La politique fédérale

le samedi, 15 décembre 1945. Dans La politique

Le Bill 15

Le fameux Bill 15 est devenu loi. Mais non sans être l'objet d'une vive et longue discussion au Parlement.

Le Bill 15 a une histoire spéciale. Pendant la discussion en deuxième lecture, le gouvernement en a fait une nouvelle version qui pouvait influen­cer la discussion, mais qui ne devait valoir qu'en troisième lecture.

La première rédaction du Bill 15 était brutale et sentait son czar à plein nez. D'aucuns disent que Donald Gordon en était l'auteur. Ce ne serait pas surprenant. Donald Gordon a une mentalité de banquier et de bureaucrate suprême.

La deuxième rédaction du bill confère presque les mêmes pouvoirs au gouvernement, mais elle y met des formes ; elle est plus politique.

Les pleins pouvoirs continués

L'article 3 du bill révisé confère au gouverne­ment l'autorité de :

Maintenir le contrôle et la réglementation des approvisionnements et services, des prix, du transport, de l'usage et de l'occupation d'im­meubles, des loyers, de l'emploi, des salaires et des traitements, afin d'assurer la stabilité éco­nomique et une transition ordonnée aux con­ditions du temps de paix.

Comme on voit, c'est le contrôle de tout, et c'est la continuation de l'ingérence du fédéral dans le domaine provincial. C'était pour la poursuite de la guerre auparavant, c'est pour le retour aux condi­tions de paix maintenant.

La première version du bill permettait au gou­vernement la confiscation et la disposition des biens des citoyens, l'expulsion de citoyens du pays ou le retrait de leur citoyenneté.

La nouvelle version est moins radicale dans ses termes, mais elle donne pratiquement les mêmes pouvoirs.

Tout le monde admet le besoin de quelques con­trôles, comme le plafonnement des prix de certains articles. Mais il eût été beaucoup plus démocrati­que de spécifier exactement quels contrôles le gouvernement veut avoir le droit de continuer.

Électoralisme

Dans son discours de réplique, l'Hon. St-Lau­rent a fait allusion à l'élection du 11 juin dernier. Le peuple, dit-il, par son vote, a fait confiance au gouvernement qui avait conduit la guerre et lui a donné un mandat pour conduire lui-même la période de reconstruction.

Quand on sait comment se font les élections, on n'a pas le droit de tirer ces conclusions. Il faut simplement dire que la machine électorale libérale a gagné contre la machine électorale conservatrice. D'ailleurs, pas un seul libéral ne vint devant le peuple pour demander le droit de continuer les contrôles. Ce n'est pas cela qui fit le sujet des dis-cours et des programmes.

Les défenseurs du Bill ont fait grand cas du manque de logements pour justifier le contrôle des loyers. Ils auraient bien dû nous dire pourquoi on manque de logements. Le gouvernement pose d'une main des actes qui créent la rareté, après quoi l'autre main doit établir des contrôles.

L'opposition au Bill a été utile

Bien que le Bill 15 soit adopté — ce qui était à prévoir à cause de la majorité ministérielle — il ne faut pas croire que l'opposition marquée au Bill ait été inutile.

D'abord, elle lui a valu des adoucissements. Puis, elle en vaudra probablement d'autres dans l'application et la durée des contrôles.

Le gouvernement a pu constater que le Canada n'est pas disposé à accepter indéfiniment un régi­me d'enrégimentation et de contrôles de la vie des citoyens.

L'opposition a été une revendication publique des droits démocratiques.

Il faudra continuer de surveiller le gouverne­ment dans ses contrôles. Ce sont les bureaucrates, les commissions irresponsables au peuple qui lui dictent sa ligne de conduite. Mais les citoyens doivent protester et faire protester leurs représen­tants contre tout contrôle qui fait plus de mal que de bien.

Une clause ajoutée au bill, comme amendement, permet à tout député de saisir le Parlement de la discussion d'un contrôle après que celui-ci a été en vigueur pour quarante jours.

Pour combattre l'inflation

Toute l'argumentation du gouvernement en fa­veur du Bill 15 a surtout porté sur la nécessité d'éviter l'inflation menaçante.

Pourquoi l'inflation est-elle menaçante ? À cause de la rareté des produits dans le cas des denrées ; à cause de la rareté des maisons dans le cas des loyers.

Quel est le moyen d'éviter la menace d'inflation ? Augmenter la production de biens à vendre ; cons­truire des maisons.

Est-ce pour augmenter la production que l'on garde des jeunes gens dans les casernes, ou que l'on en force d'autres à se cacher pour éviter les griffes de la gestapo militaire ?

Si le gouvernement a réellement envie de com­battre l'inflation, qu'il libère donc les bras im­mobilisés : ce sera un contrôle militaire de moins et un grand pas pour abréger la nécessité des contrôles civils.

Les conservateurs et les créditistes de l'Alberta en Chambre ont prononcé de beaux discours contre les contrôles. Mais ils se sont toujours montrés trop impérialistes et trop conscriptionnistes pour pouvoir maintenant réclamer la démobilisation et l'amnistie en vue de favoriser la production. S'il y avait eu au Parlement des créditistes de la pro­vince de Québec, ils auraient été autrement bien armés pour la lutte.

Dans son discours, M. Liguori Lacombe, de Laval-Deux-Montagnes, a fait valoir le point que nous touchons ; et en réclamant l'abolition des con­trôles, il a été assez conséquent avec lui-même pour demander en même temps la démobilisation et l'amnistie.


Une journée aux Communes

M. Paul-Eugène Drolet est allé passer quelques jours à Ottawa, à titre de journaliste de Vers Demain, pour suivre la discussion sur le Bill 15.

Voici le rapport qu'il nous envoie de la jour­née du 5 décembre.

Ottawa, le 6 décembre 1945.

Chers Directeurs,

Le fameux Bill 15 a été voté hier après-midi en deuxième lecture. Le débat avait duré toute la journée.

Dans l'avant-midi, Liguori Lacombe a fait un bon discours en français. Je vous envoie le texte qui a été remis aux membres français de la Galerie de la Presse. Les créditistes Quelch et Hansell se sont aussi levés.

Pour ce qui est de Quelch, de la Galerie de la Presse, nous n'avons à peu près rien compris. M. Quelch parle passablement fort, mais il a un accent impossible.

Hansell s'est prononcé contre le Bill. Il a fait un discours plein d'esprit. Après avoir provoqué la colère de Howe, il sut l'apaiser par quelques saillies très spirituelles. On pouvait voir Howe se tordre de rire à son pupitre.

Dans l'après-midi, les libéraux sont passés à l'of­fensive. Depuis la veille qu'ils encaissaient les coups. À part Gardiner, aucun libéral n'avait osé se pronon­cer jusque-là.

Gour (Russell) a comparé le Bill 15 à une opéra­tion chirurgicale qui s'imposait. Ça fait mal une opération, mais c'est souvent nécessaire...

Puis, Dorion fit recommencer la lutte du côté de l'opposition. Il dénonça le Bill-15 comme sapant la base du pacte confédératif. Il interrogea directement le ministre de la Justice : "Nous avons le droit de savoir quels sont les Premiers-ministres provinciaux qui se sont opposés au Bill, et quels sont ceux qui l'ont approuvés, s'il y en a !" Et les rouges plus agressifs que jamais de lui répondre : "Demande-le à ton chef !" "Demande-le à Maurice !"

L'Orateur dut rappeler le député de Charlevoix à l'ordre lorsqu'il voulut discuter le "nouveau" Bill 15.

M. Dorion présenta aussi un amendement pour remettre le projet du Bill 15 à six mois. Il fut secon­dé par M. Gagnon.

Puis, Héon tenta de réchauffer les oppositionistes du Bill. Son allocution fut enflammée. "Il faut rétablir la suprématie du Parlement. La question en jeu : un monde de contrôle ou un monde de liberté !"

Il fut suivi de Fred Rose qui tenta d'annuler l'effet des deux derniers orateurs. Le communiste en Chambre est très gesticuleux. Il parle vite et s'échauffe facile­ment. Il dénonça la Ligue des Propriétaires de Mont­réal. Il lut (en bon français) la lettre que ce groupe avait envoyé à Liguori Lacombe.

Puis Monross de London fit de nouveau pencher la balance contre le Bill par son exposé spirituel du monde des contrôles. Il fit même rire M. St-Laurent.

Jaques, créditiste, se leva ensuite, mais il faillit ne pas avoir la chance de parler. On demandait le vote chez les libéraux. Jaques déclara que ceux qui étaient en faveur du Bill voulait un État de con­trôles.

Irvine (Cariboo) et Reid (New-Westminster) fa­vorisèrent l'adoption du Bill. Wilfrid Lacroix prit ensuite la parole. Il s'adressa en français à Dorion. Le ton de sa voix s'éleva à des proportions qui failli­rent soulever le toit de la Chambre. "Ceux qui se promènent de ce temps-ci dans les lobbys du Parle­ment pour tuer le Bill 15 veulent donner le contrôle des prix aux Trusts et aux Cartels !"

Bracken répondit ensuite aux C.C.F. et aux Libéraux qui avaient attaqué l'attitude des "tories".

Malgré les cris "Questions ! Questions !" qui s'éle­vaient de tous les coins de la Chambre, M. Blackmore put ensuite parler quelques minutes. Il déclara que ce n'était pas des prérogatives de la Chambre de discuter sur le Bill 15 avant le consentement des premiers-ministres provinciaux.

M. St-Laurent avait droit de clore le débat. Il répondit d'abord à M. Blackmore. Il déclara qu'aucun premier-ministre provincial, ni qu'aucune province n'était responsable de la réimpression du Bill 15.

On procéda au vote.

L'amendement Dorion fut battu. Seuls, Lacombe, Hamel, Gagnon, Dorion et Héon l'appuyèrent.

Vint alors le vote de deuxième lecture. Les Libéraux et les C.C.F. ainsi que Fred Rose l'emportèrent sur les conservateurs-progressistes, les Créditistes, les Bloc­quistes et les trois indépendants de la Province de Québec.

Ce fut un débat très intéressant. L'atmosphère de la Chambre s'échauffa souvent. Depuis deux jours, les députés s'échangeaient ainsi de gros mots !

Dans la soirée, les députés se réunirent en "comité plénier" pour la Troisième lecture. Aujourd'hui en­core, ils continuaient ce débat.

Paul-Eugène DROLET.


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