L'acte de déportation n'est pas encore rappelé. Les télégrammes et les signatures de protestation n'ont pourtant pas manqué.
Si les sans-cœur du gouvernement s'obstinent à vouloir mettre leurs compatriotes dans le chemin, ça leur retombera sur la tête.
Avec les textes de lois les mieux couchés en main, les orateurs ministériels des élections qui approchent ne réussiront jamais à convaincre le peuple qu'il est nécessaire pour la province de chasser de leur village les Canadiens français de Roc d'Or.
Qu'ils soient établis sur des terrains de la Couronne, sans titres de propriété, c'est possible. Cela veut dire que la maison est à eux, que les améliorations faites au terrain sont à eux, mais que le terrain lui-même ne leur appartient pas. Ils s'offrent d'ailleurs à le payer, mais le ministère préfère les forcer à déguerpir.
À qui, dans la province, l'établissement de ces mineurs sur ces lieux a-t-il fait perdre un morceau de pain ?
Le 22 juin, avant-dernier jour de la session parlementaire de Québec, M. René Chaloult a posé au gouvernement quelques questions au sujet de l'affaire de Roc d'Or. Entre autres :
Combien de lettres et de télégrammes de protestations ont-ils été reçus des résidents de Roc d'Or au sujet de l'évacuation forcée que le gouvernement leur impose pour le 1er août prochain ?
Cette question couvre les protestations de Roc d'Or ; mais en fait, les protestations sont venues de tous les coins de la province où les gens ont été mis au courant des faits.
Le ministre des Terres et Forêts a répondu à M. Chaloult que l'acte d'évacuation est motivé par les conditions insalubres des logements de Roc d'Or et a aussi fait allusion à l'existence de maisons louches. Sous l'un et l'autre chapitre, il est probable qu'on devrait faire raser au sol plusieurs quartiers de nos grandes villes.
On refuse à une population le droit de s'organiser, puis on la blâme de lacunes qui ne peuvent être corrigées que par une organisation.
C'est ce que fait ressortir un résident de Roc d'Or, M. W. Asselin, dans une lettre publiée dans La Frontière du 17 juin :
"Pour donner un semblant de raison à cette criante injustice, on évoque les questions d'hygiène, de mœurs et d'incapacité des gens de notre place. Eh oui, il paraît que Roc d'Or ne pourrait jamais s'ériger en municipalité, car, où pourrait-il prendre des hommes capables de remplir les fonctions de maire, de conseillers, etc ?
"Pourtant, comme partout ailleurs, notre population est faite de familles venues de partout. Il y a toutes sortes de têtes comme il y a toutes sortes de caractères. On ne fait pas exception à cette règle. Chaque municipalité qui a été érigée dans notre province a-t-elle été obligée d'emprunter son génie d'organisation aux paroisses voisines ?
"Pour la question de mœurs, je dirai que dans chaque place, il y a des bons et des méchants. Ce qui nous différencie des autres, c'est que l'organisation nous étant refusée, on ne possède pas l'autorité nécessaire pour épurer notre village. Ce qui ne veut pas dire que la moralité ici est plus basse que dans les villes où les polices circulent jour et nuit."
Quant à l'absence de titres de propriétaires, parce que le gouvernement refuse de laisser les résidents acquérir les lots sur lesquels ils sont établis, le même correspondant de La Frontière pose la simple question :
"Si le premier occupant du terrain que vous-mêmes occupez a acheté ce lot ou cette terre de la Couronne, pourquoi la même chose nous est-elle refusée ? Mystère ! "
On remarquera la psychologie apportée par le gouvernement dans le choix de l'époque d'expulsion. Les gens sont établis là depuis plus de dix ans. On les oblige à déguerpir en un temps où l'argent a moins de valeur, où les lots sont plus chers, les loyers plus élevés. Puis ont choisit un moment de l'année où, après avoir travaillé avec ardeur, au printemps, à nettoyer, bêcher, semer et planter leurs jardins, ils devront s'en aller avant les récoltes.
Un mineur de Granada nous écrit :
"Les cultivateurs ne peuvent avoir que 4 livres de clous par mois. Parce que, dit-on, il faut garder le métal pour la guerre.
"Pourtant, je travaille dans une mine d'or. Dans ces exploitations dévouées au dieu jaune, on ne manque de rien. Et le bon fonctionnement d'une mine absorbe une quantité considérable de métal.
"C'est dans une petite mine que je travaille. Les clous y arrivent à la tonne. Des plaques d'acier de toutes épaisseurs, de toutes grandeurs. Des foreuses tout en métal. Des machines et des outils autant qu'il en faut.
"Il n'y a plus d'élastique pour nos bretelles. Mais ici, les boyaux de caoutchouc arrivent par centaines et par milliers de pieds.
"Tout cela pour l'extraction de l'or, qui est d'une parfaite inutilité pour la guerre.
"Pourquoi cette consommation de bon matériel dans une industrie inutile, alors que les cultivateurs et d'autres producteurs de choses utiles ne peuvent obtenir un dixième de ce qu'il leur faut ? Veut-on continuer la farce de l'étalon-or une fois la guerre terminée ?"
Victor IPPERSIEL
Par M. Blackmore, à la Chambre des Communes, le 15 juin :
"J'apprends à ma grande surprise qu'en 1937, un certain personnage du Canada est allé prendre, au nom du pays, l'engagement que le Canada n'augmenterait pas et ne chercherait pas à augmenter sa superficie ensemencée de betterave à sucre.
"Nous n'en avons rien su au Parlement. Cet individu a conclu un accord qui a causé au peuple canadien un préjudice incalculable pendant la guerre. Qui est-il ? Qui lui a dit qu'il pouvait agir de la sorte ? Et pourquoi notre pays, sans en avoir jamais entendu parler, s'est-il trouvé lié par cet accord ?"
Le fait suivant est publié et commenté dans Today and Tomorrow, édition du 3 juin :
Le gouvernement d'Alberta a essayé à maintes reprises de passer des lois pour protéger les fermiers honnête contre des créanciers usuriers qui font passer l'argent avant l'homme. Le gouvernement fédéral et ses institutions ont désavoué, ou annulé, ou déclaré ultra vires, toutes ces lois, l'une après l'autre. Le fédéral soutient que telle législation est de son propre domaine.
C'est donc le fédéral qui se charge de protéger, ou d'immoler, le débiteur que des circonstances empêchent de pouvoir rencontrer ses obligations. Comment s'en acquitte-t-il ? En voici un échantillon :
Il y a quelques années, un fermier achetait une ferme située près d'Edmonton, au prix de $4,800. Ne pouvant payer comptant, il devait signer des arrangements. Depuis cette date, il a payé sur cette ferme un montant total de $5,600, et il doit encore $5,600 ! Incapable de rencontrer ses obligations — ce qui se comprend quand il faut payer une ferme deux fois et demie son prix — il s'est vu récemment chassé de sa maison, avec sa femme, ses enfants et toutes ses possessions.
Cet homme a protesté contre une telle brutalité en pays qui, après tout, se dit chrétien et non nazi. Il a refusé de sortir de sa maison. Pour ce crime, il a été condamné à huit jours de prison.
Qui tient les rênes à Ottawa ?