Les Maisons du Trésor, s. v. p.

Louis Even le lundi, 15 octobre 1945. Dans L'économique

Crédit-choses, crédit-piastres

La province de Québec produit beaucoup de choses et peut en produire encore bien davantage si l'on n'y met pas obstacle, si, au contraire, les producteurs sont encouragés par le bon écoulement de leurs produits.

La province de Québec fournit de la nourriture, de la bonne et en abondance. Elle fournit des vêtements, et elle pourrait se passer des Juifs pour s'habiller. Elle fournit des matériaux de construc­tion de toutes sortes ; ni ses forêts ni ses carrières ne sont épuisées ; puis elle compte assez de maçons, de plombiers, de charpentiers, de menuisiers, pour construire et meubler des maisons pour toutes les familles.

La province de Québec a tout cela, et bien d'autres choses. C'est ce qui fait qu'on a confiance d'y pouvoir vivre. C'est cela qu'on appelle le cré­dit réel de la province. Son crédit réel, c'est son crédit-choses. Ce crédit est très grand. Il est le fruit de la générosité de la Providence, de la scien­ce appliquée et du travail de la population.

Lorsqu'on parle du crédit de la province, c'est à cela qu'on devrait penser. Dire que le crédit de la province diminue à cause de tel ou tel gouvernment, c'est absurde : le crédit réel de la province va en augmentant avec l'augmentation de la popu­lation et avec le développement de la science ap­pliquée.

Mais, les politiciens et d'autres, habitués à ne penser qu'à travers le prisme du système financier, ne pensent au crédit de la province qu'en termes de piastres. Pour eux, la province a un bon crédit quand elle peut facilement trouver des piastres ; elle a un mauvais crédit quand on lui rend les piastres difficiles à obtenir.

Cela, c'est le crédit-piastres, gouverné non pas par les réalités du pays, mais par le bon vouloir des banquiers et des courtiers à piastres.

Le crédit-piastres de la province varie. On l'a vu très bas, alors que le crédit-choses était très gros. Exemple : les dix années d'avant guerre.

Les piastres pour les choses

Pourtant, l'argent a été inventé pour écouler les produits. Donc les piastres devraient être en rapport avec les choses.

Des choses qui pourrissent et des hommes qui souffrent en face de ces choses, faute de piastres, c'est une absurdité criminelle qui devrait faire exiler ses auteurs en Patagonie.

Les créditistes comprennent cela. Ils le com­prennent parce qu'ils ne sont pas dans les nuages, quoi qu'en pense M. Lesage, député fédéral de Montmagny.

Mais les créditistes ne se contentent pas de le comprendre, ils veulent qu'il en soit ainsi. Ils veu­lent que les piastres soient en face des choses, entre les mains des hommes qui ont besoin des choses. Ils le veulent et sont déterminés à pren­dre les moyens de l'avoir.

Mettre les piastres en face des choses, cela ne ferait de mal à personne et cela ferait du bien à tout le monde, aux producteurs comme au con­sommateur.

Les piastres de la province d'après la produc­tion de la province.

Nous demandons la solution à Québec

Les créditistes de la province de Québec veulent donc le crédit financier, le crédit-piastres, en rap­port avec le crédit réel, en rapport avec le crédit-choses.

On leur répondra que c'est à Ottawa qu'il faut s'adresser pour régler la question monétaire. Et à Ottawa, on leur répondra qu'il faut régler la question monétaire sur le plan international, sur une base d'or, d'après les normes établies à Bretton Woods.

Nous n'avons pas l'intention d'aller au bout du monde pour trouver une solution à des problèmes de la province de Québec. C'est à Québec de les régler.

La production abondante de la province n'est faite ni à Ottawa, ni à Bretton Woods. Elle est faite dans la province, par les gens de la province. Et certainement, les consommateurs de la province sont les premiers ayant-droit à cette production.

Si tous les autres pays du monde disparaissaient, nous dirait-on de crever de faim en face de notre production, parce qu'il n'y aurait plus ni d'Ottawa ni de Bretton-Woods pour régler notre système de piastres ?

M. Duplessis parle beaucoup et bien de l'auto­nomie provinciale. Pourquoi donc va-t-il aux ban­ques et aux maisons de courtage pour mendier des piastres, quand c'est la province qui fait les choses ?

Si la production sort de la province, les piastres pour l'acheter doivent aussi sortir de la province, et aussi abondamment que la production. Si les banquiers, qui ne représentent pas le peuple, s'ar­rogent le privilège de faire les piastres et d'en déterminer la quantité, le gouvernement qui repré­sente le peuple est capable de se faire lui-même un moyen d'échange provincial pour financer l'écoule­ment dans la province de la production de la pro­vince.

On dira que la province n'a pas le droit de frapper des monnaies ni d'imprimer des piastres ; que ce droit a été réservé au fédéral, qui ne s'en sert même pas à propos.

Mais qu'est-ce qui empêche la province de se créer un moyen supplémentaire d'échange, à part du métal ou du papier.

La plus grosse partie du commerce aujourd'hui se fait sans pièces métalliques ni papier-monnaie, par de simples transferts de crédit dans les livres des déposants en banque.

Qu'est-ce qui empêche le gouvernement provincial d'inaugurer un système de dépôts et d'échan­ges de cette façon, et de combler les lacunes en grossissant les crédits des déposants lorsque la production offerte augmente ?

Les Maisons du Trésor

Il n'y a même plus besoin d'inventer une patente pour cela. La patente existe et fonctionne depuis sept ans en Alberta.

Comment ? Simplement par les Maisons du Tré­sor.

Les Maisons du Trésor sont des succursales du Trésor provincial, établies dans tous les centres où il y a des citoyens désireux de s'en servir.

Ces succursales n'existent pas pour aider au Trésorier de la Province à collecter des taxes, mais pour lui permettre de faire de l'argent provincial et le distribuer adéquatement aux citoyens de la province.

Avec des Maisons du Trésor en fonctionnement et bien soutenues par le peuple, le Trésorier pro­vincial n'irait plus frapper aux portes des faiseurs de piastres en endettant la province ; il ferait lui-même les piastres nécessaires pour répondre à la capacité de production de la province.

Tout cela a été expliqué et ré-expliqué dans plusieurs numéros du journal Vers Demain. Le gouvernement provincial a été approché à ce sujet. Mais rien ne s'est fait.

Nul ne peut servir deux maîtres

Rien ne s'est fait, et rien ne se fera tant que le gouvernement continuera à emprunter des ban­ques.

Les banques et les Maisons du Trésor sont deux institutions à objectifs contradictoires. Les ban­ques existent pour exploiter le peuple. Les Maisons du Trésor existent pour servir le peuple.

Si le gouvernement institue les Maisons du Tré­sor, les banques lui fermeront leurs portes. Elles ont fermé leurs portes au gouvernement d'Alberta. Mais le gouvernement d'Alberta a opté pour le peuple et s'est passé de tout prêt des banques depuis 1936. Il ne s'en porte pas plus mal.

Les Albertains ont de meilleures routes, de meil­leures écoles, de meilleurs hôpitaux, de meilleurs services de toutes sortes, et moins de dettes publi­ques qu'avant la décision du gouvernement cré­ditiste.

Les Albertains font la production albertaine. Le gouvernement d'Edmonton juge que c'est ridi­cule d'aller demander du crédit financier à ceux qui ne font point le crédit réel.

La production naît sous l'action du peuple ; l'ar­gent doit naître sous l'action du peuple par l'in­termédiaire de son gouvernement élu.

Pression contre pression

Mais les puissances d'argent font pression sur les gouvernements, sur tous les gouvernements, pour les tenir en tutelle. Elles disposent de leurs influences sur les moyens de publicité pour louer le système et dénigrer la demande d'un change­ment.

Si les gouvernements ne subissent que cette pression, ils ne changeront rien. Si le gouverne­ment de Québec n'a affaire qu'à la pression des financiers et des fournisseurs de caisse électorale que les prêteurs d'argent tiennent dans leurs grif­fes, rien ne changera.

Seule, une pression organisée, forte et persistan­te, de la part de citoyens éclairés et nombreux, fera le gouvernement ignorer l'autre pression.

Pression. Ou plutôt, pressions répétées et re­-répétées, en tout temps et en toutes occasions. En temps d'élections, en soutenant des candidats voués au peuple et non à des partis. En dehors des élections, par des résolutions passées en assem­blées, puis par des téléphones, des télégrammes, des lettres signées d'une ou de plusieurs personnes.

Sur qui les pressions ?

Sur qui exercer les pressions ? Sur nos représen­tants, sur nos députés. Eux seuls peuvent y être sensibles. Il est inutile de crier sur le banquier, il ne dépend pas des électeurs pour exercer ses fonc­tions. Mais le député, lui, a besoin des électeurs pour se faire ré-élire. C'est sur lui qu'il faut agir. C'est à lui qu'il faut faire entendre qu'il devra servir ou se préparer à déguerpir.

Le député ne prêtera pas l'attention à trois ou quatre personnes. Mais il sera sur les épines lors­qu'il sentira la pression de centaines d'électeurs organisés et décidés.

Lorsque nous voulons l'abolition des contrôles fédéraux, c'est sur les députés fédéraux que nous faisons pression. Pour la démobilisation aussi, par­ce que la mobilisation est venue d'Ottawa. Pour l'amnistie aussi, parce que la chasse aux conscrits vient d'Ottawa.

Mais pour avoir le crédit provincial au service de la production de la province ; pour avoir les Maisons du Trésor et libérer le gouvernement de la tutelle des banques, c'est sur les députés pro­vinciaux qu'il faut faire pression.

"Les Maisons du Trésor" — mot d'ordre des pressions sur nos députés provinciaux, tout de suite et semaine après semaine.

Pression par l'abonnement

Puis le journal Vers Demain partout, dans tou­tes les maisons : le député alors sentira que son attitude aura du retentissement, parce que le jour­nal Vers Demain dira à tous ses lecteurs ce que le député fait ou ce qu'il refuse de faire vis-à-vis de la demande de ses électeurs.

Louis Even

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