Quand vous parlez de Crédit Social à des contradicteurs, il en est qui vous répondent : Allez donc, vous voulez tout chambarder avec le Crédit Social. D'autres disent au contraire : Bah ! c'est une réforme insuffisante et inefficace ; un tas d'autres sont plus importantes et plus pressées.
Les deux dénotent une fausse notion du Crédit Social.
Le Crédit Social ne chambarde rien. Il n'enlève rien à personne. Il ne lèse aucuns droits. Il ne supprime aucune initiative. Il ne modifie nullement la manière de produire, de transporter, de vendre, d'acheter. Il ne supprime ni l'épargne ni les institutions de prêts.
D'autre part, en ôtant à l'argent son caractère de puissance et de domination, pour n'en faire qu'un service, en mettant l'argent au niveau constant de la production offerte, et en faisant commencer l'argent du côté des consommateurs eux-mêmes, le Crédit Social opère une réforme de structure, qui en entraîne ou en permet et facilite beaucoup d'autres.
La philosophie de liberté et de service de la personne, qui inspire la théorie créditiste, anime également le mouvement qui la prêche.
Aussi voit-on les créditistes s'insurger contre les partis politiques, dictature de la démocratie. Pour les créditistes, le Parlement devrait être composé de députés qui ne prendraient aucun ordre des whips de partis, mais qui agiraient constamment d'après les instructions reçues de leurs commettants, des électeurs eux-mêmes.
C'est là une conception nouvelle de la politique. Et les créditistes ne se contentent pas de l'envisager comme une possibilité éloignée, mais ils s'efforcent concrètement de l'introduire dans la pratique. Ils le font en temps d'élection, en poussant des "candidats des électeurs" là où il n'y a que des candidats de partis. Ils le font entre les élections, en pratiquant l'union des électeurs et la pression sur les élus, pour obtenir les résultats communément souhaités par les électeurs.
Dans l'ordre politique encore, le Crédit Social, en lui-même, tendrait à faire disparaître la corruption du patronage politique et du régime d'octrois privilégiés, en substituant à ces faveurs privées le dividende à tous et à chacun, sans distinction.
Les budgets des gouvernements seraient aussi faits sur une tout autre base qu'aujourd'hui.
Aujourd'hui, les budgets se font d'après la capacité de taxer. On taxe au maximum, n'arrêtant que lorsqu'un plus haut niveau risquerait de tarir la source même de la taxe. Lorsqu'on a atteint cette limite et qu'il reste des dépenses urgentes à financer, on recourt à l'emprunt, qui bâtit la dette publique, hypothèque les générations et accentue la concentration de la richesse :
Sous un régime créditiste, les budgets seraient réglés d'après la capacité de fournir les biens et services publics requis par le peuple, sans épuiser la production des biens privés qu'il veut avoir de son agriculture et de son industrie.
Remarquez bien la distinction entre "capacité de fournir" et "capacité de payer". La capacité de payer est limitée par le niveau de l'argent. La capacité de fournir ne connaît d'autres limites que les limites en hommes, en ressources et en matériel. Le Crédit Social ne tient compte que de la capacité de fournir les biens, parce qu'il place automatiquement le niveau de l'argent au niveau des possibilités réelles de la production.
On voit tout de suite la différence, pour l'administration du pays et pour la prospérité publique, entre un budget créditiste, généreux comme la production elle-même, et un budget rationné par le système actuel.
Quant à la dette publique, elle est impossible sous un régime créditiste, puisque, avec le Crédit Social, tout ce qu'un pays est capable de faire, il devient automatiquement capable de le payer.
Voilà donc de grosses réformes dans l'ordre politique. Il resterait à parler de la décentralisation des pouvoirs, réclamée par tous ceux qui ont l'esprit du Crédit Social. C'est encore une réforme majeure, celle-là ; mais c'est tout un article qu'il lui faudra consacrer.
Dans l'ordre économique, le Crédit Social donne aux consommateurs du pays l'accès à TOUTE la production de leur pays. Ils peuvent donc y puiser jusqu'à saturation tant qu'il y en a. La disette en face de bons produits devient impossible.
Si certaine production est réellement excédentaire pour les besoins des familles du pays, elle est offerte à l'étranger. En échange, le pays est content de se procurer de l'extérieur des biens qu'il ne produit pas facilement lui-même. Les consommateurs appliquent à l'obtention de ces produits importés le pouvoir d'achat qu'ils n'ont pas appliqué aux produits exportés.
Le Crédit Social finance les consommateurs au niveau de la production totale, en complétant par un dividende à tous ce qui manque aux revenus provenant des sources actuelles.
Ce dividende à tous et à chacun, fondé en justice comme nous l'avons expliqué bien des fois, répondrait à l'objectif cherché par de nombreuses réformes demandées avec instance, particulièrement pour aider la famille, améliorer le sort des ouvriers, sauvegarder la propriété, aider les colons, etc,
Prenez le cas de la famille. Quelle différence avantageuse un régime créditiste apporterait au budget familial !
On admet — cent ans trop tard — que les familles ont besoin d'un plus gros revenu pour vivre honnêtement, lorsque augmente le nombre de leurs enfants. Mais le gouvernement n'a encore rien trouvé de mieux que de maigres allocations, précédées d'épuisantes taxes pour les alimenter.
Les dividendes du Crédit Social iraient à tous les membres de la famille, parents comme enfants. Le nombre de dividendes serait donc en rapport exact avec le nombre de personnes dans la famille, sans exceptions et sans diminution pour les derniers venus.
De plus, le montant du dividende serait proportionnel, non pas aux taxes qu'on peut tirer des poches, mais proportionnel à l'abondante production offerte aux consommateurs.
Il ne s'agit pas là d'une utopie impossible, mais de la distribution, à tous, des produits qui autrement sont considérés comme excédentaires et encombrants.
Cherchez-vous une solution au problème ouvrier ?
Pourquoi y a-t-il un problème ouvrier ? À cause de patrons qui ont le cœur dur ? Dans quelques cas, sans doute. Mais, dans ces cas-là, le dividende à chaque membre de la famille de l'ouvrier permettrait justement à un ouvrier maltraité de laisser son patron et en chercher un autre plus humain. La leçon porterait : le déplacement des commandes devrait bien suivre le déplacement du personnel.
Entre la position abandonnée et la nouvelle position trouvée, il peut s'écouler une certaine période. L'ouvrier en souffrirait, mais pas jusqu'au niveau de la misère comme aujourd'hui où il n'a pas d'autre source de revenu que son salaire. D'ailleurs, sous un régime où les patrons se trouveraient incapables d'exploiter leurs employés sans risquer de les perdre à l'avantage de leurs concurrents, les conditions insupportables prendraient automatiquement fin.
Mais, les difficultés ouvrières ne proviennent-elles pas plutôt de ce que les patrons, même bien disposés, ne sont pas capables d'augmenter les salaires de leurs employés sans augmenter leurs prix de revient à un niveau où ils ne pourraient plus vendre leurs produits ? Là encore, le dividende du Crédit Social apporte la solution. Le dividende n'est pas lié au travail, il n'est pas payé par le patron. Le dividende augmente donc le revenu de l'ouvrier sans augmenter le prix des produits.
Et pourquoi aussi les ouvriers demandent-ils constamment de nouvelles augmentations de salaires ? Justement parce qu'ils constatent des augmentations de prix. Le Crédit Social ne se contenterait pas d'ajouter au revenu de chacun par le dividende, mais il abaisserait aussi les prix par son système d'escompte compensé.
Patrons et ouvriers collaboreront mieux dans leur œuvre commune lorsque l'obstacle commun aura disparu.
Il n'y a pas que le communisme qui menace la propriété. Sous notre régime actuel, nombreux sont les cultivateurs, les industriels, les propriétaires urbains, qui ont perdu leur propriété sans faute de leur part. Pourquoi ? Parce que les charges financières sont trop lourdes, et parce que, pendant de fréquentes et longues périodes, les produits se vendent mal, les gens chôment, les locataires paient mal.
Avec un régime créditiste, qui supprime les dettes publiques, qui allège les taxes tout en augmentant les services sociaux, qui maintient un pouvoir d'achat constamment au niveau des prix raisonnables de toute la bonne production offerte, la propriété se trouvera automatiquement protégée pour quiconque prend un soin normal de ses affaires.
On pourrait ainsi passer tous les cas en revue, et faire la différence entre les situations sous l'un et l'autre régime.
Cela ne veut pas dire que le Crédit Social règle tout. Non. Mais il enlève l'obstacle financier pour la collectivité et l'atténue considérablement pour les individus. La collectivité et les individus deviennent dès lors capables de régler beaucoup plus facilement leurs problèmes respectifs.
Est-ce que, en effet, le plus universel et le plus tenace de tous les problèmes, qu'il s'agisse de bien-être matériel, d'hygiène, de services professionnels, d'éducation, et même d'entreprises religieuses, n'est pas un obstacle d'argent ?
Et est-ce que ce n'est pas le caractère de puissance et de domination attaché à l'argent qui soulève une foule de désordres et empêche de les corriger efficacement ?
Bien des gens parlent contre la dictature de l'argent, contre le règne de l'argent. Mais, seul, le Crédit Social offre le moyen de faire de l'argent un simple service d'écoulement de la richesse, accessible à tous, comme le système routier est un simple service pour communications et transports, mis à la disposition de tous.
C'est une réforme qui a l'air simple jusqu'à la naïveté. Mais parce que c'est en réalité une réforme de structure dans le domaine économique, et parce que l'économique a une influence considérable sur la vie politique et sur la vie personnelle de chacun de nous, les effets bienveillants de cette réforme seraient d'une portée incalculable.