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Conférence en quatre parties, sur le Crédit Social (suite)

Louis Even le samedi, 01 décembre 1945. Dans Le Crédit Social enseigné par Louis Even

2. Une part assurée à tous et à chacun

Mais, faisons un peu le point, pour trouver au juste ce qui est de travers, parce qu'il y a une cause ou des causes principales à tous ces désordres-là. Nous saurons mieux ensuite ce qu'il faut faire pour les corriger.

Pourquoi la société ?

Lorsque plusieurs individus se mettent ensem­ble, pour exécuter un ouvrage, comme pour les "corvées", ou pour former une coopérative, une petite société quelconque, pourquoi se mettent-ils ensemble ?

Ils se mettent ensemble, évidemment, pour faire mieux, plus facilement, plus vite, avec moins de fatigues, des choses qu'ils s'accordent à trou­ver utiles.

Voici quarante coopérateurs. Pourquoi se sont-ils organisés en coopérative ? Pour tirer des avan­tages de leur coopérative ; pour obtenir ce que chacun d'eux veut avoir, mais l'obtenir plus facilement que si chacun travaillait isolément.

Si le conseil de direction disait : Notre coopéra­tive compte 40 membres ; eh bien, 25 seulement vont tirer des avantages, les 15 autres devront se contenter de payer — qu'est-ce qui arriverait ? Les 15 sortiraient de la coopérative, n'est-ce pas ? Ils diraient : Cette association-là n'est pas faite pour nous. Et ils auraient raison ; ils seraient fous de rester dans la coopérative.

Toute association existe pour le bien de tous et chacun de ses membres. Tous et chacun, sans ex­ception, ou bien elle est mal organisée.

Voici maintenant la grande association, la so­ciété. La société canadienne au Canada. Est-ce qu'elle ferait exception ? Est-ce que cette société-là n'existe pas pour le bien de tous et de chacun de ses membres ?

Certainement. D'autant plus qu'on ne peut pas sortir de la société. Ce n'est pas une association libre comme la coopérative. C'est une association forcée dans laquelle l'individu entre en naissant. Raison de plus pour voir à ce que cette société, à laquelle on ne peut pas échapper, soit organisée pour le bien de tous et de chacun de ses membres.

Tous et chacun

Si la société ne fait pas cela, si elle ne voit pas à ce que tous et chacun de ses membres en tirent des avantages, elle est mal organisée. Plus il y aura de membres frustrés, de membres qui ne reçoivent pas leur part d'avantages, plus la société sera détestée, plus elle prêtera le flanc aux anarchistes, aux communistes.

Tous et chacun. Si donc il y a dans notre pays une seule famille qui n'a rien, qui est privée de tout, cette famille ne reçoit pas sa part des avantages de la société, et la société est mal organisée.

Le but spécifique de la société civile, c'est de favoriser la prospérité temporelle de tous et de chacun de ses membres. Si, au lieu de faciliter la prospérité de tous et de chacun, elle fait l'affaire seulement de ceux qui pillent les autres, elle est tout à fait à l'envers.

Le Pape lui-même nous dit que la société temporelle doit assurer à tous et à chacun une part des biens de la terre. Voici sa phrase :

"L'organisme social et économique sera bon et sainement constitué alors seulement qu'il procurera à tous et à chacun de ses membres une part des biens que les ressources de la nature et de l'industrie, ainsi que l'organisation vraiment sociale du système économique, permettent de leur procurer".

Il ajoute :

"Cette part doit être suffisante pour leur assurer au moins une honnête subsistance".

(Quadragesimo Anno)

Tous et chacun. Une honnête subsistance assurée. Voilà un programme. Le programme d'une société bien organisée. Et c'est cela que nous allons prendre comme objectif à poursuivre.

Comme il s'agit d'une société et de ses membres, il ne faudra pas oublier que les membres, à leur tour, sont tenus de s'occuper de leur société, comme les coopérateurs sont tenus de s'occuper de leur coopérative. Ils sont tenus au moins d'exercer leur surveillance de membres, et de rappeler à l'ordre les gérants lorsqu'ils vont à l'encontre du bien de tous et de chacun des membres. Et c'est là ce qui nous guidera lorsque nous viendrons à étudier les moyens pour atteindre l'objectif.

Tous et chacun pour ce qu'on attend de la so­ciété. Tous et chacun pour veiller à ce que la so­ciété réponde à ce but.

La société organisée pour tous et chacun. Tous et chacun organisés pour maintenir la société dans la bonne voie.

L'assurance d'une part à chacun

Lorsqu'on dit TOUS et CHACUN, cela veut dire : tous sans exception, sans aucune exception.

Tous et chacun des membres de la société, cela veut donc dire : chaque homme, chaque femme, chaque enfant, tant qu'il est membre de la société, depuis sa naissance jusqu'à sa mort.

Une part des biens de la nature et de l'indus­trie garantie à tous et à chacun, cela veut dire que chacun, du seul fait de sa naissance, doit être as­suré socialement au moins d'une part minimum des biens de la terre, jusqu'à sa mort.

Voilà qui paraît nouveau à plusieurs. Voilà pourtant qui est très catholique, en même temps que très social et très humain.

C'est pourtant là qu'on rencontre le plus d'oppo­sition, lorsqu'il est question de Crédit Social. On admet que ceux qui travaillent doivent avoir une part des biens de la terre, le fruit de leur travail. Mais on veut exclure ceux qui ne travaillent pas.

Tout de suite, ce n'est plus TOUS et CHACUN. Tout de suite, on refuse sa part à l'enfant, au ma­lade, à la femme qui travaille à la maison sans salaire, à l'infirme, au vieillard. On les met à la charge de quelques autres qui doivent, eux, se pri­ver, pour les secourir. Ou bien, si la société leur donne des allocations, ce n'est qu'après un examen minutieux, en lésinant et en leur faisant bien sen­tir qu'ils sont comme des mendiants à la charge de la société. Ils n'obtiennent pas leur part comme un droit, mais comme une aumône.

Cette attitude est une négation du droit naturel de tous et de chacun à sa part des biens temporels.

Biens privés et biens communs

Mais, dira-t-on, les produits appartiennent à ceux qui les font. Ceux qui ne font rien ne peuvent avoir droit à rien.

Outre que cette réflexion est barbare et païenne, elle méconnaît les faits. Il y a des biens privés, qui appartiennent à ceux qui les font ; et encore on pourrait placer des bornes, car le seul propriétaire absolu de tout, c'est Dieu : les possédants de la terre ne sont que des administrateurs, des gérants, qui doivent gérer pour leur bien propre, mais aussi pour le bien de tous, car la terre et ses biens ont été créés pour toute l'humanité.

Mais il y a aussi des biens purement communs, des biens qui ne sont pas le résultat du travail in­dividuel, et qui appartiennent de droit à tout le monde.

On admet que les routes appartiennent à tout le monde, parce qu'elles sont faites par un gouverne­ment payé par tout le monde. Mais il y a d'autres biens communs que ceux-là.

Si les hommes vivaient séparément, chacun fai­sant tout pour lui-même, nourriture, habits, loge­ment, remèdes, etc., chacun travaillerait très dur et serait quand même bien pauvre.

Mais à cause de l'organisation sociale, parce que les hommes vivent en société, les uns faisant beau­coup d'une chose, les autres beaucoup d'une autre chose — à cause de cela, les produits sont abon­dants.

Cette production abondante est donc surtout due à la vie en société. L'abondance de production est le résultat de la vie en société, bien plus que le résultat du travail personnel. La vie en société est un bien productif, un capital qui appartient à tout le monde et non pas à quelques-uns seulement. Une bonne partie de la production est le fruit de ce capital commun : de la vie en société. Tout le monde a donc un droit naturel, un droit social sur une bonne partie de la production totale.

Dans la production, il entre aussi de plus en plus d'une autre chose qui appartient à tout le monde : la science appliquée, comme dans la ma­chinerie, dans les procédés perfectionnés. La scien­ce est un bien commun, grossi et transmis de géné­ration en génération. Plus elle se développe, plus elle donne à tous et à chacun un droit social sur l'abondance qu'elle cause.

La part commune refusée

Ceux qui entendent parler ainsi pour la premiè­re fois sont surpris. Mais s'ils ont des biens, s'ils sont mieux que la masse, ils ont tout de suite peur qu'on veuille sauter sur leur propriété, sur leurs biens pour les distribuer à tout le monde.

Qu'ils se tranquillisent. Ils continueront à gar­der le fruit de leur travail personnel. Puis, comme tout le monde, ils auront leur droit au fruit du ca­pital comrnun, à la production due à la science, à l'organisation sociale, aux richesses naturelles pu­bliques.

La bonne distribution enrichirait les pauvres sans appauvrir les riches. Elle ne pourrait être mal vue que des voleurs organisés ou de ceux qui, pour conserver leur puissance, aiment mieux voir dé­truire la production en masse, plutôt que de voir tout le monde assuré du nécessaire.

Ne remarque-t-on pas, en temps normal, lors­qu'on n'est pas en guerre, qu'il reste beaucoup de production non distribuée, même après que les parasites de toutes couleurs et les accapareurs de toutes dimensions en ont pris plus que leur droit ?

Est-ce que le chômage forcé n'est pas une des­truction immense de la production possible ? Est-ce que les écluses ouvertes, lorsque le courant élec­trique ne se vend pas, ne sont pas une destruction de l'électricité qu'on jette à la mer, au lieu de la donner aux cultivateurs sur leurs fermes et aux femmes dans leurs maisons ? Est-ce que la course aux marchés étrangers n'est pas une admission qu'il y a dans le pays plus de production que les salaires n'en peuvent acheter ?

C'est la part due à tout le monde qui s'accu­mule ainsi et qui se perd et cause des embarras parce qu'on ne la distribue pas.

Tout de suite, on devine qu'il faudrait un moyen de distribuer à tout le monde cette abondance qui tracasse les gouvernements et les producteurs, et qui cause tant de mal au lieu de procurer tant de biens.

C'est la part commune qu'il faut distribuer.

La part privée est distribuée par les salaires ou par les revenus de ceux qui vendent leur propre production. La part privée est la récompense des efforts personnels et doit continuer.

Mais la part commune, la part due à la science et aux autres capitaux communs, on n'a pas en­core trouvé le moyen de la distribuer, sauf en temps de guerre, en la servant gratuitement aux ennemis, sous forme de bombes, d'obus et autres joujoux meurtriers.

Un dividende national

Puisque, dans notre système actuel, personne ne peut rien obtenir de la production offerte, sauf en présentant de l'argent, il faudrait une distribu­tion gratuite d'argent à tout le monde pour ache­ter la part qui revient de droit à tout le monde.

La distribution d'argent pour acheter la part privée s'appelle salaires, honoraires, intérêts sur placements, etc. La distribution gratuite d'argent à tout le monde pour acheter la part commune pourrait s'appeler dividende social, ou dividende national.

Mais comment s'y prendre ? Là on touche à la question de l'argent, et non plus à la question de production.

La question de l'argent va être le sujet de la troisième partie de cette conférence.

Louis Even

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