Extraits du discours prononcé à la Chambre des Communes, le 18 septembre, par Walter Kuhl, député créditiste de Jasper-Edson (Alberta) :
Les honorables députés, à l'exception de ceux du groupe créditiste, ont répété fastidieusement, les uns après les autres, que le pays devait obtenir avant tout l'emploi intégral. Ils parlent d'un ordre nouveau, d'un nouveau mode de vie, d'une nouvelle attitude.
Dites-moi : qu'est-ce que l'emploi intégral présente de nouveau ? Le travail existe depuis toujours et est aussi ancien que Mathusalem.
La plupart des honorables députés, pour se faire élire, ont promis qu'ils verraient à l'emploi intégral. J'ai écouté des discours à la radio et les orateurs publics. Ils proclamaient invariablement : "Élisez-moi, et je vous donnerai du travail."
Pour ma part, j'ai procédé différemment. J'ai dit à mes électeurs que, s'ils jugeaient bon de me réélire, je tenterais d'obtenir des loisirs pour tout le monde...
Si nous n'exigeons de la vie que l'emploi intégral et une occupation, pourquoi nous sommes-nous défaits d'Adolf Hitler ? Hitler a donné au monde du travail, comme jamais il n'en avait vu auparavant. Il pourrait trouver plus d'emplois en un jour que n'a pu le faire le premier-ministre (Mackenzie King) pendant toute sa vie. Hitler a d'abord mis tous les Allemands à l'ouvrage, ensuite toute l'Europe, et éventuellement le monde entier.
Ceux qui ont été élus en préconisant l'emploi pour tous ont parlé en faveur d'un projet irréalisable autant qu'inopportun.
Certains honorables députés qui ont pris part au débat m'ont ébahi. On dirait que nous sommes revenus au temps des chars à bœufs, alors que les gens gagnaient de leurs deux mains à peine de quoi vivre.
Or chacun sait, qu'il soit industriel, homme de profession, cultivateur ou n'importe quoi, chacun sait fort bien que nous vivons dans le siècle le plus avancé, grâce au machinisme et aux méthodes de production en masse les plus perfectionnées que l'homme ait jamais connues.
Partout où vous allez, que ce soit dans une usine, une mine ou sur une ferme, vous voyez une machine, conduite par un homme, faire le travail de centaines et peut-être de milliers d'hommes.
Songez à ce qui s'est passé pendant la guerre. Environ deux millions de nos plus habiles ouvriers étaient en chômage, du moins en ce qui concerne la production de denrées essentielles. Ils ne produisaient rien de ce qui aurait enrichi notre existence, mais, au contraire, des choses qui ont été détruites et anéanties. Et pourtant, en dépit de ces deux millions qui ne produisaient rien pour la consommation, ceux qui restaient à l'œuvre confectionnaient tout ce qui nous était nécessaire, pour nous aussi bien que pour les deux millions, et sur une plus grande échelle que nous ne l'avions fait depuis quinze ou vingt ans.
Voilà qui indique, à coup sûr, qu'un nouveau facteur est entré dans notre vie nationale et que l'histoire de l'humanité n'avait pas encore connu : la puissance de la machine...
Les moyens de remplacer le labeur humain caractérisent aujourd'hui toutes les industries, y compris l'agriculture. Un père et son fils peuvent, de nos jours, accomplir sur la ferme ce qui jadis eût exigé toute une équipe.
La même chose s'applique à toutes les industries. Je le demande donc en toute sincérité : comment, dans les circonstances présentes, pourrait-on logiquement croire à la possibilité d'emplois pour tous ceux qui veulent travailler ?
Les heures de travail sont limitées. Si la fabrication d'une certaine unité de production exige quatre heures de travail, comment peut-on logiquement prétendre qu'il faille y consacrer huit heures ? C'est pourtant ce que laissent entendre ceux qui réclament l'emploi intégral.
Le seul argument plausible qu'on m'ait fourni pour soutenir que la machine ne déplace pas l'emploi, c'est que la fabrication de la machine exigeait de la main-d'œuvre. Mais les machines seraient-elles fabriquées à la main par hasard ? Mais non, elles le sont au moyen d'autres machines.
Aujourd'hui, les emplois, pour une grande part, consistent à presser des boutons et à actionner des leviers...
Je n'ai pas entendu un seul membre de la Chambre déclarer nettement s'il considérait l'embauchage intégral comme une fin ou comme un moyen d'atteindre une fin. Je suis d'avis que tout député qui aborde ce sujet devrait se prononcer nettement.
Pour ma part, je considère que l'emploi, le travail, n'est pas une fin en soi, mais un moyen d'atteindre un but, et je crois que ce problème ne devrait jamais être envisagé autrement...
Voulons-nous construire des routes pour procurer des emplois, ou parce que nous avons besoin de chemins ? Construirons-nous des ponts pour créer des emplois, ou parce que nous avons besoin de ponts ? Désirons-nous bâtir des habitations pour éviter le chômage, ou pour y loger des gens ?
À mon avis, la seule attitude logique à prendre, c'est qu'il faut construire des routes, des maisons, des ponts, des écoles et des hôpitaux, à cause de leur utilité intrinsèque, et non pas simplement en vue de créer du travail. Si tous ces projets pouvaient être exécutés par quelques individus assis tranquillement dans leurs bureaux, en tirant des leviers et en pressant des boutons, mais tant mieux !
Les libéraux et les conservateurs plaident à la Chambre la cause de l'entreprise privée. Je désire aussi le faire, car comme partisan du Crédit Social, j'ai foi dans l'entreprise privée.
Les libéraux et les conservateurs rendent cependant, à leur insu, un très mauvais service à l'entreprise privée en lui confiant une responsabilité qui ne lui appartient pas ; et ils s'exposent, par le fait même, à une accusation de premier ordre par les socialistes et les communistes, lorsque l'entreprise privée n'accomplit pas cette fonction qui ne lui appartient pas.
Les libéraux et les conservateurs, en effet, tiennent comme établi que l'entreprise privée a le devoir et la responsabilité de fournir de l'emploi. Ils assument cette responsabilité au nom de l'entreprise privée.
Telle n'est pas la fin de l'entreprise privée.
Les membres de la C.C.F. eux-mêmes qui exploitent des entreprises ou qui possèdent des fermes, emploient-ils des ouvriers lorsqu'ils n'en ont pas besoin ? Non, ils embauchent des ouvriers lorsqu'ils en ont besoin, et ils les congédient lorsqu'ils n'ont plus de travail à leur donner.
J'affirme qu'il n'est ni du devoir ni de la responsabilité de l'entreprise privée de fournir de l'emploi à qui que ce soit. Son seul devoir, sa seule fonction, c'est de fournir des produits.
Nous devons reconnaître deux choses, dont la première est que les heures nécessaires de travail vont en diminuant. Parce que nous sommes entrés dans une ère de puissance motrice et de production massive, il nous faut nous faire à cette idée du nombre toujours décroissant des heures de travail, même avec un volume toujours croissant de produits.
Autre idée à laquelle nous devrons nous faire : c'est celle d'une nouvelle source de revenu, en plus des salaires au travail. Ce qui me préoccupe, du point de vue de ceux que j'ai l'honneur de représenter, ce n'est pas de leur trouver des emplois, mais de leur assurer des revenus — ce qui est tout différent.
La raison pour laquelle il nous faut nous faire à ces idées saute aux yeux. Si une machine remplace 100, 500 ou 1,000 hommes, il va de soi qu'elle change aussi les salaires de place. Elle enlève les salaires aux hommes déplacés.
Or les produits de la machine s'amoncellent sans cesse, l'offre en augmente toujours, mais personne n'a le revenu suffisant pour les acheter.
Il importe donc, en tout premier lieu, de dresser un bilan national. La nation canadienne ne l'a encore jamais fait.
D'une part, nous devons préparer l'inventaire réel de nos richesses et, d'autre part, établir quelle est la puissance d'achat de la population. Je suis certain que la comparaison des résultats ainsi obtenus établira qu'il manque à la population de 40 à 50 cents par dollar.
Nous entendons beaucoup parler, surtout de la part des socialistes, d'une redistribution des bénéfices. Je les mets au défi de régler le problème de la distribution des marchandises par une simple redistribution des bénéfices. Lorsqu'ils auront redistribué tous les bénéfices, ils seront encore à court d'argent pour distribuer la marchandise.
Il faut donc nous faire à l'idée d'une nouvelle source de puissance d'achat. Aucun rajustement des salaires ou des prix, soit au producteur primaire, soit au producteur secondaire, ne saurait être un remède suffisant. Il faut qu'il y ait une autre source de revenu, et cette source de revenu doit être créée par la Banque du Canada et distribuée aux consommateurs (dividende national).
La majeure partie de la discussion, jusqu'à présent, a porté sur la question de la sécurité à donner aux gens. Les honorables députés ont, à tour de rôle, exposé de quelle manière on pourrait obtenir cette sécurité, mais combien ont parlé de la liberté de l'individu ?
Combien d'honorables députés ont traité cette question en détail ? Je croyais pourtant que c'était pour cela que nous nous étions battus. J'aimerais entendre les honorables députés me donner une définition de la liberté.
Qu'est-ce donc que la liberté ? Quand un homme est-il libre, et quand ne l'est-il pas ?
À en juger par les observations de certains députés, on croirait que la liberté ne comporte rien autre qu'un ventre bien rempli et un dos bien chaud. Je suis d'avis que la liberté est plus que cela, car ce genre de liberté est celui d'un esclave.
Je pense que personne ne jouit de la liberté s'il n'a pas la liberté de choix : la liberté de choisir, de prendre ou rejeter une chose à la fois.
Les Canadiens ne jouiront pas de la liberté, tant qu'ils ne seront pas d'abord assurés de la sécurité. Il faut leur permettre de jouir de leur patrimoine, lequel est très important ; ils doivent pouvoir en jouir, qu'ils travaillent ou qu'ils chôment. En plus de cela, ils doivent avoir le droit d'accroître leur pouvoir d'achat, en obtenant l'emploi nécessaire, qu'ils choisissent eux-mêmes.
Walter F. KUHL.