Ceux qui ont cru se battre pour un ordre nouveau sont des gogos, s'il faut prendre pour indication de l'ordre à venir les avertissements de Sir John Anderson, chancelier de l'Échiquier dans les derniers jours du gouvernement Churchill.
On pouvait croire que cinq années de guerre intense avaient appris aux civilisés que tout ce qui est physiquement possible est financièrement possible. Pas du tout. Voici ce que John Anderson déclarait dans son discours du budget :
"Nous avons poursuivi cette guerre sans restreindre nos efforts sur une question de coût. Tout ce qui était physiquement possible a été fourni. Les limites étaient physiques, non pas financières. Mais la phase de la négligence des coûts financiers est terminée. Le contrôle du Trésor doit maintenant réaffirmer son autorité efficace."
C'est-à-dire que les budgets conformes aux réalités de production ne sont admis que pendant la guerre. En temps ordinaire, il faut revenir aux budgets rationnés par la finance.
Là-dessus s'est élevé un échange de questions et de réponses à la Chambre des Communes de Londres, sur l'origine de l'argent qui est venu automatiquement financer la guerre. En voici quelques-unes, extraites du Hansard anglais :
M. Stokes — Je ne puis le faire expliquer par le Chancelier. Il dit qu'il ne sait pas. Si le comptable de mon établissement me donnait une réponse comme celle-là, je lui dirais de s'en aller. Les banques ont créé 3 milliards de livres sterling, au coût de 6 shellings et 8 pence (15 milliards de dollars au coût de $1.66), plus quelques morceaux de papier et une couple de becs de plume.
M. W. J. Brown — On devrait avoir une réponse du Chancelier... Ce pays est taxé des millions par année, pour payer de l'intérêt sur de l'argent que les banques créent de rien... Il est temps d'exposer ce racket.
Sir John Anderson — Je n'ai jamais pu répondre à ces arguments, parce que, franchement, je n'ai jamais été capable de les comprendre... Je ne puis donner de chiffres sur l'expansion du crédit ou sur la monnaie de banque. Je n'ai pas les chiffres.
M. Stoke — Pourquoi pas ?
Sir John Anderson — Parce que je ne sais pas bien ce qu'on entend par "nouvelle monnaie". Mon honorable ami ne doit pas être trop décourageant. Je fais réellement tout mon possible. Peut-être aurai-je un jour l'occasion d'expliquer le mécanisme exact par lequel, par l'intermédiaire des banques, la finance de la guerre a été arrangée."
Notre ministre des Finances du Canada, M. Ilsley, ou son chef Mackenzie King, pourrait-il nous dire d'où sont venus, pour la guerre, les milliards nouveaux qui ne se trouvaient nulle part, qui n'existaient pas avant le mois de septembre 1939 ?
Les hommes affrontent les canons, se font estropier, meurent ; les gouvernements battent le tambour, bénissent les victimes, punissent ceux qui refusent de croire à la farce ; et les financiers rient de la comédie tragique : ils en sortent plus solides que jamais.