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La conférence fédérale-provinciale

Gilberte Côté le mercredi, 15 août 1945. Dans La politique

D'une causerie donnée par Mlle Gilberte Côté à CKAC, Montréal, le 4 août :

Qu'est-ce que la Conférence fédérale-provinciale qui s'ouvrira à Ottawa le 6 août ? — C'est une série de réunions que le gouvernement fédéral organise, et auxquelles il invite les neuf gouver­nements provinciaux du Canada. Il y aura des séances plénières d'abord, puis nomination de co­mités pour étudier les questions soumises, puis ajournement des séances plénières pendant les semaines ou les mois que les comités feront leurs études et prépareront leurs rapports, puis re-con­vocation en séances plénières pour prendre les dé­cisions.

Quel est le but de ces réunions ? Pourquoi les ministres fédéraux rencontrent-ils les ministres provinciaux ? Pour discuter quoi ? Pour étudier quoi ?

Pour trouver le moyen, nous disent-ils, de pro­curer à tous les habitants du pays :

    1) De l'emploi ;

    2) Un revenu élevé ;

    3) La sécurité sociale.

Nos gouvernements réunis étudieront ces points. Ils les discuteront ensemble, et poseront les actes qu'il faut pour les réaliser.

Voilà le programme de la conférence d'Ottawa.

De l'emploi pour tout le monde. Un revenu élevé pour tout le monde. La sécurité pour tout le monde.

Futilité de l'emploi pour tous

C'est un programme magnifique aux deux tiers. Un revenu élevé pour tout le monde ; très bien. La sécurité pour tout le monde : très bien. Mais, de l'emploi pour tout le monde, pas nécessaire.

Il est nécessaire d'avoir un revenu élevé pour vivre comme du monde, dans notre siècle de pro­grès. Nous applaudissons au revenu élevé.

Il est nécessaire d'être assuré du lendemain, d'avoir la sécurité pour être heureux. Nous ap­plaudissons à la sécurité pour tous.

Mais, de l'emploi, de l'emploi pour tous ? Qu'est-ce que cela veut dire ?

Sans doute que vous vous expliquerez là-dessus, messieurs de la conférence ! Car, nous nous mé­fions de l'embauchage intégral, nous qui avons connu le Service Sélectif obligatoire. Nous crai­gnons l'embauchage intégral obligatoire. Nous qui avons entendu parler de la Russie bolchévique où le monde est obligé de travailler pour le gouver­nement, nous nous méfions d'un système d'emploi pour tout le monde qui, sous prétexte de donner de l'ouvrage à tout le monde, attelle les hommes comme des bêtes au carcan de l'État.

De l'emploi pour tout le monde, mais ne savez-vous pas que c'est impossible avec les progrès extraordinaires de la machine moderne. Quand les bras de fer font l'ouvrage à la place des bras de chair, vouloir donner de l'emploi à tout le monde, c'est une chimère, ou c'est une infamie.

Mène au socialisme d'État

Aujourd'hui, l'industrie privée remplace de plus en plus ses hommes par des machines. C'est un bienfait pour les entrepreneurs. Et c'est un bienfait pour les ouvriers qui ont besoin de moins travailler pour que le pays arrive à la même prospérité.

Mais, si l'on veut quand même donner de l'em­ploi à tout le monde, il faudra recourir aux em­plois venant de l'État, du gouvernement. Il fau­dra que le plus grand nombre, rejeté par l'indus­trie privée, s'en aille quémander les politiciens. Cela grossira le patronage politique. Et ça fera plus d'esclaves du gouvernement. La grande partie du peuple dépendra du gouvernement pour vivre. En un mot, ce sera bel et bien du socialisme d'État.

De l'emploi pour tout le monde, l'embauchage intégral, ne peut être autre chose que du socialis­me d'État.

La bureaucratie — La guerre

Et l'État, lui, qu'est-ce qu'il fera construire à tout le monde pour employer tout le monde ?

L'État, ce qu'il aime le mieux à faire construi­re, ce sont des manufactures de carcans, comme tous les bureaux où s'inscrivent aujourd'hui les dossiers de tous les habitants du pays. La bureau­cratie, la sainte bureaucratie, qui catalogue les hommes, les femmes et les enfants, comme on catalogue les vaches des étables ! Voilà ce que le gouvernement réalise le mieux, et voilà certaine­ment la première chose qu'il fera pour donner de l'emploi à tout le monde.

Puis, la deuxième chose que devra faire le gou­vernement pour bien employer tout le monde, ce sera de préparer et de mener une belle petite, ou une belle grosse guerre. Voilà qui donne de l'em­ploi à tout le monde. Ça se comprend, on s'em­ploie alors à détruire les bonnes choses qu'ont fait nos ancêtres ! Voilà ce qu'il y a de mieux pour employer tout le monde : détruire tous les 25 ans ce que les siècles passés ont construit.

La guerre donc, ou la préparation à la guerre, pour réussir l'embauchage intégral. Est-ce que ce n'est pas l'emploi à tout le monde qui a si bien armé l'Allemagne contre l'Europe ?

Est-ce cela que vous voulez, messieurs les orga­nisateurs de la conférence d'Ottawa ? Le carcan pour tout le monde ? La guerre ?

Un revenu élevé pour tout le monde, la sécurité pour tout le monde — nous en sommes. Mais de l'emploi pour tout le monde, ? Cela ne nous inté­resse pas.

Pourquoi pas : de l'argent pour tous ?

Ce qui nous intéresserait et ce que vous avez justement oublié, messieurs de la Conférence, ce serait de l'argent pour tout le monde. De l'argent pour vivre. Le progrès fait les machines. Les ma­chines font les produits. Les produits sont là, tout faits, qui nous attendent. Que venez-vous nous parler d'emploi maintenant ? Les produits sont venus dans le chômage, sans emploi, par les ma­chines et non par les hommes. Et se sont les pro­duits que nous voulons. Et ils sont là. Ce qu'il nous faut, ce n'est certainement pas de l'emploi pour faire d'autres produits, mais de l'argent pour acheter les produits déjà faits.

De l'argent pour tout le monde, messieurs, est-ce que ce ne serait pas une meilleure formule que de l'emploi pour tout le monde ?

De l'argent pour tout le monde, un dividende à tout le monde. Justement le dividende du Crédit Social, pris dans la poche de personne, contraire­ment à vos allocations familiales qui nous en en­lèvent plus qu'elles nous en donnent. Le dividende du Crédit Social à tout le monde, voilà qui per­mettrait à tout le monde de vivre et ne les obli­gerait pas à porter votre carcan d'embauchage intégral.

De l'argent pour tout le monde, cela permet­trait à tout le monde d'organiser sa vie comme il l'entend, de travailler aux choses qui l'intéressent, de développer son esprit, la science, plutôt que vos manufactures de carcans et vos usines de guerre.

Et la liberté pour tous ?

De l'argent pour tout le monde, oui, messieurs du gouvernement fédéral qui avez organisé la con­férence, de l'argent pour tout le monde, savez-vous ce que çà donnerait à tout le monde ? Une chose que vous avez oublié de mettre dans votre programme, la plus belle chose du monde, la chose que tout le monde veut, et que seul le gouverne­ment peut garantir ; une chose qu'on n'offre pas aux animaux, comme vos pitances d'embauchage intégral ; une chose faite exprès pour des person­nes, dont sont les hommes. Messieurs du fédéral, quand vous avez préparé votre programme de conférence, quand vous avez dressé les buts de la conférence, vous avez oublié cette chose-là, pour laquelle nous nous sommes battus pendant six ans, que nous avons sacrifiée pendant la guerre, et que la paix devrait nous redonner au plus vite.

Cette chose magnifique, cette chose qui a des couleurs de ciel bleu et des horizons d'immensité, cette chose qui fait de nous des personnes, un peu semblables aux anges et à Dieu, cette chose que vous avez oublié, messieurs les bâtisseurs du monde de demain, cette chose-là, c'est la liberté !

Vous l'avez oublié, tout bonnement, et pour­tant, un gouvernement, savez-vous bien que c'est fait pour garantir la liberté aux habitants d'un pays ? C'est la plus grande fonction d'un gouver­nement.

Et vous l'avez oubliée ! La liberté pour tous, vous avez oublié cela dans votre programme. Ne l'auriez-vous pas fait exprès, par hasard ?

Liberté plutôt menacée

Dans sa déclaration au sujet de la conférence, l'Honorable Louis St-Laurent, président du comi­té de préparation, ne cesse de parler de constitu­tion à changer, si c'est nécessaire, pour que les provinces renoncent à certains droits. Monsieur St-Laurent parle de revenus à assurer au fédéral en le laissant s'approprier les revenus qui allaient autrefois aux provinces. On parle de pensions de vieillesse venant du fédéral, d'assurance-maladie appliquée par le fédéral. Le fédéral, le fédéral toujours. Moins de pouvoirs aux provinces. Plus de pouvoirs au fédéral.

L'Honorable St-Laurent dit bien que le gou­vernement fédéral n'a pas l'intention d'imposer aucune solution ni aucune décision aux provinces. Mais, a-t-il soin d'ajouter, "si, par hasard, on ne pouvait se mettre d'accord sur les moyens d'at­teindre les buts essentiels que se propose le gou­vernement fédéral, il faudra bien que celui-ci prenne les moyens nécessaires pour y arriver."

Autrement dit, si les provinces hésitent ou se refusent à céder leurs privilèges de provinces au­tonomes, le gouvernement fédéral fera comme si les provinces n'existaient pas.

Écraser les plus petits, voilà donc votre politi­que, messieurs de la Conférence. Cela, ce n'est pas de la liberté, c'est justement le contraire de la liberté. Enlever les droits des personnes et des provinces, vous n'hésiterez pas à le faire, puisque vous nous le faites dire si clairement. Eh bien, cela, vous n'avez pas le droit de le faire. La force n'est pas le droit, monsieur St-Laurent ; vous devez le savoir, puisque vous êtes avocat. Un boxeur n'est pas sur le même pied qu'un juriste dans notre monde civilisé, que je sache.

Messieurs de la Conférence, vous ne pouviez réellement pas mettre la liberté pour tous dans votre programme, puisque votre programme com­porte si bien le carcan pour tous, pour les per­sonnes et les provinces.

L'esprit directeur de la conférence semble me­ner droit à la centralisation, au socialisme d'État.

Gilberte Côté

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