet argent, il y aurait simplement une richesse de plus dans la province, sans avoir rien changé par ailleurs.
Mais, évidemment, cet argent, au moins en bonne partie, est utilisé. Il sert à acheter de la nourriture, des habits, des chaussures ; à payer du logement, du transport, des remèdes, etc.
Tous ces achats constituent une consommation, une destruction des richesses produites.
Mais ces achats ont aussi pour effet de provoquer plus de production. L'agriculture et l'industrie peuvent augmenter leur production, tant qu'elles ne sont pas rendues à leur maximum.
Or, il n'y a pas besoin d'une longue investigation pour découvrir qu'une partie considérable de la productivité est aujourd'hui inutilisée, ou gaspillée, ou chevauche inutilement d'autre production et d'autres services.
En supposant que l'augmentation provoquée par les crédits émis pour le pont suffise, à elle seule, à répondre à la demande augmentée, le pont sera payé par cette augmentation de production elle-même.
Le pont, en effet, aura été payé en réalité par le travail de ses constructeurs. Et ses constructeurs auront été payés en réalité par la production augmentée de la communauté. La communauté aura acquitté son pont en travail, en produits, en services, sans avoir eu à se priver ou à diminuer son niveau de vie par ailleurs.
Dans le cas contraire, où la consommation, financée par les $500,000, augmenterait sans que la production augmente, la consommation deviendrait plus forte par rapport à la production. Le résultat serait une hausse du prix ajusté. Les acheteurs obtiendraient moins de produits pour leur argent. Ce serait l'équivalent, après coup, d'une taxe sur le niveau de vie des citoyens. Il est probable que le résultat se situerait quelque part entre ces deux extrêmes. Mais, dans n'importe lequel des cas, les consommateurs, de par l'ajustement du prix, obtiennent globalement toute la production offerte à leurs besoins. Et dans tous les cas aussi, chaque citoyen demeure assuré d'une part de la production disponible, par son dividende. Il faut envisager le système dans son ensemble, pour comprendre qu'il sauvegarde à la fois les droits de chaque personne et les aspirations de la communauté, tout en reflétant exactement les faits de la production et de la destruction de richesse, tant publique que privée.