Le diable dont il est question dans ce titre, c'est le diable électoral, celui qui commence à déranger les esprits et qui va en troubler tout à fait un grand nombre le 11 juin prochain. Quand le diable est parti, le bon sens revient, mais le mal est fait et des effets demeurent.
Nous allons en prendre un exemple dans le petit village ouvrier de Beaupré, comté provincial de Montmorency.
Là comme ailleurs, il y eut des élections provinciales le 8 août dernier. Sur 728 électeurs inscrits, 555 seulement votèrent ; : Le vote se répartit comme suit ; : Vote libéral, 260 ; ; vote Union Nationale, 175 ; ; vote créditiste, 120.
Les deux tiers de la population étaient, ou avaient été pendant au moins une année, abonnés à Vers Demain, et tout indiquait des électeurs très favorables au Crédit Social. Pourtant, 173 jugèrent inutile de se déranger, 435 votèrent pour l'un ou l'autre des deux partis politiques, et 120 seulement se proclamèrent créditistes par leur vote.
Or, quatre mois plus tard, Antoine Bélanger et un autre créditiste passaient dans les familles de Beaupré, pour demander à ceux qui voulaient librement, de signer une pétition à M. Duplessis en faveur de la suppression de la taxe de vente et de son remplacement par un boni aux acheteurs, comme dans le système des Maisons du Trésor de l'Alberta.
M. Bélanger et ses compagnons ne faisaient aucune assemblée, ni aucun discours, ni aucune parade, ni aucune pression. Pourtant, 95 pour cent des personnes vues signaient avec empressement.
Ainsi, M. Bélair avait parcouru tout le comté de Montmorency, et plusieurs fois Beaupré, pour dire aux gens de demander le Crédit Social par leur vote du 8 août ; ; et le 8 août, seulement 17 pour cent des électeurs inscrits et 22 pour cent des votants demandaient officiellement le Crédit Social. C'est que le diable électoral était là. Le diable parti, 95 pour cent de la population demande sans hésiter un commencement de Crédit Social.
Est-ce que cela veut dire de laisser les élections de côté et de se contenter de faire des pressions en temps normal ; ?
Non. Les pressions en temps normal sont certainement à continuer, et plus elles seront fortes, plus elles auront de chance d'obtenir quelque chose. Mais, si, en temps d'élection, le vote créditiste avait été plus gros, la pression faite depuis produirait plus d'impression.
Quand même 95 pour cent de la population de Beaupré se montre créditiste après l'élection, M. Dumoulin, député élu le 8 août, peut toujours se dire ; : Ils étaient aussi créditistes avant le 8 août, mais j'ai gagné quand même, parce que la machine du parti libéral était là, et elle y sera encore aux prochaines élections. Et M. Dumoulin, tout en continuant de recevoir avec courtoisie les créditistes qui vont le voir, peut envoyer leurs demandes aux calendes grecques et dormir sur ses deux oreilles.
Mais, si le 8 août, le vote créditiste, sans même gagner, avait serré de près le vote libéral, M. Dumoulin se demanderait s'il n'est pas sage, pour son avenir politique, de songer à faire plus attention aux aspirations croissantes des électeurs qu'aux décisions du parti.
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C'est pour cela que, cette année, nous invitons les créditistes de toute la province à pousser le plus possible de "candidats des électeurs" (en opposition aux candidats de partis), pour donner aux créditistes de tous ces comtés l'occasion de demander officiellement, par leur vote, le Crédit Social, la libération économique et politique. Puis de donner sans hésiter leur vote au "candidat des électeurs",'quand même ils n'auraient aucune chance de gagner l'élection, car le vote lui-même est un gain, c'est l'enregistrement officiel d'une demande.
Si, sous prétexte de voter du côté qui semble avoir la chance de gagner, des créditistes donnent leur bulletin à un candidat de parti, ils trahissent tout ce qu'ils prêchent, ils jettent leurs armes au pied des partis politiques, et leurs pressions ultérieures, sans être inutiles, sont loin d'avoir le même poids. On affronte mal une mitrailleuse quand on ne sait même pas utiliser son simple fusil.
La tactique des créditistes, c'est de prendre, en tout temps, tous les moyens à leur disposition pour promouvoir leur mouvement, augmenter leur force et manifester cette force. L'élection qui approche est un excellent moyen, mis à leur disposition par le gouvernement fédéral, pour manifester jusqu'à quel degré le Crédit Social est rendu dans la province de Québec. Sans gagner l'élection, même sans gagner un seul siège, on peut tout de même montrer au gouvernement élu qu'il y a un mouvement qui prend de l'ampleur et qu'il ne devra pas ignorer dans ses actes administratifs. Les créditistes seraient fort mal inspirés de manquer cette occasion unique et de noyer leurs votes avec les votes arriérés des partis politiques.