Il arrive à des électeurs qui demandent à leur député d'exprimer leurs vues, par exemple leur opposition à la conscription, de recevoir des réponses comme celles-ci :
"J'ai voté contre, je ne puis rien faire de plus.
"C'est une chose maintenant passée ; il n'y a plus rien à faire qu'à donner son verdict aux prochaines élections.
"C'est une affaire du fédéral. Je suis député au provincial, cela ne me regarde pas.
"Adressez-vous à ceux qui sont pour, à tel chef de parti, ou à tel ou tel député de l'Ontario ou de l'Ouest. (Adressez-vous aux démons pour qu'ils vous laissent prier en paix)."
S'il fallait s'en tenir à ces solutions, il n'y aurait qu'à croiser les bras après chaque défaite. Les députés qui répondent ainsi sont-ils de la trempe des ancêtres qui ont conquis nos droits de haute lutte, dans des circonstances bien plus difficiles ?
Lorsque la volonté unanime de notre province est ignorée ou jetée au rebut, ni les électeurs ni les représentants n'ont le droit d'accepter la décision et de dormir tranquilles.
En novembre dernier, tous les groupes politiques de notre province ont exprimé leur opposition à la conscription. Le gouvernement fédéral a passé outre. On s'est tu. L'agitation a duré trois semaines, puis on s'est ramassé. Nos adversaires n'ont pas besoin de se gêner : nous n'allons pas loin.
Qu'il n'y ait plus rien à faire qu'à attendre la prochaine élection, nous semble une bien piètre idée de la démocratie. Nous enseignons à nos lecteurs qu'ils sont encore citoyens le lendemain du vote. Nous croyons que la même remarque devrait s'appliquer aux députés.
D'ailleurs, la prochaine campagne électorale n'empêchera pas huit provinces d'être majoritairement favorables à la participation la plus complète aux guerres de l'empire. Et si l'on accepte aujourd'hui que la voix d'une grosse minorité n'ait rien à faire dans les décisions de la majorité, on devra accepter la même chose demain et toujours.
C'est justement quand la majorité ne s'occupe pas des aspirations et des sentiments de la minorité que la démocratie est en danger.
— Mais que faire ?
— Que faire ? Que font les créditistes lorsqu'on les contrarie ? Ils n'acceptent même pas qu'on les ignore. S'ils se couchaient après chaque insuccès ou après chaque bousculade, il y a longtemps que le Crédit Social serait mort dans la province de Québec. Mais, Dieu merci, ce n'est pas là la mentalité créée par l'éducation créditiste. On nous donne un coup : nous en rendons deux. On nous flanque dans un coin : nous en rebondissons quatre fois plus nombreux — et plus vigoureux aussi.
C'est cela, la lutte. Et nous aimerions voir nos représentants, au provincial, et même au municipal, comme au fédéral, mener cette sorte de bataille pour la défense des droits du peuple canadien-français, chaque fois que ces droits sont méconnus.
Le député a bien plus de facilités qu'un simple citoyen, pour convoquer des assemblées de protestations, les répéter de place en place, mobiliser les électeurs en nombre, lever des signatures de protestations collectives, faire insérer des déclarations dans les journaux, etc.
Les députés disposent d'armes que leurs modestes électeurs n'ont pas. Ils devraient, à notre avis, être en tête des bataillons pour revendiquer les droits lésés. Et pas rien qu'en passant, pas rien que pour se faire du capital politique. L'enjeu est plus élevé que cela. Sur des sujets où tout le monde est d'accord et où tout le monde est piétiné, il n'y a pas lieu de se diviser, de se bouder, de mesquiner.
Le défaitisme est incompatible avec le sens de la responsabilité. En démocratie, la responsabilité doit être prise par tous les citoyens, et sûrement ceux qui ont le plus de moyens en main n'en peuvent être exempts.