M. Paul-Eugène Drolet est allé passer quelques jours à Ottawa, à titre de journaliste de Vers Demain, pour suivre la discussion sur le Bill 15.
Voici le rapport qu'il nous envoie de la journée du 5 décembre.
Ottawa, le 6 décembre 1945
Chers Directeurs,
Le fameux Bill 15 a été voté hier après-midi en deuxième lecture. Le débat avait duré toute la journée.
Dans l'avant-midi, Liguori Lacombe a fait un bon discours en français. Je vous envoie le texte qui a été remis aux membres français de la Galerie de la Presse. Les créditistes Quelch et Hansell se sont aussi levés.
Pour ce qui est de Quelch, de la Galerie de la Presse, nous n'avons à peu près rien compris. M. Quelch parle passablement fort, mais il a un accent impossible.
Hansell s'est prononcé contre le Bill. Il a fait un discours plein d'esprit. Après avoir provoqué la colère de Howe, il sut l'apaiser par quelques saillies très spirituelles. On pouvait voir Howe se tordre de rire à son pupitre.
Dans l'après-midi, les libéraux sont passés à l'offensive. Depuis la veille qu'ils encaissaient les coups. À part Gardiner, aucun libéral n'avait osé se prononcer jusque-là.
Gour (Russell) a comparé le Bill 15 à une opération chirurgicale qui s'imposait. Ça fait mal une opération, mais c'est souvent nécessaire...
Puis, Dorion fit recommencer la lutte du côté de l'opposition. Il dénonça le Bill-15 comme sapant la base du pacte confédératif. Il interrogea directement le ministre de la Justice : "Nous avons le droit de savoir quels sont les Premiers-ministres provinciaux qui se sont opposés au Bill, et quels sont ceux qui l'ont approuvés, s'il y en a !" Et les rouges plus agressifs que jamais de lui répondre : "Demande-le à ton chef !" "Demande-le à Maurice !"
L'Orateur dut rappeler le député de Charlevoix à l'ordre lorsqu'il voulut discuter le "nouveau" Bill 15.
M. Dorion présenta aussi un amendement pour remettre le projet du Bill 15 à six mois. Il fut secondé par M. Gagnon.
Puis, Héon tenta de réchauffer les oppositionistes du Bill. Son allocution fut enflammée. "Il faut rétablir la suprématie du Parlement. La question en jeu : un monde de contrôle ou un monde de liberté !"
Il fut suivi de Fred Rose qui tenta d'annuler l'effet des deux derniers orateurs. Le communiste en Chambre est très gesticuleux. Il parle vite et s'échauffe facilement. Il dénonça la Ligue des Propriétaires de Montréal. Il lut (en bon français) la lettre que ce groupe avait envoyé à Liguori Lacombe.
Puis Monross de London fit de nouveau pencher la balance contre le Bill par son exposé spirituel du monde des contrôles. Il fit même rire M. St-Laurent.
Jaques, créditiste, se leva ensuite, mais il faillit ne pas avoir la chance de parler. On demandait le vote chez les libéraux. Jaques déclara que ceux qui étaient en faveur du Bill voulait un État de contrôles.
Irvine (Cariboo) et Reid (New-Westminster) favorisèrent l'adoption du Bill. Wilfrid Lacroix prit ensuite la parole. Il s'adressa en français à Dorion. Le ton de sa voix s'éleva à des proportions qui faillirent soulever le toit de la Chambre. "Ceux qui se promènent de ce temps-ci dans les lobbys du Parlement pour tuer le Bill 15 veulent donner le contrôle des prix aux Trusts et aux Cartels !"
Bracken répondit ensuite aux C.C.F. et aux Libéraux qui avaient attaqué l'attitude des "tories".
Malgré les cris "Questions ! Questions !" qui s'élevaient de tous les coins de la Chambre, M. Blackmore put ensuite parler quelques minutes. Il déclara que ce n'était pas des prérogatives de la Chambre de discuter sur le Bill 15 avant le consentement des premiers-ministres provinciaux.
M. St-Laurent avait droit de clore le débat. Il répondit d'abord à M. Blackmore. Il déclara qu'aucun premier-ministre provincial, ni qu'aucune province n'était responsable de la réimpression du Bill 15.
On procéda au vote.
L'amendement Dorion fut battu. Seuls, Lacombe, Hamel, Gagnon, Dorion et Héon l'appuyèrent.
Vint alors le vote de deuxième lecture. Les Libéraux et les C.C.F. ainsi que Fred Rose l'emportèrent sur les conservateurs-progressistes, les Créditistes, les Blocquistes et les trois indépendants de la Province de Québec.
Ce fut un débat très intéressant. L'atmosphère de la Chambre s'échauffa souvent. Depuis deux jours, les députés s'échangeaient ainsi de gros mots !
Dans la soirée, les députés se réunirent en "comité plénier" pour la Troisième lecture. Aujourd'hui encore, ils continuaient ce débat.
Paul-Eugène DROLET