Le 12 avril, à l'Assemblée Législative de Québec, M. Chaloult, parlant sur le discours du budget, fit un discours de trois quarts d'heure sur le Crédit Social.
M. Chaloult expliqua qu'il parlerait de Crédit Social, parce que nombre de ses électeurs sont créditistes et qu'ils ont droit d'exprimer leurs idées par l'intermédiaire de leur député. Monsieur Chaloult ajoute qu'il croit à l'urgence d'une réforme monétaire et qu'il accepte personnellement un grand nombre des propositions du Crédit Social.
D'habitude, les journaux, de quelque couleur qu'ils soient, donnent d'assez longs compte-rendus des discours de M. Chaloult. Cette fois, comme de parti pris, ou comme obéissant à une consigne, ils n'ont pas saisi le sens des paroles de M. Chaloult, qui avait parlé de Crédit Social. C'était pourtant du nouveau : pour la première fois, le sujet était exposé à l'Assemblée Législative.
L'Événement-Journal n'y a consacré qu'un maigre alinéa de 16 lignes. Le Soleil, encore moins, 10 lignes. L'Action Catholique, deux petits alinéas. Le Droit, 10 lignes. Le Nouvelliste, 17 lignes. La Presse, un alinéa. La Patrie, 11 lignes. Le Canada, un alinéa plus long, 43 lignes. Montréal-Matin, aucune mention de Crédit Social.
C'est Le Devoir qui a été le moins mesquin, accordant cinq alinéas, au total 55 lignes.
Les journalistes ne peuvent prétendre qu'ils n'ont pas saisi le sens des paroles de M. Chaloult, car le député prit la peine de communiquer à tous les courriéristes de la Chambre un très bon résumé de son discours.
Voici d'ailleurs ce résumé, tel que fourni par M. Chaloult lui-même. Nos lecteurs seront à même de constater qu'il est bien clair :
Il faut d'abord distinguer entre la partie négative et la partie constructive ou la technique monétaire du Crédit Social.
Tout le monde doit reconnaître le désordre qui existe actuellement dans la société. D'une part, une masse de prolétaires, de gagne-petit ; d'autre part, une concentration toujours plus grande de la richesse.
D'un côté, nous voyons une telle abondance de biens qu'on se croit forcé de les détruire : on les jette à la mer ou on les brûle. D'un autre côté, une multitude de pauvres en haillons qui crèvent de faim dans les taudis.
Sous le signe de la liberté, on a perdu la notion même de la liberté, et nous subissons un cruel régime de dictature économique ou financière.
Faisant pour le moment abstraction de la technique monétaire qu'il propose, il est difficile de contester que l'objectif proclamé du Crédit Social correspond aux aspirations intimes de chacun de nous dans le domaine temporel et aux fins poursuivies par ceux qui veulent un organisme social au service de la multitude et non pas au service d'intérêts égoïstes.
L'école créditiste réclame, en effet :
• Une société à l'avantage de tous et de chacun de ses membres, et non pas seulement pour le profit de quelques individus ou de quelques groupes ;
• Un gouvernement pour le service des administrés, et non pas des administrés pour le service du gouvernement ;
• Des activités économiques pour satisfaire les besoins des consommateurs, et non pas pour tenir des masses sous le joug et fortifier l'impérialisme financier et ses satellites ;
• Un argent au service de l'homme, et non pas l'homme au service de l'argent ;
• La garantie à tous et à chacun d'au moins un minimum de sécurité économique, avec la sauvegarde du maximum de liberté personnelle.
Tout le monde est d'accord sur ces grands objectifs sociaux. Là où l'on peut diverger, c'est sur les méthodes, sur les techniques proposées pour y arriver le plus complètement possible, le plus vite possible, avec le minimum de heurts, en évitant des bouleversements qui risqueraient de faire plus de mal que de bien.
Sans nier le besoin de réformes diverses dans plusieurs domaines, le Crédit Social — tout le monde le sait — appuie surtout sur l'urgence d'une réforme monétaire et affirme que, sans celle-là, le succès des autres ne saurait être que partiel et problématique.
Et ce n'est pas n'importe quelle réforme monétaire que réclame le Crédit Social. Il veut une réforme dans le sens des objectifs ci-dessus. Une réforme qui assure à chacun un minimum de sécurité économique sans empiéter aucunement sur la liberté personnelle.
Les créditistes sont aussi intransigeants sur la question de la liberté personnelle, qu'ils sont acharnés à réclamer la garantie d'un minimum vital. C'est ce qui les rend adversaires farouches de tout socialisme d'État. Ils n'admettent pas les enquêtes, les perquisitions, les discriminations, les conditions restrictives, etc. Le Crédit Social admet la nationalisation seulement dans le cas où il n'y a pas d'autres moyens de maîtriser une entreprise monopolistique qui piétine le bien commun.
Les créditistes prétendent — et la guerre semble leur avoir donné raison — que, quand l'argent est là, la production atteint des sommets frappants, parce que tout le reste est déjà là.
Selon eux, la fameuse crise de dix années aurait pu être résolue avec la même vitesse, en temps de paix, qu'elle l'a été sur la simple déclaration de guerre.
Les créditistes ne peuvent tolérer l'absence d'argent en face de produits à vendre, puisque l'argent ne dépend pas de lois naturelles, ni de la volonté de Dieu, mais de la volonté et d'actes humains.
Les créditistes paraissent tout à fait logiques lorsqu'ils demandent que le pouvoir d'achat soit en rapport constant avec la production. Que s'il l'est par le simple jeu de l'emploi et des salaires, c'est parfait ; que s'il ne l'est pas, c'est le devoir de la société d'y voir immédiatement. Leur mécanisme du dividende et de l'escompte compensé existe expressément à cette fin.
Les créditistes demandent que le pouvoir d'achat soit réglé en fonction de la production, et non pas uniquement en fonction du travail. Argent abondant lorsque la production est abondante ; difficile et moins abondant, lorsque la production est ardue et les produits rares ; facile à obtenir lorsque la production est aisée ; gratuit dans la mesure où la production est mécanique et détachée du labeur humain.
Il n'y a pas de doute que l'argent d'un pays doive augmenter avec l'augmentation de sa production et avec l'accroissement de sa population : autrement, les échanges languissent et les produits s'accumulent, et l'on connaît les suites.
Sous le système actuel, cette augmentation d'argent ne se fait que par des emprunts auprès des banques, qui, elles, monnayent le crédit du pays. Mais c'est tout de suite une expansion monétaire sous forme de dettes. C'est ainsi que s'accumulent des pyramides de dettes que nous ne pourrons jamais payer.
Le Crédit Social condamne cette méthode qui lie la dette au développement du pays.
Le Crédit Social demande que toute injection nécessaire d'argent nouveau se fasse par une commission d'État constituée à cette fin. Qu'elle se fasse d'après les faits de la production en face des besoins, donc indépendamment de tout caprice privé ou de toute intervention politique. Puis, que cette injection se fasse directement à la consommation, à tous les citoyens sans exception.
C'est encore là une innovation, que le financement de la production du côté de la consommation. Les créditistes raisonnent que c'est plus social, que ce sont les consommateurs eux-mêmes qui vont financer, par leurs achats, la production qui leur convient. Ils ajoutent que c'est aussi plus technique, parce que cette augmentation de pouvoir d'achat n'entre pas dans les prix de revient, évitant ainsi l'inflation.
D'ailleurs, pour ne prêter aucun flanc à l'inflation, le Crédit Social n'alloue qu'une partie seulement de l'argent nouveau sous forme de dividende direct à chaque citoyen ; le reste, pour assurer l'équilibre parfait entre la production offerte et le pouvoir d'achat, se fait sous forme d'escompte, donc d'un abaissement des prix, compensé au marchand par l'office monétaire national. Les modalités de cette compensation de l'escompte permettraient de limiter le pourcentage de profit dans les bornes équitables.
Ces succursales s'inspirent de la philosophie du Crédit Social et sont un acheminement vers l'application de cette doctrine.
Au lieu d'imposer, comme ailleurs, une taxe de vente au consommateur, le gouvernement de l'Alberta accorde une prime mensuelle à tous ceux qui achètent de préférence des marchandises de la province. Ce boni est proportionnel à la production ; il a déjà été de 5 pour cent sur les produits purement albertains ; aujourd'hui, à cause des restrictions de guerre à la production civile, il est réduit à 2 pour cent, mais s'étend à tous les produits.
Pour appliquer ce système, le gouvernement albertain a établi dans toute la province des succursales du Trésor provincial qui, sur dépôt de telle somme d'argent, ouvrent aux citoyens un crédit correspondant. La succursale remet au déposant des sortes de chèques (transferts de crédit) qui lui permettent d'acheter, par simple transfert de crédit, jusqu'à concurrence de leur dépôt, dans les magasins qui ont convenu avec le Trésorier d'accepter cette sorte de paiement. À la fin du mois, la succursale crédite au déposant-acheteur une prime égale à 2 pour cent du montant de ses achats du mois payés par cette voie. Ainsi, c'est le gouvernement qui paie à l'acheteur, au lieu d'être l'acheteur qui paie au gouvernement.
Mais d'où provient cet argent que paie le gouvernement en bonis mensuels ? Basé sur le crédit de la province, il est créé par l'État au profit du peuple, au lieu de l'être par les banques, avec intérêt, au profit de riches particuliers. Il va sans dire que cette création ne doit jamais dépasser l'augmentation de la production albertaine.
Ce système anime naturellement la production provinciale, stimule l'activité économique et favorise la prospérité générale. Il faut y voir l'explication de l'abaissement de la dette provinciale en Alberta, alors même que la province, sans emprunter un sou, développe son réseau routier et multiplie ses octrois aux services sociaux.
Il est à noter que chacun reste absolument libre d'utiliser ou non les succursales du Trésor.
Ajoutons que ce système serait plus efficace encore dans Québec que dans l'Alberta, parce que notre production est plus complète et plus variée.