Des hommes qui savent, mais condamnés à se taire. Des grands bâillonnés. Y en a-t-il au Canada ?
Ces hommes de lumière, ces parcheminés, n'ont pas tout à fait la bouche close ; ils parlent ; on les entend ; ils dénoncent même bien des désordres avec éloquence.
Oui, mais avez-vous remarqué leur discrétion, leur mutisme général sur un point capital ? Ils ne manquent pas de verbe pour flétrir des victimes, même des contremaîtres de victimes ; mais ils ne vont pas jusqu'au grand coupable. Ils condamnent les effets et respectent la cause. Leur position les y oblige ipso facto.
Le directeur d'une faculté d'une de nos universités nous disait un jour : Il me serait bien agréable de prendre publiquement position pour le Crédit Social ; mais je serais révoqué dans les huit jours et ma place irait à un de vos adversaires.
Que son silence soit recommandable dans les circonstances, c'est possible. Mais ce savant est-il vraiment libre ?
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Des hommes qui se battent entre eux, au lieu de s'unir contre l'ennemi commun, cela existe-t-il au Canada ? Mais c'est la politique courante.
Eux ne sont pas bâillonnés ; plus ils crient, plus l'ennemi est en sécurité, puisqu'ils se contentent de crier l'un contre l'autre.
Eux ne voient pas clair. Et pour qu'ils ne voient pas clair, c'est bien simple : on leur place sur les yeux un bandeau qu'ils affectionnent, qu'ils vénèrent presque à l'égal d'un huitième sacrement — le bandeau du parti politique.
Leur cas est toutefois plus facile à résoudre que le cas des premiers, parce qu'ils n'ont pas grand'chose à perdre. Et si l'on peut seulement faire tomber le bandeau, on aura deux patriotes, plus libres et plus ardents que les bourgeois couronnés.
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Des membres du Parlement qui ne font rien, immobiles comme les simulacres de l'In exitu (Psaume 113, versets 13-15), y en a-t-il au Canada ?
Y en a-t-il qui sont liés par leur parti ; liés par la peur de perdre l'appui de la caisse électorale ; liés par l'espoir d'un avancement dans la politique ; liés par le $3,000 à Québec ou par le $4,000 à Ottawa ; liés par les en-marges de contrats et de positions dont ils secondent la demande ; liés par les honneurs attachés au titre de député ?
Y en a-t-il au Canada ? Mais, presque autant que de sièges non vacants dans nos chambres législatives.
Avouons qu'il faudrait des âmes fortes pour briser tant de chaînes. Aussi, le meilleur vœu à former pour eux, sous le régime, c'est une bienheureuse défaite électorale qui les changerait d'atmosphère.
Quoi qu'en puissent penser ces grands bâillonnés, ces aveugles belliqueux et ces députés en menottes, l'Union des Électeurs sera leur plus grande bienfaitrice : c'est elle qui culbutera la machine qui façonne bâillon, bandeaux et chaînes.