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Les Maisons du Trésor paient-elles ?

Louis Even le jeudi, 01 novembre 1945. Dans L'expérience albertaine Aberhart

Un article de Roger Vézina

Dans la page financière de L'Action Catholique du 13 octobre, M. Roger Vézina, analysant le der­nier bilan financier des Maisons du Trésor de l'Al­berta, signale l'excédent des dépenses sur les re­cettes : un déficit de $234,471, qui, ajouté aux déficits des années précédentes, forme un total de $2,046,657.

Il en conclut que les Maisons du Trésor, au lieu d'être un actif pour l'Alberta, sont un passif : "Un réseau de Maisons du Trésor est la plus aléatoire, la plus dangereuse et la plus risquée des réformes monétaires que l'on puisse sou­haiter et préconiser pour une province".

Il termine en écrivant :

"Nous croyons parfaitement justifié de con­clure à l'inutilité des Maisons du Trésor pour la province de Québec."

Sur un plan faux

M. Vézina place les maisons du Trésor sur un plan faux et leur attribue une fonction qu'elles n'ont pas ; d'où son jugement.

Les Maisons du Trésor n'ont pas été instituées pour effectuer des opérations financières rappor­tant un profit direct au Trésor de la Province — pas plus qu'un Trésor provincial n'existe pour des placements et des profits. En Alberta, comme ail­leurs, le Trésor Provincial paie les dépenses de la province à même les sommes prélevées du public par les taxes.

Pour savoir si les Maisons du Trésor sont un actif ou un passif pour la Province, il serait plus juste de poser deux questions, l'une concernant les administrés, l'autre concernant les administra­teurs de la chose publique :

    1. — Les citoyens de l'Alberta tirent-ils avanta­ge du système des Maisons du Trésor ?

    2. — Du fait de l'existence des Maisons du Tré­sor, le Trésor provincial perçoit-il plus de revenus sans que les taxes pèsent plus lour­dement sur les citoyens ?

Un service provincial

Les Maisons du Trésor, en effet, sont un ser­vice provincial placé à la disposition des citoyens qui veulent s'en servir, — Tout comme le réseau routier est un service provincial placé à la dis­position des citoyens qui veulent s'en servir.

A-t-on jamais entendu cette réflexion : "Les routes ont coûté à la province 3½ millions cette année, 3 millions l'an dernier, 2½ millions il y a deux ans. Cela fait un total de 9 millions que les citoyens ont dû solder. C'est un déficit pour la province ; supprimons le réseau routier."

Il faudrait plutôt se demander :

    1. — Les citoyens tirent-ils avantage de leur réseau routier ?

    2. — Le réseau routier permet-il au gouverne­ment d'obtenir plus de revenus pour l'ad­ministration, sans peser plus lourdement sur les citoyens, que si le pays était dé­pourvu de routes ?

Le gouvernement ne tire pas son argent, ses taxes, de l'administration des routes ; il n'y a là que dépenses. Il tire ses taxes des activités éco­nomiques des citoyens, et celles-ci sont stimulées par un bon système de voies de transport.

Ce n'est pas une banque provinciale

Le système des Maisons du Trésor n'est pas une banque provinciale, même s'il peut aider le gou­vernement et les citoyens à s'affranchir de la dé­pendance envers les banques.

C'est un mécanisme pour permettre aux citoyens de l'Alberta qui le désirent de développer l'éco­nomie interne de la province, et d'augmenter pro­portionnellement le pouvoir d'achat des partici­pants, sans pour cela créer de dette nulle part.

Si les Maisons du Trésor font cela, et dans la mesure où elles le font, elles introduisent une fonc­tion nouvelle dans l'économie interne de la pro­vince. Cette fonction remplace dans la même me­sure la fonction, usurpée par les banques, de l'ex­pansion monétaire, et viciée par elles en l'accom­pagnant d'un accroissement de dette.

En tendant à rendre à la société une prérogative accaparée par des banques à profit, les Maisons du Trésor ne constituent pas pour cela un système bancaire, mais plutôt un correctif au système ban­caire.

Comparaison déplacée

Il est absolument déplacé de mettre en compa­raison, comme le fait M. Vézina dans ses conclu­sions 5 et 6, les Maisons du Trésor et les Caisses Populaires. Ce sont deux institutions d'ordre tout à fait différent, parce que d'un objectif spécifique tout à fait différent.

En Alberta, les deux institutions existent. Les Caisses Populaires sont établies librement par des groupes de citoyens, là-bas comme chez-nous, en se prévalant d'une loi provinciale qui, en Alberta, a été adoptée sous le gouvernement d'Aberhart, sous le même gouvernement qui a institué les Maisons du Trésor.

La fonction propre des Caisses Populaires est de faire profiter à la communauté les épargnes des citoyens de la communauté.

La fonction propre des Maisons du Trésor est de faire profiter à la communauté les dépenses des citoyens de la communauté.

Les Caisses Populaires rendent profitable l'ar­gent épargné. Les Maisons du Trésor rendent pro­fitable l'argent dépensé.

Les Caisses Populaires favorisent la prospérité générale en fournissant des capitaux pour aug­menter les moyens de production. Les Maisons du Trésor favorisent la prospérité générale en aug­mentant le pouvoir d'achat des consommateurs pour acheter la production augmentée, sans en­detter personne.

Les Caisses Populaires mettent de la production nouvelle en marche par des placements produc­tifs. Les Maisons du Trésor maintiennent cette production augmentée en facilitant son écoule­ment.

Les Maisons du Trésor existent spécifiquement pour permettre du crédit gratuit à la consomma­tion, lorsque la production est prête à y répondre et que consommateurs et producteurs convien­nent d'employer et accepter ce crédit d'origine provinciale, au lieu de s'en tenir exclusivement à l'argent-dette du système bancaire.

Il est vrai que les Maisons du Trésor acceptent aussi les épargnes des citoyens qui veulent les con­fier à ces Maisons, et elles paient sur ces épargnes un intérêt fixe, comme les banques. Sous ce rap­port, les Caisses Populaires sont plus profitables ; et dans les localités où il y a des Caisses Populaires bien établies, c'est aux citoyens d'être assez intel­ligents pour leur donner la préférence.

S'il y avait une Maison du Trésor dans ma ville, j'y porterais l'argent que je veux dépenser, et je porterais à la Caisse Populaire l'argent que je veux épargner.

Ce déficit de $234,471

Mais ce déficit de $234,471 n'est-il pas un poids pour la province ?

C'est la somme nette que la province paie pour entretenir le service des Maisons du Trésor.

Si le système n'apportait pas à la province, aux citoyens comme au gouvernement lui-même, des avantages bien supérieurs aux frais qu'il coûte, croit-on qu'un gouvernement intelligent continue­rait à en souffrir la charge ? Croit-on que la popu­lation aurait réélu deux fois, par une majorité écrasante, un gouvernement qui répéterait chaque année une dépense inutile ?

Le Trésor de l'Alberta, comme celui des autres provinces, est obligé de fournir les argents néces­saires aux divers départements de l'administra­tion provinciale. Croit-on qu'il rendrait sa tâche plus difficile en maintenant des succursales qui l'appauvriraient au lieu de l'enrichir ?

Si, depuis que le système existe, le gouverne­ment albertain a pu, sans emprunter un sou des banques et sans établir des taxes nouvelles, aug­menter ses services sociaux et ses travaux publics, c'est qu'il est tombé plus d'argent dans le Trésor. C'est donc que les activités économiques de la province ont augmenté le revenu général. Le gou­vernement est à même de s'en apercevoir, et les citoyens aussi : sans se saigner plus, ils obtiennent davantage.

Il est exact de dire que cette somme de $234,471 est payée par les contribuables de la province, mê­me par ceux qui ne se servent pas des Maisons du Trésor et n'en tirent donc pas de bonis. Mais il faut également dire que tous les citoyens de la province, même ceux qui ne collaborent pas au système, tirent des avantages des améliorations générales apportées à l'économie provinciale grâce au système. Même les adversaires qui essaient de le saboter en tirent des avantages, puisque la pro­vince est plus prospère et les services publics meil­leurs.

Quant au Trésor lui-même, il débourse ces $234,471 ; mais d'autre part, il reçoit, par d'autres voies, bien des fois $234,471 qu'il ne percevrait pas si l'économie était stagnante ou si elle ne pou­vait se développer qu'à coups d'endettement.

Les $75,780 de bonis

La somme de $75,780, distribuée en bonis aux acheteurs l'an dernier, peut paraître petite. N'ou­blions pas qu'elle constitue une augmentation de circulation monétaire qui n'est point condamnée à disparaître au bout d'un temps déterminé, com­me les émissions bancaires. C'est une expansion Monétaire destinée à demeurer, et c'est ce qui pro­duit son efficacité.

Pour être saine, cette expansion monétaire ne peut être que proportionnée à l'expansion de la production. Elle doit diminuer ou même être sus­pendue lorsque, par suite des restrictions de guer­re et autres imposées par le fédéral, la production vendable cesse d'augmenter.

Si les Maisons du Trésor continuaient à donner des bonis quand la production est statique, elles auraient tort. Elles tomberaient alors dans le dé­faut du système bancaire, qui augmente l'argent en face de la destruction des produits comme pen­dant la guerre, alors qu'il supprime l'argent en face d'une production qui s'accumule ou attend comme pendant la crise.

Institution à longue portée

M. Vézina est mal inspiré de condamner les Maisons du Trésor, sous prétexte que le système ne fait pas encore le dixième des transactions financières dans la province.

Le réseau des Maisons du Trésor ne date que d'hier et a trouvé sur les lieux un système d'exploi­tation bien ancré, avec des chaînes solidement rivées sur toute la vie économique de la province.

Sous prétexte que le géant domine encore, faut-il discréditer le nouveau venu qui cherche à lui ôter ses armes ? Sous prétexte qu'un enfant ne fait pas encore le travail d'un homme, faut-il le con­damner à mort ?

D'ailleurs, l'établissement des Maisons du Tré­sor n'avait point pour but de déplacer les institu­tions actuelles d'épargnes, de prêts et de place­ments. Il remplit plutôt une fonction supplétive et correctrice. Il comble une lacune. Le système peut éventuellement — pas tout d'un coup — arriver à remplacer complètement l'expansion monétaire faite actuellement par les banques sous forme de dette, par une expansion monétaire provinciale sous forme de cadeaux (bonis ou dividendes) aux consommateurs. Le système en est intrinsèque­ment capable, mais il y faut du temps. On peut voir très clairement l'objectif, mais il faut aussi tenir compte du point d'où l'on part.

Il y aurait tout un chapitre à écrire sur cet aspect des Maisons du Trésor ; il ne peut trouver place ici aujourd'hui. Nous y reviendrons.

Louis Even

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