Votre responsabilité, députés

Gilberte Côté le samedi, 15 septembre 1945. Dans La politique

Le texte qui suit est extrait d'une causerie préparée pour radiodiffusion quelques jours avant l'ouverture de la session fédérale. Le parlement siège actuellement à Ottawa ; depuis le 6 sep­tembre.

Députés pour servir

Messieurs les députés qui vous préparez à entrer en session à Ottawa, les électeurs de la province de Québec ont quelque chose à vous dire. Ils ne vous parleront pas le langage du parti qui vous a fait élire. Ils ne vous diront pas de faire comme les au­tres, de prendre vos directives dans les caucus de votre parti. Non, non.

Les électeurs de la province de Québec ont des besoins, des désirs, des volontés qu'ils veulent faire respecter par le gouvernement d'Ottawa. Et com­me vous êtes les représentants du peuple de la pro­vince de Québec ; c'est vous-mêmes, messieurs nos députés fédéraux, que les électeurs chargent de porter leurs messages à Ottawa.

Porter nos messages, comme nos délégués à Ot­tawa, voilà bien votre rôle.

Certains députés se jugent insultés lorsqu'on leur dit qu'ils sont les messagers, les délégués des électeurs. Mais la fonction est digne. Vous avez été choisis par vos compatriotes, les bâtisseurs du pays, vous avez été choisis par eux pour faire des lois pour eux, des lois qui servent vos électeurs.

Messieurs les députés, vous craignez de vous abaisser en servant le peuple ? Mais c'est une noble fonction. Ne savez-vous pas que les plus grands chefs sont ceux qui se font les plus grands servi­teurs ?

Les électeurs, que vous représentez, ont mis leur confiance en vous pour la grande mission de servir le bien commun, pour la grande mission de faire respecter leurs droits et leurs volontés légitimes. Souffrez donc que vos électeurs vous disent un peu quelles sont leurs volontés pour la session fédérale qui s'ouvrira le jeudi, 6 septembre.

Le retour de nos libertés

Pendant la guerre, le gouvernement fédéral nous a enlevé la liberté de notre corps, la liberté de notre travail, la liberté de nos produits, la liberté de nos approvisionnements. Par toutes sortes de petits dictateurs, qu'on appelle régisseurs ou contrôleurs, non responsables aux députés ni au peuple, toutes ces libertés nous furent enlevées les unes après les autres. Et aux délinquants, la police, les amendes et la prison, comme en pays de Gestapo ou de Gué­péou.

La guerre est finie. Ces petites et grandes dicta­tures devraient avoir cessé. Qu'est-ce qu'on attend donc pour nous redonner nos libertés ?

Loin de là, les rationnements et les régies s'ac­centuent. On recommence le rationnement sur la viande, plus strict que pendant la guerre. Les cou­pons de beurre sont de plus en plus rares. On di­minue de moitié notre ration de sucre. Y a-t-il donc moins de bras pour produire ces choses, maintenant qu'il y en a moins d'occupés à semer la mort ?

La guerre est finie. Mais des ministres du Cana­da sont allés faire un petit tour à San Francisco récemment. Et à San Francisco, il y avait le repré­sentant du plus grand rationneux de l'univers, d'un rationneux qui est en même temps un bandit de profession, Joseph Staline. Le représentant de Sta­line était sévère et exigeant à San Francisco. Il faut croire qu'il en a imposé aux représentants des au­tres nations. Toujours est-il que notre gouverne­ment en est revenu avec un programme de ration­nement plus prononcé.

On dirait qu'il a été convenu que l'Amérique va nourrir l'Europe. Nous ne sommes pas opposés à l'aide à ceux qui sont dans la détresse : c'est hu­main et chrétien. Mais, pendant que l'Amérique produit pour nourrir l'Europe, les pays d'Europe continuent à s'entraîner à la guerre, au lieu de dé­velopper leur production au maximum. La Russie et les pays sous le contrôle de la Russie s'arment de plus en plus. Jusqu'aux jeunes gens de 14 ans qui y subissent un entraînement militaire. Pendant que l'Amérique nourrit l'Europe, l'Europe se pré­pare à la guerre. Est-ce pour écraser l'Amérique nourricière dans quelques années ? Allons-nous, d'Amérique, jouer le rôle de gogos jusqu'à ce point-là ?

Commission des Prix et Service Sélectif

Nous comptons sur vous, messieurs les députés, sur votre session d'automne, pour nous délivrez des commissions dictatoriales.

Vous savez bien que c'est la volonté de tout le monde, sauf peut-être des bureaucrates intéressés. Vous savez bien que nous en avons assez de la Commission des Prix, de sa police, de ses inspec­teurs, de ses enregistrements, de ses formules, de ses permis, de ses amendes, etc.

Sans doute que personne ne veut de l'inflation ; personne ne veut d'une hausse des prix, bien au contraire. Mais, messieurs les députés, vous savez comme nous que le seul moyen logique de freiner ou d'abaisser les prix, c'est d'augmenter la quan­tité de produits. On n'augmente pas les produits quand on multiplie les bureaucrates et qu'on fait perdre le temps aux producteurs avec des formules et des rapports qui ne haussent pas la production de beurre ou de sucre d'une seule once.

Nous en avons assez du Service Sélectif, qui nous traite comme des chiens, nous, les, propriétaires du Canada. Après avoir fait la queue pendant dix ans aux guichets de la Commission du Chômage, il nous faut maintenant faire la queue aux guichets du Service Sélectif. C'est par centaines et par mil­liers que des hommes doivent attendre, des heures et des jours, la permission des bureaucrates du Service Sélectif pour pouvoir mettre leurs bras et leurs cerveaux à l'ouvrage. Est-ce ainsi que le pays deviendra prospère, en paralysant, tantôt par le chômage, tantôt par la dictature, les bras et les cerveaux qui veulent produire la richesse ?

Liberté et paix aux jeunes

Nous en avons assez, messieurs les députés, de la conscription militaire ; assez de voir nos jeunes gens dans les camps d'entraînement, à rien faire quand il y a tant à faire dans le pays ; assez de souffrir la police à ramasser les conscrits comme s'il y avait encore des ennemis à combattre ; assez, sur­tout, des punitions inhumaines et sans aucun avan­tage pour le pays, infligées aux jeunes gens qu'on ne trouve pas en règle avec l'armée.

Messieurs les députés, avant de vous coller à vos fauteuils bourrés d'Ottawa, pourquoi ne faites-vous pas un petit tour dans les prisons militaires ? Pourquoi ne goûtez-vous pas à la soupane ou au pain sec qu'on y sert à nos fils et à nos frères ? Vou­driez-vous goûter à cette vie de détenus, entre quatre murs étroits, avec un grabat pour la nuit, dans un air corrompu, sous les yeux de gardes sans entrailles ?

Un député, celui de Kamouraska, monsieur Mar­quis, disait récemment à l'un de ses électeurs que les délinquants n'avaient qu'à se présenter, que leur punition serait légère, seulement vingt-huit jours de détention. Mettez-vous-y donc seulement pendant la moitié de vingt-huit jours, cher mon­sieur, et vous nous direz ensuite si c'est court et bénin. Nous avons d'ailleurs eu connaissance de cas allant jusqu'à neuf mois.

Qu'est-ce que ces punitions vont donner aux victimes ? Le respect ou la haine de l'autorité ? Le régime de gendarmes n'inspire jamais que la crain­te et le désir de s'en débarrasser.

Et qu'est-ce que ces punitions vont donner aux autres ? De quel avantage vont-elles être pour ga­gner une guerre qui est finie, ou pour remettre sur pied de paix un pays qui a surtout besoin du concours de tous ses enfants ?

Nous en avons assez, de cette persécution inu­tile, entendez-vous, messieurs les députés ?

Votre responsabilité

Et n'allez pas dire que vous n'y pouvez rien. Êtes-vous député, oui ou non ?

"Oui, répondez-vous peut-être, mais justement je ne suis que député, je ne suis pas le gouvernement ; je ne puis que voter au Parlement, et c'est tout."

Messieurs les députés, savez-vous ce que c'est qu'un homme responsable ? Un homme responsa­ble, c'est celui qui prend une fonction sur lui, et qui s'engage à la REMPLIR, coûte que coûte.

Vous l'avez assez prêché aux jeunes, lorsque vous avez voté la conscription et que vos émissai­res ont ramassé les jeunes gens du pays pour aller, disiez-vous, défendre le pays, le vôtre autant que le leur. On leur tenait ce langage :

"Jeunes gens du Canada, vous êtes responsables de votre pays ! Responsables, jeunes gens, cela veut dire faire tout pour le sauver — endosser l'habit kaki, prendre le fusil, quitter votre famille, aban­donner votre avenir, traverser les mers et aller vous exposer à la mort. Responsable de son pays, jeunes gens, cela veut dire être prêt à mourir pour son pays."

Eh ! bien, souffrez qu'on vous le renvoie aujour­d'hui, ce langage, à vous, messieurs les sages de la nation. Votre fonction de députés vous confère certainement au moins un aussi gros degré de res­ponsabilité.

Responsables, cela ne veut pas seulement dire s'asseoir et voter au Parlement. Cela ne veut pas seulement dire se battre au Parlement. Cela veut dire tout faire pour le bien de ceux qui vous ont choisis comme leurs mandataires. Cela veut dire tout, même mourir, s'il le faut, pour votre pays.

Vos électeurs attendent de vous que vous brisiez les obstacles à leur liberté et à leur prospérité.

* * *

Vous entendrez sûrement leur voix. C'est la voix des jeunes qui sont morts pour leur pays. C'est la voix de leurs frères qui sont blessés, qui ont sacrifié leurs membres et peut-être leur cerveau. Cette voix-là, c'est aussi la voix des mères qui ont tant pleuré pendant la crise et pendant la guerre. C'est la voix des pères de famille dont les cheveux ont blanchi dans le désespoir et les soucis.

Cette voix-là, elle s'adresse à vous qui partez pour le Parlement. Elle vous répète : Vous êtes responsables jusqu'au bout de vos forces, jusqu'à la mort s'il le faut. Tout notre avenir et celui de nos enfants est entre vos mains.

Nous voulons la prospérité : le Canada est assez riche pour nous la donner. Nous voulons la liberté : vous devez être assez courageux pour nous la ga­rantir.

Gilberte Côté

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