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La démocratie économique

Louis Even le mercredi, 01 décembre 1943. Dans La politique

Une découverte inattendue

Depuis quatre années, on nous dit que nous faisons la guerre pour le triomphe des démocra­ties contre les dictatures.

Pour ne pas faire mentir la formule depuis que l'invasion du territoire russe par les armées alle­mande a jeté dans le camp des alliés le dictateur le plus féroce au monde, il est devenu de mode d'appeler la Russie une démocratie économique. Même, selon l'expression inventée à New York et consacrée à Moscou à l'occasion du 5e anniver­saire bolcheviste, "une pionnière en démocratie économique."

De quoi faire venir l'eau à la bouche de tous les fervents de la démocratie et activer un flux d'é­migrants vers le pays de Joseph Staline !

La Russie des Soviets, une démocratie écono­mique — voilà bien la grande découverte du siècle. Qui l'aurait prévue, il y a seulement trois ans ?

Nous créditistes, nous, de l'Union des Électeurs, sommes pour une démocratie sur les deux fronts : le politique et l'économique. Mais personne ne se paiera notre tête en venant nous dire que la dé­mocratie politique fonctionne efficacement dans nos pays à parlements, ni surtout en nous présen­tant le régime de Moscou comme un modèle de démocratie économique.

Qu'est-ce qu'une démocratie politique ?

En fait de démocratie politique, nous nous en tenons à une définition très simple :

On a un gouvernement démocratique lorsque le gouvernement est au service du peuple ; et on a un gouvernement totalitaire lorsque les citoyens sont au service du gouvernement.

Le degré dans lequel le gouvernement accomplit la volonté collective des citoyens marque le niveau démocratique du pays.

Le degré dans lequel les citoyens sont asservis au gouvernement marque le niveau totalitaire du pays.

Il serait intéressant d'appliquer ce critère à nos gouvernements dits démocratiques.

Mais, dans cet article, nous voulons nous borner à traiter de démocratie économique.

Qu'est-ce qu'une démocratie économique ?

Qu'entendons-nous par démocratie économique ? C'est aussi simple que pour la démocratie politi­que :

Si le système économique sert bien la masse des consommateurs, on a une démocratie économique.

Si le consommateur est la chose du système, si la masse des consommateurs est victime du sys­tème économique, on a une dictature économique.

Et nous ajouterons ici encore :

Le degré dans lequel le système économique ré­pond aux désirs des consommateurs marque le ni­veau de démocratie économique du pays.

Le degré dans lequel les consommateurs sont soumis au système économique marque le niveau de dictature économique du pays.

Si la dictature politique tyrannise les citoyens, la dictature économique tyrannise les consomma­teurs. Dans les deux cas, ce sont les mêmes vic­times. Dans les deux cas, c'est la même philoso­phie : un petit groupe d'hommes imposant sa vo­lonté à une multitude.

Le vote économique

Pas de démocratie sans vote, dit-on.

Soit. On devrait voter tous les jours pour être en démocratie tous les jours. Voter au moins tou­tes les fois qu'il y a une décision à prendre qui af­fecte notre bien comme membre d'une collectivité. Et n'est-ce pas pour cela que nous avons des repré­sentants ?

Voter, c'est élire, c'est choisir.

Mais, en économie, le consommateur a-t-il l'oc­casion d'exprimer son choix au système écono­mique ?

Certainement ; et il a l'occasion de voter tous les jours dans la mesure où il possède des bulletins de vote.

J'entre chez mon épicier. Si j'ai en main des bulletins de vote économique, qui s'appellent piastre dans ce pays-ci, j'élis les produits que je désire. Si, armé d'un bulletin de vote, je choisis du pain, le système me donne du pain ; si je choisis de la vian­de, du poisson, du beurre, une marque de fromage, telle boîte de conserves, le système me donne le produit demandé et demande au producteur, où qu'il soit, de renouveler le produit, parce qu'il a eu mon suffrage. Et plus un produit obtient de suffrages, plus l'industrie de ce produit devient active.

Si par ailleurs, un produit ne trouve aucun élec­teur avec un bulletin de vote économique, ce pro­duit-là reste sur l'étagère ; le marchand n'en com­mande pas d'autre et le producteur doit changer sa ligne ou sa qualité ; c'est un producteur battu au bureau de votation qu'est le comptoir du mar­chand.

Tyrannie économique

Mais il est déjà arrivé au Canada que les con­sommateurs désiraient de bons et beaux produits étalés devant eux, mais ne pouvaient pas les élire, parce qu'ils n'avaient pas en main le bulletin de vote, la piastre. Ils étaient forcés de voter pour des produits de qualité inférieure, ou même se priver tout à fait.

Dans ces occasions-là, on ne peut certainement pas dire que les consommateurs jouissaient de la démocratie économique. Ils ne pouvaient pas voter selon leur volonté. C'était une tyrannie. Et une tyrannie cruelle, parce que le produit était là, les invitant, et ils devaient s'en retourner les mains vides et laisser d'excellents produits pourrir et al­ler aux vidanges.

On avait mille fois raison de parler de dictature économique.

Actuellement, c'est le système bancaire qui émet les bulletins de vote économique, les piastres ; mais, il oblige à les lui rapporter et à lui en rapporter plus qu'il n'en émet.

Le système bancaire actuel est le grand tyran économique. Il tient toute la vie économique sous sa tutelle. Tous nos bulletins de vote sont des bul­letins empruntés aux banques et taxés par elles. Tant que ce système durera, la démocratie écono­mique est un vain mot, que nous soyons au Ca­nada ou que nous soyons en Russie.

Diminution du droit de vote économique

Tout ce qui contribue à diminuer le droit d'obte­nir les produits diminue le degré de démocratie économique et augmente le degré de dictature éco­nomique. Cela arrive de deux manières : en di­minuant le nombre de bulletins de votes, les pias­tres, entre les mains des consommateurs ou en haussant les prix des produits. Tout ce qui hausse les prix, en effet, diminue la valeur de chaque bul­letin de vote.

Les taxes du gouvernement sur le revenu enlè­vent des bulletins de vote. Les taxes sur la pro­duction ou sur les ventes entrent dans les prix et ôtent ainsi de la valeur aux bulletins de vote.

Toutes les taxes du gouvernement ratatinent donc d'autant une démocratie économique déjà bien chétive. Le gouvernement à taxes est donc, après le système bancaire et beaucoup parce qu'il a passé sa souveraineté aux banques, un destruc­teur de la démocratie économique.

Et ici, pour rétablir la vérité sur la Russie, il serait bon de signaler que le gouvernement soviéti­que taxe autant et plus que le nôtre ; qu'il sabote donc, autant et plus que le nôtre, la démocratie économique. Les taxes soviétiques sur la produc­tion s'élèvent, par exemple, à 13 pour cent sur les jouets, à 40 pour cent sur le savon et la saucisse, à 80 pour cent sur la vodka. Toute vente de pro­duits agricoles en Russie est taxée de 4 à 8 pour cent. Tout revenu dépassant 150 roubles (30 dol­lars) par mois est soumis à une taxe sur le revenu. Ces confiscations de bulletins de vote n'indiquent guère une pionnière en démocratie économique.

Mais revenons chez nous. Les capitaux mouillés qui entrent dans la structure des prix d'une foule de nos produits industriels sont des destructeurs de la démocratie économique ; ils rognent considé­rablement la valeur de nos droits de vote sur ces produits.

La publicité intense, les pressions de vente, sont une épée à deux tranchants contre la démocratie économique ; elles empiètent sur la liberté de vote du consommateur en le poussant à acheter des choses dont il ne se souciait guère ; puis elles di­minuent la valeur de son droit de vote en faisant ces frais de vente et de publicité entrer dans les prix.

La bureaucratie, la paperasserie, les inspections qui mettent le nez du gouvernement là où il ne sert qu'à embêter et à retarder, opèrent de la mê­me manière contre la démocratie économique : elles diminuent le temps utile du système qui doit nous servir et elles alourdissent les prix, puisque toute cette pouillerie gouvernementale doit être payée par les citoyens qui sont en même temps les con­sommateurs.

D'ailleurs, tout parasitisme économique entaille la démocratie économique en envenimant les acti­vités productrices et en surchargeant les prix.

Le planisme, communiste, socialiste ou cécéef­fiste, tue la démocratie économique, en transfé­rant l'élection sur les produits des consommateurs à l'État ou à des bureaucrates.

Pour une véritable démocratie économique

Pour une démocratie économique parfaite, il faut :

1°, Un système producteur compétent, pour four­nir aux consommateurs ce qu'ils désirent avoir. Le système producteur actuel est capable de remplir cette condition, sinon en Russie, au moins au Canada.

2° Des bulletins de vote qui naissent libres de tou­tes dettes et de toute taxe, directement entre les mains des consommateurs eux-mêmes. On n'a cela ni en Russie, ni au Canada. Mais on l'aurait sous un régime de Crédit Social ; c'est même le seul régime qui possède une technique dans ce sens.

3° Que tous et chacun des membres de la société, même dans les couches les moins fortunées, pos­sèdent au moins un minimum suffisant de ces bulletins de vote pour commander au système économique les biens nécessaires à une honnête subsistance. Là encore, seul le Crédit Social a une technique pour y voir infailliblement, sans faire souffrir personne et sans humilier personne.

4° Que le total des bulletins de vote soit en rap­port avec le volume des produits éligibles. Le Crédit Social, et lui seul, a un mécanisme pour maintenir cette parité avec constance et exac­titude.

L'Union des Électeurs veut ces réalisations. Elle est une union de citoyens, véritables amants de la démocratie qui s'organisent pour réclamer leurs pleins droits d'électeurs :

Électeurs en politique, non seulement pour élire des représentants dans les gouvernements, mais aussi pour élire des résultats de la part des gouver­nements ;

Électeurs en économique, pour avoir le droit de voter tous les jours, élire des produits librement, sans les restrictions artificielles des banquiers, sans la tutelle des faiseurs de plans, et de voter abon­damment dans un régime d'abondance.

Si l'on veut la continuation de l'esclavage éco­nomique, qu'on croise les bras et qu'on laisse les financiers rendre la vie horriblement dure, impla­cable et cruelle.

Si l'on veut à la fois l'esclavage politique et éco­nomique, qu'on se mette sous la bannière commu­niste ou sous la bannière cécéeffiste, selon le degré d'esclavage désiré.

Mais si l'on veut une démocratie à la fois politi­que et économique, qu'on joigne l'Union des Électeurs et qu'on réclame le Crédit Social.

Louis Even

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