Traduction du discours prononcé en anglais par M. J.-Ernest Grégoire à la Convention Provinciale de l'Ontario, à Toronto, le 5 octobre.
Il est un trait du Crédit Social qui me frappe toujours lorsqu'il m'arrive de passer quelques jours, ou même quelques heures, avec des créditistes d'une autre province, ou de parler à des créditistes venant d'un autre pays, même d'aussi loin que l'Australie.
Et ce trait, c'est l'esprit d'union engendré par le Crédit Social. C'est en soi une preuve déjà suffisante que le Crédit Social est bien plus qu'une simple technique monétaire, plus aussi qu'un simple groupement politique ; c'est une philosophie, et la vraie philosophie des relations entre les hommes.
La vraie philosophie, parce qu'elle répond aux aspirations de l'homme, telles qu'enracinées dans sa nature même par son Créateur, et telles que purifiées et élevées par le christianisme.
Vous trouvez, dans tout homme qui n'est pas complètement souillé par des intérêts sordides, ni réduit à l'animalité par le communisme ou toute autre forme de totalitarisme, vous trouvez deux tendances naturelles : l'individualité et l'appel à l'association.
Ces deux tendances peuvent paraître contradictoires à l'esprit superficiel. Elles ne le sont pas, parce que l'homme a été créé personne, et il a été créé personne sociable. Toute personne d'ailleurs, humaine, angélique, ou divine, est sociable par nature.
L'homme vit en association, mais une association de personnes, une association d'hommes — non pas une association d'abeilles, de fourmis ou d'autres animaux.
Si une doctrine tend à éloigner l'homme de ses associations naturelles, cette doctrine est subversive.
Mais si une doctrine tend à noyer l'individualité de chacun et à faire des personnes de simples robots conformes à un moule établi, cette doctrine aussi est subversive.
La première lève l'homme contre l'homme ; la seconde change l'homme en animal domestique.
La philosophie créditiste de la société fortifie l'individualité de la personne, en même temps qu'elle met en relief les aspirations communes de toutes les personnes membres d'une même société.
Le Crédit Social rend chaque homme plus lui-même, et le Crédit Social fait chaque homme aller à tout autre homme comme à un frère.
Le Crédit Social supprime les obstacles artificiels à la pleine vie de chaque individu, et le Crédit Social supprime les murailles qui séparent les individus.
Avec le Crédit Social, les hommes se rencontrent et s'aiment les uns les autres. Mais ces hommes qui se rencontrent et s'aiment les uns les autres sont individuellement plus grands, dans le sens culturel et spirituel du mot.
Le communisme ou le socialisme va prendre deux hommes, les placer à côté l'un de l'autre, couper les deux têtes et placer une seule tête de singe sur les quatre épaules ; et il appellera cela l'unité humaine. C'est une opération monstrueuse, dans laquelle vous ne trouvez rien de chrétien, pas même d'humain.
D'autre part, les partis politiques et les puissances tyranniques de l'argent prennent les hommes et les jettent à la gorge les uns des autres. Ils appellent cela la lutte pour la vie. Cette lutte pour la vie est florissante parmi les fauves des forêts. Elle n'a rien de glorieux : elle tue le chrétien et avilit l'homme.
Le Crédit Social prend les personnes, hommes, femmes ou jeunes gens, développe leur esprit et remplit tellement leur cœur qu'il les pousse à porter la lumière et la flamme à leurs frères, au loin comme autour d'eux.
Les créditistes se rencontrent et se comprennent de prime abord.
Qu'ils viennent du Québec ou de l'Ontario, de l'est ou de l'ouest, du Canada ou de l'Australie ; qu'ils soient catholiques ou qu'ils soient protestants ; qu'ils possèdent une culture latine ou qu'ils possèdent une culture anglo-saxonne ; qu'ils soient riches ou qu'ils soient pauvres des biens de ce monde ; qu'ils aient passé par l'Université ou qu'ils n'aient eu d'autre école que l'école du rang des colonies les plus reculées — peu importe :
La même lumière brille sur leurs visages ; la même flamme embrase leurs cœurs ; la même espérance illumine leurs yeux ; la même confiance mutuelle transpire dans leurs poignées de mains et dans les efforts, maladroits peut-être mais sincères, que chacun apporte à s'exprimer dans la langue de l'autre.
Le Crédit Social, c'est vraiment l'esprit chrétien traduit dans les relations sociales, économiques et politiques.
Des premiers chrétiens, des chrétiens que les luttes politiques ou les intérêts d'argent n'avaient pas encore levés les uns contre les autres, il était dit : "Voyez comme ils s'aiment les uns les autres !" Le paganisme s'étonnait et n'y pouvait rien comprendre.
Des créditistes, qui ont purifié leur esprit des ambitions de dominer ; des créditistes, qui veulent pour chacun le droit d'organiser lui-même sa propre vie comme il l'entend, on peut dire avec autant de vérité : "Voyez donc comme ils s'aiment les uns les autres !"
Les politiciens paganisés et mammonisés n'y peuvent rien comprendre. Ils haussent les épaules et disent : "Ces créditistes sont des fanatiques !"
Fanatiques, les premiers chrétiens l'étaient aussi aux yeux des païens ; mais la Croix a fini par dominer le trône des empereurs romains.
Fanatiques, les créditistes — mais le Crédit Social dominera un jour la politique, pour le bien de tous et de chacun des citoyens ; la philosophie créditiste inspirera un jour la législation du Canada, celle de l'empire britannique entier, et, nous l'espérons, celle de tout le monde civilisé.
Notre rencontre ici, à Toronto, et l'expérience de ce que l'esprit créditiste, même sans législation créditiste, fait pour rapprocher des hommes de races, de croyances et de langues différentes, sont une image de ce que le Crédit Social, dans sa pleine floraison, fera pour rendre le monde digne d'êtres humains — d'êtres humains rachetés par le Christ et appelés à la vocation d'enfants de Dieu.
Le Crédit Social dans toute son ampleur, c'est le christianisme appliqué dans la société temporelle.
Je crois que nous avons décidément les forces célestes de notre côté, et nous pouvons sûrement prévoir le triomphe final du Crédit Social sur les forces inspirées par l'égoïsme et les autres passions qui peuplent le royaume du démon.
Nous, de la province de Québec, souhaitons à nos frères créditistes d'Ontario plein succès dans leurs efforts gigantesques pour conquérir au Crédit Social la plus grande province du Canada.