La guerre n'est pas terminée

Louis Even le jeudi, 01 novembre 1945. Dans Éditorial

Officiellement, le Canada est encore en état de guerre. C'est ce qu'on dit à Ottawa.

Le gouvernement canadien a fait célébrer la vic­toire, mais il ne veut pas déclarer la guerre termi­née. Pourquoi ?

Parce que, s'il déclare la guerre terminée, sa loi des mesures de guerre tombe. Le gouvernement par des décrets tombe. Les commissions dictato­riales tombent. Le pouvoir souverain de Gordon tombe. Le Service Sélectif tombe. L'entraînement militaire obligatoire tombe. La chasse aux cons­crits tombe. Les régies de toutes sortes tombent.

Et le gouvernement veut garder cela.

Un des buts de guerre, pas avoué, c'est de met­tre partout la vie des citoyens sous le contrôle de l'État. L'autre guerre avait donné la Russie enré­gimentée par l'État. Cette guerre-ci, brusquement terminée, risquait de passer sans conquête pour les camisoleurs d'humanité.

Aussi, en Angleterre, où le parti travailliste (la C.C.F. d'Angleterre) est au pouvoir, le gouver­nement s'est hâté de se faire voter les pleins pou­voirs pour cinq ans : le droit, pendant cinq ans, de faire comme pendant la guerre, de se passer du Parlement quand il veut et de gouverner par des mesures d'urgence.

Et c'est ce qu'on veut établir au Canada. Le bill 15, présenté par l'Hon. St-Laurent au nom du gouvernement, reçu en première lecture le 5 octo­bre, demande les pleins pouvoirs, plus étendus en­core que pendant la guerre, au moins pour une autre année, renouvelable au bout de ce temps.

Lorsque le bill sera devenu loi, les contrôles de guerre deviendront des contrôles de paix, et alors seulement le gouvernement déclarera la guerre officiellement finie. Il aura atteint le but de la guerre : une coupe dans la liberté.

C'est un bill inique, auquel doivent s'opposer vigoureusement tous les amants de la liberté. Les créditistes en sont.

Maintenant que les hostilités sont terminées, le gouvernement n'a aucune raison de s'arroger les pouvoirs d'urgence. Si des circonstances réclament des mesures d'urgence, qu'il s'adresse au Parle­ment quand les cas surgissent.

Les ministres ne sont plus absorbés par les acti­vités de guerre, ils peuvent revenir au régime par­lementaire. Quant aux députés, ils peuvent siéger plus souvent et plus longtemps si nécessaire. L'augmentation de $2,000 dans leur indemnité doit y pourvoir. En tout cas, la défense des droits démocratiques et la sauvegarde de l'inviolabilité de la personne valent bien tous les dérangements. Les bureaucrates, genre Gordon, et leurs ser­viteurs de la politique, doivent apprendre que le public de paix n'est pas le public de guerre. S'il est composé des mêmes hommes, ce ne sont plus des hommes prêts à s'immoler pour un empire menacé, mais des hommes qui veulent avoir le droit d'or­ganiser eux-mêmes leur propre vie, sans entraves de la part du gouvernement ou de l'avilissante bureaucratie.

Louis Even

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