Hé oui, j'ai perdu mon vote. La chose est arrivée, telle que prévue, le 11 juin dernier. C'est-à-dire que mon candidat n'a pas gagné. Mais cela ne me gêne pas du tout, et j'en perdrais bien d'autres que je ne m'en trouverais pas humilié. Quand on pense que de nos jours c'est la minorité qui gagne et la majorité qui perd, on peut tirer certaine consolation à se trouver du côté du plus grand nombre.
Un ancien créditiste, devenu libéral d'occasion, voulut me taquiner le lendemain de l'élection. "C'est vrai que j'ai perdu, lui dis-je, mais au moins j'ai voté à mon goût !"
Voter à son goût, voilà quelque chose, parmi un électorat qui en est rendu à voter sans enthousiasme, sans espoir, sans conviction ! Encore un peu et je dirais que nous sommes mûrs pour la dictature politique.
Il y en a qui déplorent le nombre croissant de candidats, de partis, de groupements. Pas moi. Chacun a droit à son idée, à exprimer cette idée le jour du scrutin, et c'est un fait que la proportion du vote populaire augmente depuis qu'il s'en trouve pour attaquer de front les deux vieux partis routiniers.
Mais l'unité, mon Tigas, qu'en fais-tu ? J'ai cru à l'unité à l'époque du plébiscite et il semble que les futurs chefs du Bloc Populaire avaient fait de même. En sont-ils revenus, oui ou non ? Pour ce qui est de la province de Québec, seul MacKenzie King peut avoir des raisons de croire en l'unité. Et j'aime mieux la division que cette unité-là, pour le moment. Si jamais King nous donne le Crédit Social — après que nous l'aurons chèrement gagné, bien sûr — je lui pardonnerai peut-être de s'être moqué de nous. D'ici là, il faut le combattre "au coton", car il nous conduit tout droit au socialisme, le bonjour !
Il est remarquable que depuis les élections, comme avant, seuls les créditistes travaillent. L'avenir est à ceux qui luttent. L'important, comme disait Churchill, je crois, c'est de gagner la dernière bataille. Et pour gagner cela, il faut s'y préparer. C'est exactement ce que nous faisons.
À mon sens, nous sommes sortis plus forts des élections. Évidemment, on aime toujours mieux gagner que perdre ; mais lorsque la défaite ne déçoit pas trop, n'engourdit pas trop, ne refroidit pas trop, c'est un germe de victoire à venir.
Et puis les chiffres sont les chiffres. Dans le Québec, nous avons pris 20,000 votes de plus que les socialistes et les communistes réunis, et cela sans fonds électoraux, sans grosse propagande, sans l'appui des journaux et des hommes de prestige. Voilà qui n'est pas si mal pour un coup d'essai. Dommage que tant de créditistes aient voté libéral par peur de Bracken, ou aient voté ceci ou cela pour obtenir de petites faveurs qu'ils n'auront d'ailleurs pas.
Cette peur de Bracken était du plus haut comique. Je ne sache pas qu'il soit plus glorieux de mourir sur les champs de bataille lorsque King est au pouvoir, ni que les blessures fassent moins souffrir lorsque les conservateurs gémissent dans l'opposition. La vérité toute crue, c'est que les libéraux ont mobilisé hommes, femmes et foyers pour la guerre, qu'ils ont passé la conscription de la faim avant la conscription pure et simple, qu'ils ont dépensé une quinzaine de milliards pour la grande tuerie après avoir laissé languir les Canadiens dans la grande misère, qu'ils ont... que n'ont-ils pas fait, les libéraux, et qui peut me prouver que les conservateurs auraient fait pire ? King s'est rendu à la limite de notre jeunesse et de nos ressources et cette limite eût été la même pour Bracken.
Évidemment, les conservateurs sont moins diplomates dans leurs affaires, ils montrent trop leur jeu ; tandis que les libéraux, eux, sont fins comme des renards. Si fins que la population du Québec, après avoir crié halte-là au plébiscite de 1942, se met en bloc à genoux devant King en 1945 et lui lèche les pieds en murmurant des paroles d'absolution. J'en connais qui regrettent déjà leur petite lune de miel du 11 juin, mais trop tard ! N'avais-je pas raison d'écrire dans ce journal l'hiver dernier que nous perdons la tête en temps d'élections ?
Mais admettons que les libéraux sont moins indigestes que les conservateurs ; depuis quand est-ce un si grand bien que de voter pour un moindre mal ? Cela peut donner un petit velours, mais combien passager ! Cela donnera sûrement un petit pain.
Créditistes, à l'œuvre ! Le travail lent mais efficace, difficile mais consistant, porte toujours ses fruits. Nous n'avons rien à perdre et nous avons tout à gagner, pour nous-mêmes et pour les autres. S'il le faut, méditons sur la fable du lièvre et de la tortue, pensons à l'agonie du Bloc Populaire à peine sorti de ses langes et disons-nous bien que la ténacité est l'arme la plus terrible que nous puissions employer contre des tenaces.
S'arrête-t-on jamais à songer qu'il faut 21 ans pour faire un homme ? Et quelles raisons aurions-nous de croire qu'un système économique peut se changer en cinq ans, qu'une dictature hypocrite peut se renverser en six ans, qu'on peut passer en sept ans d'une politique de partis à une politique d'électeurs ?
Et surtout, n'allons pas nous imaginer que nous irions plus vite en courtisant la finance ou le prestige. Les socialistes avaient la finance — moins dans le Québec qu'ailleurs — et ils devront s'en remettre à King pour faire triompher leurs idées. Le Bloc Populaire avait le prestige et voyez-le étendu sur son grabat.
À propos de prestige, en voici une qui, n'est pas bête. Pendant la campagne électorale, un de mes amis, qui demeure à Rouyn, m'écrivait ceci :
"Hier, un oracle nous est tombé du ciel et nous avons fait du tapage comme des grenouilles dans une mare. Même les automobiles ont klaxonné leur joie à fendre l'air. M. Camilien Houde nous est arrivé par avion — (comme tu vois ce n'était pas n'importe qui) — pour tenir une grande assemblée en faveur du Bloc. M. Houde parle bien et nous eûmes raison d'applaudir. C'est d'ailleurs un grand persécuté et nous étions fort heureux de le voir bien portant.
"L'orateur a rappelé combien la province de Québec avait été généreuse envers M. King et j'étais pleinement de son avis. Quant au candidat du Bloc, il a fait un discours très émouvant, mais il n'a pas promis grand'chose : seulement un chemin de fer d'une centaine de milles de longueur et l'indépendance du Canada à lui tout seul. Avec des atouts comme ceux-là, je suis à peu près sûr que nous allons gagner !"
Or qu'est-il arrivé ? Dans le comté où se trouve situé Rouyn, les rapports indiquent que le candidat du Bloc est arrivé loin derrière le candidat créditiste, et tout le monde sait que M. Houde s'est fait battre à Montréal. Si ce n'est pas décourageant ! C'est d'ailleurs ce qui amenait un partisan du Bloc à déclarer : "Il y a deux fois que je vote contre mon parti et que je perds, c'est fini !" Une autre brebis égarée qui retournera au bercail libéral ! Si la télépathie existe vraiment, King a dû se frotter le menton en prenant connaissance d'un repentir aussi sincère.
Donc, pour les créditistes, du travail, encore du travail, toujours du travail. C'est encore moins forçant de travailler pour gagner le Crédit Social que de travailler pour se maintenir au pouvoir. D'après Napoléon, se maintenir au pouvoir, c'est toute une "job". Mussolini et Hitler ont sans doute trouvé qu'il avait eu raison de parler ainsi et je soupçonne que Mackenzie King commence à penser à l'instabilité des choses humaines. Après l'apogée vient la décadence, n'est-ce pas ?
Personne de nous n'a été sans remarquer que l'abonnement à "Vers Demain" se vend comme des petits pains chauds de ce temps-ci. Je crois bien ! Une fois les campagnes électorales finies, le monde voit bien que King taxe et emprunte, que Duplessis taxe et emprunte, que le Bloc Populaire taxerait et emprunterait, que la C.C.F. taxerait et emprunterait. Et Baptiste se dit : "C'est comme à rien, ça ne peut pas continuer ; il doit y avoir quelque chose de mieux que cela !" La réponse, c'est le Crédit Social, et il nous incombe de la passer. à Baptiste, cette réponse, de crainte qu'il ne tombe dans le doute complet, l'à-quoi-bon démoralisant, et finalement le communisme tueur d'âme et de personnalité.
À nous, frères d'armes, de saisir le moment psychologique et d'attaquer résolument la forteresse des taxeux et des emprunteux. S'ils ne cessent pas de taxer et d'emprunter, ils devront décamper un jour. Nous les attendons avec le Crédit Social d'une main et une brique de l'autre. Devenons assez forts pour les obliger à faire un choix.
"La vérité, a dit Bossuet, est un bien commun : celui qui la possède se doit de la passer aux autres". N'est-ce pas là un superbe mot d'ordre ?
TIGAS