Ce roi est-il détrôné

le dimanche, 01 novembre 1942. Dans Réflexions

Adam cultivait et mangeait les fruits de la terre. Les descendants d'Adam — ceux de nos jours — parce qu'ils divisent l'ouvrage et produisent ainsi davantage, devraient cultiver, puis mettre le blé en pénitence, tant que l'or ne viendrait pas ? Mais c'est une idée stupide.

Idée stupide, qui a tout de même logé, pendant bien des générations, dans les cerveaux auxquels l'humanité faisait confiance pour réglementer les échanges.

* * *

Pour se battre, de 1914 à 1918, le monde envoya au diable les restrictions de l'or. Il n'y avait pas assez d'or pour se battre ferme et longtemps : on supprima l'or et on se servit de papier. L'initiative en fut prise à Londres même, au cœur de la puis­sance financière de l'époque.

Une fois la première grande guerre finie, des ra­tionneux voulurent rétablir l'étalon-or afin de ra­mener la rareté. En 1926, ils firent accepter leur idée, parce que c'étaient des techniciens imposants, qui avaient éclairé et façonné leur âme dans les voûtes des banques ou sur certaines chaires d'éco­nomie contrôlée par ceux qui les financent.

Et cette initiative du retour à l'étalon-or eut en­core lieu à Londres. Churchill était alors Chance­lier de l'Échiquier Britannique. Mais Churchill, boule-dogue féroce devant la machine de guerre allemande, se montra mouton bien docile devant la machine de finance à Montagu Norman.

Dès 1931, cependant, les ravages du retour à l'étalon-or étaient tellement spectaculaires qu'il fallut l'abandonner. Et ce fut encore Londres qui donna le signal.

L'étalon-or était renvoyé en exil, comme inca­pable de s'acclimater dans le monde de l'abondan­ce. Des économistes de carrière se sont gratté la tête ; mais, comme ces vieux royalistes qu'un demi-siècle de république ne peut convertir, ils disent prophétiquement : L'or reviendra bien, il est in­dispensable.

Toutefois, l'or n'est pas encore revenu. Il ne pouvait certainement pas revenir pour la guerre, surtout pas pour une guerre totale qui réquisition­ne tout ce que l'homme et les machines sont capa­bles de produire. On n'a pas encore cité une seule mine d'or à l'ordre du jour, pour le gain d'une seu­le bataille, depuis quatre années qu'on se bat sur quatre continents.

Mais malgré que les pièces d'or soient devenues choses du passé, malgré que les banques n'aient plus de réserve d'or et qu'elles aient plus d'argent de toute autre sorte que jamais, il y a encore des esprits fossiles, même dans nos universités, qui continuent d'enseigner qu'il faut de l'or pour avoir de l'argent, et que le volume de l'argent dépend des réserves d'or.

Nous pourrions nommer un brillant professeur de l'Université d'Ottawa qui, il n'y a pas si long­temps, soutenait qu'il est sain de s'en tenir à l'étalon-or. Il vaut mieux, disait-il, que l'argent dépen­de de l'or, plutôt que de la volonté des hommes. Les hommes, expliquait-il, ne sont pas capables de régler l'argent modérément : la Providence y voit par la rareté de l'or !

Les choses qui nourrissent, habillent et logent sont abondantes, parce que la Providence a créé la source de cette abondance avant même de placer l'homme sur sa planète.

Mais une chose reste rare, cachée on ne sait où dans les entrailles de la terre. Une chose dont la découverte et l'extraction demandent beaucoup de labeur.

Or, c'est cette chose-là, qui ne nourrit point, n'habille point et ne loge point, c'est cette chose-là qu'il faudrait mettre comme condition à l'usage de l'abondance qui nourrit, loge et habille ?

Quand on en est rendu à soutenir de pareilles thèses, on est certainement mûr pour dix années de crise et quatre années de tuerie.

Est-ce l'or qui est roi, ou la bêtise qui est reine ?

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