Derrière des portes closes

le dimanche, 01 avril 1945. Dans La politique

Dans notre dernier numéro, nous disions com­ment le Comité administratif de la Cité de Québec refusait l'admission de Vers Demain à ses séances. Les séances du Conseil sont publiques et tout le monde peut y assister. Mais les séances du Comité administratif sont à huis clos ; on y admet cepen­dant les représentants des quatre quotidiens de Québec, mais pas de Vers Demain.

Sans prétendre établir une parenté spirituelle entre les cas, nous ne pouvons résister à la sugges­tion de publier, à ce propos, la petite histoire sui­vante, racontée dans une causerie à CHRC par M. J.-Ernest Grégoire, lorsqu'il était maire de Québec, et que nous lisons dans La Bonne Nouvelle du 22 juin 1935. La voici avec le titre donné par La Bonne Nouvelle :

Un incident significatif

Mardi, le 14 mai, réunion du Comité administra­tif.

Sur proposition de l'échevin Émile Morin, il fut résolu d'autoriser le Trésorier de la Cité à payer une gratification de $300 à chacun des courriéristes mu­nicipaux, à savoir :

Henri Dutil, Le Soleil                        $ 300

Alfred Hardy, L'Action                         300

Jacques Verreault, L'Eve'nement         300

Stanly Erld, The Chronicle.                 300

                                       TOTAL: $1,200

Le Maire (Grégoire) s'oppose à cette dépense, par­ce qu'il considère qu'elle est de nature à nuire à la li­berté des courriéristes, qu'elle constitue presque un encouragement au chantage et à tromper le public, et que les reporters ne sont pas des employés de la ville.

Le lendemain, le Maire refuse de signer cette ré­solution, parce qu'elle est irrégulière. Car toute dépense excédant $1,000 doit être approuvée par le Conseil.

C'est ce que ne veulent pas les échevins ! Le renvoi au Conseil signifie la question débattue et réglée de­vant le public. Courriéristes et échevins veulent à tout prix que le public reste dans l'ignorance d'un abus qui dure depuis longtemps et a coûté déjà $18,000 plus les intérêts.

Cette ferme résolution du Maire oblige les échevins à suspendre le règlement de l'affaire. Ils attendent une occasion favorable.

Le vendredi, 17 mai, le Maire est absent de la ville, aux funérailles d'une de ses sœurs, Il reviendra same­di soir, le 18. L'occasion est bonne !

Vite, les échevins se recherchent, s'assemblent. Le pro-maire, revêtu de tous les pouvoirs du maire, va enfin signer la résolution du 14 mai.

Un obstacle surgit. C'est par le président du Co­mité administratif que la résolution doit être signée. Or le pro-maire, l'échevin Ferland, n'étant pas mem­bre du Comité administratif, ne peut siéger comme président.

En conséquence, le pro-maire Ferland convoque une séance spéciale du Comité pour le lendemain ma­tin. En l'absence du maire, on élira Président "pro­ tempore" l'échevin Morin.

Autre obstacle : la loi exige 24 heures de délai pour une convocation d'une séance du Comité. C'est ven­dredi soir, à onze heures, que les avis sont mis à la poste. La séance a lieu le lendemain à onze heures de l'avant-midi.

Convocation irrégulière ; séance illégale et nulle.

Qu'importe ? On mettra le Maire devant le fait ac­compli ; il faudra bien qu'il marche, ou gare à la presse !

On se hâte. Rapidement, le coup est préparé. Ferland, pro-maire, signe ; Poulin, représentant du co­mité, signe ; Thibodeau, contrôleur, signe ; Leclerc, auditeur, signe.

Enfin ?... Non, ça n'est pas fini ! Il faut sur le chèque la signature du pro-maire Ferland et du tré­sorier Verge.

C'est fait. Et chacun des courriéristes empoche le chèque de $300., fruit de cette trigauderie.

Les membres du Comité s'en frottent les mains de satisfaction. Ainsi, ils se sont assuré, aux dépens des contribuables, la faveur de journalistes à leurs ordres, qui les loueront sur commande, exalteront leur savoir-faire, se tairont en temps, et sauront au besoin igno­rer le Maire Grégoire ou présenter dans une lumière fausse ses faits et gestes. Il avait belle de faire comme eux et de ne pas se mettre de travers contre la presse ?

Il y avait aussi à cette séance, pour applaudir, der échevins qui ne sont pas membres du Comité, mais anxieux de savoir comment ça tournerait.

Le mardi, 21 mai, séance régulière du Comité. Le Maire Grégoire est présent. Il refuse de signer le procès-verbal de cette séance du samedi précédent, convoquée irrégulièrement et tenue illégalement. C'est une iniquité que sa signature ne régularisera pas.

Ferme attitude qui oblige Poulin à proposer que Morin signe le procès-verbal de cette séance du 18 mai, qu'il a si complaisamment présidée. Mais celui-ci ne marche plus. Il insiste pour que Son Honneur le Maire soit prié de signer. Celui-ci reste inébranla­ble dans son refus.

Pendant près de deux heures, la séance est occupée par ce débat que les échevins mènent avec une très vive animation. Et l'on se sépare sans résultat.

Le lendemain, 22 mai, nouvelle séance. L'échevin Morin, désireux de se tirer d'un mauvais pas, propo­se que soit ratifiée la fameuse résolution. Le Maire et l'échevin Trépanier s'y opposent. Morin, Poulin, Noreau et Gosselin votent en faveur. Dinan est ab­sent...

De ces quatre séances, dont une irrégulière, avec résolution irrégulière, pas un seul journal n'a dit un mot : tous complices dans le silence, parce que tous profiteurs de l'irrégularité et de l'iniquité, tous inté­ressés à ce que le public reste dans l'ignorance.

Car si la chose est honnête, pourquoi tant tenir à l'enfouir dans le secret, pourquoi tant d'efforts pour la passer dans le dos du Maire et du public ?

S'il n'y a rien de louche, pourquoi ce silence con­certé, unanime, de journaux dont la faconde est si abondante pour rapporter des insignifiances ?

Voilà avec quelle sorte de gens le Maire Grégoire est sans cesse aux prises afin de défendre l'intérêt pu­blic...

En toute justice, il faut ajouter que les directeurs de l'Action Catholique, informés de ce qui s'était passé, ont désapprouvé et fait remettre l'argent.

(Note de la Rédaction). — Ceux qui s'étonnent aujourd'hui pourquoi notre M. Grégoire passe dans certains milieux pour un avaricieux, et un ennemi des ouvriers, sauront un peu mieux à quoi s'en prendre après le récit ci-dessus. La presse fait l'opinion, et la presse, comme on voit, est loin d'être confirmée en grâce.

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