À travers des portes closes

le samedi, 15 décembre 1945. Dans La politique

C'est dans le local 497 de l'Hôtel du Gouverne­ment à Ottawa que s'est tenu du 26 au 29 novem­bre dernier la Conférence interprovinciale. C'est là que délibérèrent à huis-clos les neuf premiers-ministres provinciaux avec les Hon. King, St-Laurent, Ilsley et Howe.

Le local 497 a souvent été le siège des caucus du parti libéral. Dans cet appartement, où d'habitu­de il dirige des débats, le chef libéral se sentait probablement plus d'aplomb pour s'adresser aux premiers-ministres convoqués par lui.

D'ailleurs, il avait besoin de cet aplomb. N'était-ce pas son intention de voir les gouvernements provinciaux renoncer à leurs prérogatives ? Quand on veut dérober des droits, ne faut-il pas s'imposer aux intéressés ?

M. King avait besoin de cet aplomb aussi s'il faut en croire certains rapports de journaux. Évidemment, rien d'officiel n'est sorti sur la tournure qu'ont prises les discussions. Ceux qui y partici­paient semblaient obéir à une consigne sévère.

Après chacune des réunions, on pouvait voir une vingtaine de journalistes entourer M. King. Ce dernier les accueillait toujours avec la même formule : "Increasingly interesting". "Very profit­able meeting". Puis, chacun des autres premiers-ministres recevaient un flot de questions aux­quelles ils répondaient vaguement. Aucune préci­sion sur l'attitude qu'ils venaient de prendre, au­cune sur celle qu'ils entendaient prendre.

Seul, au début, M. Hart, premier-ministre de la Colombie-Britannique, a fait une déclaration officielle. Sa province entendait obtenir certains amendements aux propositions fédérales. Son op­position n'en était pas une de principes. Il désirait plus d'avantages immédiats pour sa province.

Quant à l'attitude des autres premiers-ministres, les journaux ont laissé transpirer des rumeurs qui n'ont pas été démenties.

Les journalistes ont plus d'un tour dans leur sac. Ils ont pu obtenir des informations non-officielles ; ils ont pu en imaginer d'autres qui étaient dans la note juste.

Ainsi, d'aucuns ont prétendu que l'Hon. Du­plessis a fait valoir son attachement à l'autonomie provinciale. Le peuple de la Province de Québec aurait été surpris du contraire. Comment M. Du­plessis pourrait-il renoncer aux beaux principes énoncés par lui et ses collaborateurs sur cette ques­tion. Toutefois, il semble évident que M. Duples­sis s'est rendu à Ottawa sans y apporter aucun mémoire sur les contre-propositions qu'il avait à présenter. C'est même le seul qui était ainsi les mains vides.

On a dit aussi que Drew avait pris une position autonomiste. Ce premier-ministre conservateur n'aurait pas l'intention de céder de ces droits à un gouvernement fédéral libéral.

D'après d'autres avancés, McDonald (Nouvelle-Écosse) a soutenu les droits de sa province avec énergie. Son attitude aurait bien surpris Ot­tawa. M. McDonald était autrefois Ministre de la Marine dans le Cabinet fédéral. La position qu'il aurait prise s'appuierait sur la politique autono­miste qu'a toujours affichée sa province, et non sur ses anciennes amitiés d'Ottawa.

Il était aussi question de McNair du Nouveau-Brunswick. On est allé jusqu'à prétendre qu'il a été le plus intransigeant pour les droits provin­ciaux.

En face de ces menaces d'opposition, le gouver­nement fédéral a dû faire valoir l'appât financier : "Renoncer à quelques-uns de vos droits, ce n'est rien ! Surtout, ça vous est très profitable. Songez-y, nous vous offrons $12.00 par tête de vos ci­toyens, comme dédommagement. Cela, remar­quez-le, éviterait bien des maux de tête à vos tré­soriers provinciaux !"

Allez-y, Messieurs les centralisateurs, faites va­loir votre plat de lentilles ! C'est la méthode, on peut la reconnaître un peu partout dans le monde.

Sous prétexte que les provinces ne peuvent ré­gler leurs embarras financiers, le fédéral s'en char­ge.

Les gouvernements provinciaux les plus fran­chement autonomistes ne peuvent que hausser les épaules devant l'argumentation du fédéral, puis céder en déplorant la nécessité d'avoir à le faire. Le fédéral fait de même dans les conférences in­ternationales.

Avec la philosophie qu'ils ont (en ont-ils une ?) de la question financière, peuvent-ils fournir une autre réaction ?

Et dire que le Crédit Social ferait disparaître ce cauchemar. Car c'est un cauchemar pour les gou­vernements. Les petits gouvernements effrayés par ce fantôme ont recours à de plus puissants, un peu comme un enfant après un mauvais rêve se sauve dans les bras de ses parents.

On a pas parlé du premier-ministre Manning de l'Alberta. Il n'a pas manqué de faire valoir le point de vue créditiste, qui seul peut permettre la véri­table autonomie puisqu'il réglerait la question fi­nancière. Avec lui, le plat de lentilles du fédéral perd sa valeur.

Probablement parce qu'il avait la solution, les journaux n'ont fait qu'une médiocre publicité à l'attitude de Manning. On était plus empressé à rapporter les simulacres d'opposition de premiers-ministres qui restent rivés à un système condui­sant infailliblement à la centralisation.

Voilà pour l'attitude des provinces et celle du fédéral. On comprend maintenant pourquoi M. King avait besoin de beaucoup d'aplomb.

On comprend aussi pourquoi la conférence s'est tenue derrière une porte hermétiquement fermée. Il est évident qu'on ne voulait pas voir le peuple au courant de la marche des délibérations. Pour­tant, c'était son sort que l'on discutait !

L'échec de la Commission Rowell-Sirois est en­core frais dans la mémoire du premier-ministre ca­nadien. Cet insuccès est même trop frais à sa mé­moire. Désormais, en tenant les conférences à huis-clos, il évite la réaction populaire. Car, elle est anti-centralisatrice cette réaction. Les électeurs savent bien que plus un gouvernement est loin d'eux, plus il leur est difficile de l'atteindre.

Paul-Eugène DROLET

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