"En raison de la guerre..."

le samedi, 01 décembre 1945. Dans La politique

Le 31 octobre, l'Hon. Bracken, chef de l'Oppo­sition officielle à Ottawa, demandait au gouver­nement de produire copie des décrets du Conseil du Trésor édictés depuis le 6 septembre, c'est-à-dire durant les huit premières semaines de la ses­sion.

L'Hom Ilsley, premier-ministre suppléant en l'absence de M. King, a refusé, sous prétexte que cela prendrait le travail de six sténographes pen­dant deux mois. Autrement dit, les délibérations et les décrets sortent tellement drus qu'il faut six sténographes pendant deux mois pour prendre no­te de ce qui est sorti pendant le même temps, deux mois.

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À cette occasion, le gouvernement nous apprend qu'au cours des six années de guerre, le Conseil du Trésor a émis plus de 90,000 décrets. C'est certai­nement une ponte prodigieuse.

Et que sont ces décrets ?

M. Bracken en cite deux, dont la production a été spécifiquement réclamée après que des journaux eussent éveillé des soupçons. Les voici : Décret No C. P. 13962 — Qu'en raison de la guerre il est nécessaire aux fins de la sécurité, de la défense, de la paix, de l'Ordre et du bien-être au Canada, d'augmenter les traitements du président et des autres membres de la Commission du Service Civil dans la mesure recommandée ci-dessus.

La mesure augmente de $2,000 les appointements du président et de $1,000 les appointements de chacun des autres membres de la Commission.

L'autre décret cité est du 31 mai dernier : Décret No. C. P. 2/3962 — Qu'en raison de la guerre il est nécessaire aux fins de la sécu­rité, de la défense, de la paix, de l'ordre et du bien-être du Canada d'augmenter les traite­ments du président et des autres membres de la Commission canadienne des pensions dans la mesure recommandée ci-dessus.

Ici, encore, $2,000 de plus par année au pré­sident, et $1,000 de plus par année aux autres membres de la commission des pensions. Pas aux pauvres diables qui tirent de maigres pensions, mais aux chefs de la bureaucratie qui les surveille.

En raison de la guerre — aux fins de la sécurité, de la défense, de la paix, de l'ordre et du bien-être au Canada.

Autrement dit, si l'on n'avait pas fait ces belles augmentations de salaires à ces grosses têtes de bureaucrates, le Canada aurait perdu la guerre, son sol aurait été envahi, il n'y aurait pas eu de paix au pays, mais du désordre, et tout le monde aurait souffert.

Vous croyiez que la victoire était due aux sacri­fices de nos soldats et au travail de nos industries de guerre. Vous oubliiez un facteur important les augmentations de $2,000 et de $1,000 aux bu­reaucrates de la haute.

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Il ne faut pas s'étonner après cela que les bureau­crates tiennent au maintien des contrôles et du régime de décrets. Cela fait leur affaire.

Il ne faut pas s'étonner non plus que le gouver­nement objecte à la production des décrets qui émanent du Conseil du Trésor à la vitesse inouïe d'une moyenne de 15,000 par année, plus de 1,000 par mois. Ils ne sont pas tous très édifiants pour ceux qui peinent, suent, saignent et paient la fac­ture.

Cela explique un peu aussi pourquoi le gouver­nement, par le Bill 15, veut continuer en temps de paix la dictature et les contrôles introduits sous prétexte de guerre, au lieu de soumettre ses me­sures au Parlement avant de les appliquer.

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L'Hon. Bracken n'a pas accepté le raisonne­ment de M. Ilsley. Si le gouvernement actuel, dit-il, dépense 5 milliards par année, 14 millions par jour, parce qu'il s'est lancé dans la guerre contre les dictatures d'Europe, il peut bien payer quel­ques sténographes de plus pour sauvegarder les droits du Parlement contre la dictature bureau­cratique qui s'implante chez nous.

Il remarque d'ailleurs que le ministre n'est pas sérieux en disant qu'il faudrait engager six sténo­graphes pendant deux mois pour copier les décrets et délibérations de deux mois. Si le gouvernement veut respecter les droits du Parlement, il n'a qu'à faire mettre un carbone pour prendre une copie de plus de tous les décrets du conseil, à mesure qu'ils sont dactylographiés, et de déposer cette copie sur la table du Parlement. Cela ne coûterait guère que le papier.

Le vote a été pris en Chambre pour savoir si la Chambre accepterait le refus du gouvernement ou si elle appuierait la motion de M. Bracken.

Tous les libéraux présents ont voté pour le gou­vernement, contre la motion. Tous les conserva­teurs, les, C. C. F., les créditistes, les Bloc-Populai­res et l'indépendant Gagnon de Chicoutimi, ont voté pour la motion. MM. Lacombe et Dorion étaient absents de la Chambre. Le communiste Rose a voté avec les libéraux, mais il a expliqué après le vote qu'il s'était trompé et qu'il comptait "pairer".

Ce fut donc de la part des Libéraux un vote de parti, au lieu d'un vote de jugement.

Au Hansard du 31 octobre 1945, (édition fran­çaise, page 1739), on pourra toujours voir la liste des moutons rouges qui ont immolé leur tête pen­sante sur l'autel du parti.


 

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