Chez nos députés fédéraux

le samedi, 15 septembre 1945. Dans La politique

Frédéric Dorion, Charlevoix-Saguenay

C'est le 20 août que M. Frédéric Dorion, député de Charlevoix-Saguenay, reçut avec beaucoup de courtoisie la délégation de son comté, pour lui notifier la résolution adoptée à l'assemblée du 12.

M. Dorion a depuis consigné sa réponse par écrit. Il déclare que les six premières demandes de la résolution ont déjà été exposées par lui-mê­me à la Chambre des Communes le 13 avril 1945.

Dans son discours et son amendement du 13 avril, M. Dorion demande, en effet, la cessation des dépenses pour la mise en vigueur de la loi de mobilisation et de rappel immédiat de cette loi.

Il n'y est cependant pas question de l'abroga­tion des pleins pouvoirs (Point 1 de la résolution), ni de la cessation du régime de décrets-lois (Point 2), ni de l'abolition des commissions dictatoriales (Point 3), ni de l'amnistie générale (Point 5). Seul le sixième point est nettement couvert par l'amendement de M. Dorion du 13 avril, et aussi par déduction, le quatrième point (démobilisation des conscrits, puisque la loi de mobilisation serait rappelée).

Pour le septième point de la résolution :

"Que le gouvernement souverain du Canada use des prérogatives qu'il possède de droit, pour rendre financièrement possible tout ce qui est physiquement possible et générale­ment désiré, sans endetter le pays envers qui que ce soit et sans porter atteinte à la liberté des personnes."

M. Dorion trouve cette clause exprimée "en termes tellement généraux qu'il est bien difficile d'en savoir toute la portée."

La clause ne donne pas de méthodes, il est vrai ; mais ce n'est ni aux électeurs ni aux députés de dicter les méthodes. Les électeurs, et leurs députés, sont intéressés aux objectifs, aux résultats. La clause dit que, lorsqu'une chose est physiquement possible et généralement demandée, elle doit de­venir financièrement possible.

Si cela n'a pas lieu, c'est que la finance empêche le peuple d'obtenir ce qu'il veut, alors que ce qu'il veut est tout à fait possible physiquement. Cela voudrait dire qu'il y a une puissance, la puissance d'argent, au-dessus du gouvernement. On s'en est aperçu pendant dix années avant la guerre. Eh bien, la résolution demande que le gouvernement use de sa souveraineté pour dominer et assujettir la finance. C'est simple et clair.

On ajoute sans endetter le pays et sans dimi­nuer la liberté de personne. C'est parce que, pen­dant la guerre, si la finance n'a pas été un obstacle à la production de guerre, elle a endetté le pays pour lui permettre de poursuivre la guerre. L'argent n'a augmenté qu'en augmentant la dette et en diminuant la liberté des citoyens. Nous ne vou­lons pas que la finance dicte ainsi ses conditions au gouvernement souverain.

Les journaux du 5 septembre nous apprennent que M. Frédéric Dorion a demandé à siéger du côté du gouvernement à la Chambre des Commu­nes. Cela nous surprend beaucoup, après ce qu'il disait dans son discours du 13 avril, auquel il se plaît a renvoyer ses électeurs. Il disait :

"Si j'ai été trompé par les conservateurs, je l'ai été aussi par les libéraux ; et, comme je n'ai pas confiance dans la C.C.F., il ne me reste plus qu'un parti à prendre. Je dois avoir en cette Chambre des Communes des repré­sentants libres des rouages et des attaches de partis, qui représenteront véritablement mes intérêts au lieu de se faire les instruments d'un parti politique."

Si la nouvelle parue dans les journaux est vraie, les électeurs de M. Dorion voudront sans doute des éclaircissements.

Armand Cloutier, Drummond-Arthabaska

Vu que M. Cloutier s'est distingué par la ma­nière hitlérienne dont il a reçu la délégation de son comté, nous lui faisons l'honneur d'un article spécial, sous le titre "Député de la lune."

Ces rapports seront continués dans le prochain numéro. Les électeurs apprendront à connaître leurs députés.

Eugène Marquis, Kamouraska

Le député de Kamouraska, M. Marquis, est un avocat demeurant à Québec, à 90 milles du comté qu'il représente. N'importe, ses électeurs tenaient à le rencontrer, et c'est une délégation de douze qui est allée, le 17 août, lui porter la résolution adoptée dans une assemblée de conté le dimanche précédent.

C'est Antonio Mignault, cultivateur de Kamou­raska, qui conduisait la délégation. L'accompagnaient :

Louis Charest, de St-Philippe

Lucien Massé, de Mont-Carmel

Clément Landry, de St-Gabriel

Émile St-Jean, de St-Pacôme

René Raymond, de St-Denis

Gérard Lavoie, de St-Denis

François Pelletier, de Kamouraska

Napoléon Mignault, de St-Pascal

Léon Madore, de St-Pascal

Camille Boucher, de St-Alexandre

Lucien Bérubé, de St-Eleuthère

Les notes qui suivent sont du rapport d'Antonio Mignault.

M. Marquis reçut la délégation assez courtoise­ment. Mais à peine les délégués avaient-ils com­mencé leur exposé, que le député prenait la parole. Il tenta ce manège plusieurs fois, ce qui allongea l'entrevue et la fit durer une heure et demie. Selon les termes mêmes de M. Mignault : "Nous avons été obligés de lui enlever la parole très souvent, car il aurait parlé tout le temps pour dire à peu près rien ; il semble très ignorant des problèmes économiques du Canada."

M. Marquis a refusé d'endosser la résolution, tout en disant qu'il approuvait complètement les déclarations de principes que comportait chaque clause.

Sur la question de démobilisation, il dit que c'est commencé et que ça continuera. (La résolu­tion demande la démobilisation immédiate de tous les conscrits qui sont dans les camps au Canada.)

Pour l'amnistie, il approuve ; mais il voudrait que ceux qui veulent avoir un pardon se mettent d'accord avec la loi. S'ils veulent se faire pardon­ner (une fois qu'ils seront derrière les barreaux), il écrira une lettre au premier-ministre (à la maniè­re du patronage, s'occuper de cas particulier pour faire valoir le député). Il ne veut pas attaquer la

question de front ; il croit que la diplomatie obtiendra davantage. Il dit que c'est dans les caucus du parti qu'il pourrait obtenir le plus ; mais que s'ils étaient, par exemple, 10 contre 120, il était mieux de se taire. (Comme on voit, il n'y a pas grand'chose à attendre de lui, sauf le silence.)

C'est sur la septième clause que le député était le plus embêté (mettre l'argent au service des hommes.) Voici ce qu'écrit Antonio Mignault — simple cultivateur, ne l'oublions pas, en face d'un avocat :

"M. Marquis a commencé par dire que c'était une belle déclaration de principes et qu'il approu­vait cela ; mais que, sur les moyens, on ne s'accor­dait pas. Je lui ai fait remarquer que nous n'avions rien à dire officiellement sur les moyens, que nous regardons seulement les résultats. Mais il a voulu quand même parler des moyens, et nous avons ri.

"Il disait que le Crédit Social avait déjà été es­sayé et avait été un fiasco retentissant. Je lui ai demandé à quel endroit. Il a répondu : En France. Je lui ai demandé s'il voulait parler du système de Law. Il a regardé celui d'entre nous qui prenait des notes et a dit qu'il n'était pas obligé de répon­dre.

"Nous avons essayé de lui faire comprendre que, lorsqu'on ferait des choses pour la consommation civile, au lieu de choses pare la guerre, le pouvoir d'achat du Canadien serait insuffisant pour ache­ter ces produits. Il nous a parlé de l'exportation et de la reconstruction de l'Europe, qui prendrait bien dix ans et absorberait une bonne partie de nos produits. Toujours la même idée : fournir aux autres pour avoir le droit de consommer ce qui reste.

Il a été question de bien d'autres choses ; mais ç'a l'air que c'est à lui de juger de toutes choses, et que les électeurs ne comptent plus après le vote.

"À un certain moment, il fit remarquer qu'il avait trois groupes à satisfaire. Là-dessus, je lui ai demandé si les autres groupes demandaient, comme nous, des choses d'intérêt général, pour tout le monde, ou bien s'il s'agissait de faveurs personnelles ou d'intérêts de groupes particuliers. Je lui fis remarquer qu'en effet, s'il s'occupait trop des intérêts personnels de celui-ci ou celui-là, il n'aurait certainement pas le temps de s'occuper du service du bien commun."

Nous produisons ce rapport avec une certaine abondance de détails, pour démontrer la belle for­mation que le journal Vers Demain donne à de simples gens du peuple.


Député de la lune

On croyait M. Armand Cloutier député fédéral du comté de Drummond-Arthabaska.

Le 31 août, les délégués, nommés par l'assem­blée d'électeurs tenue le 19 août, allaient rencon­trer M. Cloutier pour lui faire connaître la réso­lution adoptée à l'assemblée.

Les délégués s'attendaient au moins à une récep­tion polie de la part de leur "serviteur", qui n'avait pas daigné se déranger pour aller les rencontrer. Mais à peine se sont-ils présentés, que M. Cloutier ouvre la porte et les invite à sortir, sans même vouloir apprendre le but de la délégation.

M. Major, porte-parole de la délégation, deman­de cinq minutes seulement à M. Cloutier. Refus catégorique.

M. Cloutier se déclare prêta recevoir des élec­teurs individuellement, sur rendez-vous et pour des choses personnelles (patronage, faveurs), mais pas en groupe pour des questions d'intérêt général, qu'il qualifie de "petite politique".

"Individuellement, déclare M. Cloutier, deman­dez-moi la lune et je vous la donnerai. Mais ne venez pas me parler de Crédit Social et de petite politique ; ça ne m'intéresse pas." Et M. Cloutier pousse ses électeurs dehors, en tremblant presque de tous ses membres.

Tous les enfants qui veulent la lune n'auront plus qu'à s'adresser a M. Cloutier pour l'avoir. Nous avons maintenant un député dans la lune.

Mais, pour les électeurs qui vivent sur la terre, ils feraient bien de demander l'ouverture du com­té de Drummond-Arthabaska pour une élection partielle, afin d'avoir un député qui reste avec eux sur la terre.

Ceux qui en ont assez de la "grande politique" des crises et des guerres à outrance, des discours de politiciens nous invitant sans cesse à la péni­tence et à l'asservissement devant les ukases de la dictature économique, feraient bien de noter que la simple politique des électeurs n'est, aux yeux de M. Cloutier, que de la "petite politique" qui ne l'intéresse pas.

M. Cloutier n'existe sans doute que pour distri­buer le fromage à qui il l'entend et comme il l'en­tend. Le bien commun des électeurs, il s'en fiche... jusqu'à la prochaine campagne électorale. Oh ! alors, il se dérangera pour aller à ses électeurs et pour les convoquer en plus grand nombre possible ; ce sera pour son fromage, à lui.

M. Cloutier juge qu'il n'a pas besoin de ses élec­teurs pour conduire la chose publique. Une fois qu'il a réussi à arracher leurs votes, il semble les ignorer totalement. M. Cloutier parait avoir des penchants pour la dictature à la Hitler. On nous a pourtant bien prêché, pendant six années, qu'il fallait combattre la dictature en Europe pour l'éviter au Canada ! N'aurait-il pas été préférable de commencer par purger le Canada de ses petits et grands dictateurs ?

Si. M. Cloutier se croit "démocrate", pourquoi refuse-t-il de rencontrer ses électeurs en assemblée aussi bien qu'en délégation, quand ceux-ci veulent lui faire connaître leur volonté sur des questions de bien commun ? Ne pourrait-il pas au moins leur accorder cinq minutes ?

Est-ce que tous vos électeurs, sans distinction, ne paient pas leur grosse part de taxes, M. Clou­tier, non seulement pour vous faire vivre mieux que la majorité d'entre eux, mais aussi pour les représenter à Ottawa ? Qui donc représentez-vous ?

Edmond MAJOR

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