En marge des mardis maigres

le lundi, 15 novembre 1943. Dans Réflexions

Les catholiques font maigre le vendredi, et cela depuis longtemps.

Lorsque le gouvernement canadien a jugé néces­saire de diminuer la consommation de viande et d'imposer, lui aussi, un jour d'abstinence obliga­toire pour tous, catholiques, protestants, juifs ou bouddhistes, il s'est bien gardé de choisir le ven­dredi. Il a pris le mardi.

Il paraît même que, s'il doit ajouter un second jour maigre, il élira le jeudi. Tous les jours y passe­ront avant le vendredi.

Et pourquoi donc ? Pourquoi ? Mais commencer par étendre le vendredi à tous, ce serait s'acoqui­ner avec l'Église catholique — les orangistes ne pardonneraient jamais cela. Le diable, même quand il se fait défenseur de la chrétienté, conti­nue d'avoir peur de l'eau bénite.

Nombre de catholiques dans les restaurants ne se gênent plus pour commander de la viande le ven­dredi, puisqu'il y en a ce jour-là et pas le mardi. Ils se disent que l'Église n'a commandé qu'un jour d'abstinence par semaine et que ce n'est pas de leur faute si le gouvernement a déplacé le jour au mardi. Le diable n'est pas bête.

N'allez pas croire que le gouvernement canadien ignore l'existence de l'abstinence catholique du vendredi. Même les messieurs qui fréquentent peut-être plus les loges que nos églises savent assez bien quelles sont nos coutumes.

Ils savent très bien, par exemple, que, dans la province de Québec, on va à la messe le dimanche, et que, à toutes les messes le dimanche, un prêtre monte en chaire et parle avec autorité.

À preuve, la lettre adressée, le 25 septembre, par le ministre des Finances d'Ottawa, à chacun de nos évêques :

"Le dimanche 17 octobre sera le dimanche de l'Emprunt de la Victoire. Nous aimerions que mention du Cinquième Emprunt de la Victoire soit faite à chaque messe dans toutes les églises de votre diocèse, et que votre clergé encourage tous les paroissiens à acheter les obligations du Cinquième Emprunt de la Vic­toire."

Nous ne jugeons rien. Nous enregistrons des faits. César connaît l'adresse de Dieu quand il en... ? ? ? ligue est une force près d'une bonne partie de la population, et il en profite même pour atteindre ses objectifs financiers.

Sans doute que l'habitude prise ne sera pas ou­bliée le lendemain de l'armistice. Sans doute qu'une fois la guerre finie contre les dictateurs militaires, le gouvernement aura la bonne inspiration de re­courir encore au clergé catholique pour faire la croisade en chaire contre les trahisons des politi­ciens, contre l'inertie criminelle de gouvernants qui croisent les bras pendant que des multitudes jeûnent sept jours par semaine devant des greniers pleins. Sans doute que le ministre des finances du temps fera dénoncer les puissances qui contrôlent l'argent et le crédit !

Nous ne sommes sûrement pas au bout de nos surprises.    

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