La session de l'Assemblée Législative à Québec ne languit pas. L'opposition ne pourra pas reprocher au gouvernement d'avoir convoqué les députés sans avoir préparé l'ouvrage.
Dès la deuxième semaine, les députés ont connu la semaine de quatre jours au lieu de trois, et certains jours à deux séances.
Et dès la deuxième semaine aussi, l'adresse en réponse au discours du Trône fut votée. Il n'y a pas eu pléthore de discours. On lira, en un autre endroit, un passage du discours de René Chaloult où il traite de nos prétendus buts de guerre. C'est dans ce même discours qu'il eut son bon mot pour les créditistes, passage également reproduit ailleurs.
La Chambre s'est immédiatement appliquée à l'étude des projets de loi du gouvernement. Celui qui a le plus occupé les premiers jours est le projet de loi de Duplessis concernant les allocations familiales.
L'Union Créditiste des Électeurs appuie de tout cœur le premier-ministre dans la sauvegarde absolue des droits de la province en matière de famille, d'éducation et de droits civils.
Il ne s'agit pas d'empêcher les allocations familiales, mais de prier le fédéral de se mêler de ses affaires et laisser la province se mêler des siennes. Si le Fédéral tire l'argent des provinces par les taxes, qu'il le rende aux provinces pour qu'elles fassent elles-mêmes le service des mesures de sécurité sociale.
La loi adoptée à Ottawa, dit le premier-ministre, est une pénétration dorée dans les domaines sacrés de l'éducation, de la famille et des droits civils. Par ses articles 3, 4 et 5, elle donne au gouvernement fédéral une ingérence dans la surveillance de l'éducation, et le gouvernement fédéral se réserve le droit d'y apporter des modifications ; jusqu'où ne peut-il pas aller ?
Québec, proclame très justement M. Duplessis, possède des droits et des privilèges garantis par le pacte confédératif et que nos pères ont conquis de haute lutte. Tout empiétement du pouvoir central constitue une assimilation, la perte de nos libertés et le sacrifice de notre avenir. Nous sommes une minorité par le nombre, mais une majorité par le droit. Nous nous devons à nous-mêmes, et nous devons à nos ancêtres, de nous élever contre toute intrusion dans nos droits.
Le premier-ministre juge que la loi fédérale des allocations familiales constitue la pire brèche jamais pratiquée dans la partie la plus sacrée de la juridiction provinciale. Il est temps d'arrêter la marche ascendante des accaparements et des centralisations.
M. Duplessis a raison. L'empiétement d'Ottawa est d'autant plus pernicieux dans ce cas-ci, qu'il se fait en offrant une chose nécessaire et depuis longtemps attendue. C'est le voleur qui fait un cadeau pour se faire accepter, comme écrivait Mlle Gilberte Côté dans notre dernier numéro.
Nous voulons les allocations, mais par le provincial. Nous sommes plus difficiles que le député socialiste de Rouyn-Noranda. Pour lui, dès lors que du pain est du pain, qu'importe qu'il nous vienne sur un plat propre ou sur un plat contaminé ? Ce ne sont pas ses termes, mais c'est à cela que revient son discours. C'est d'ailleurs conforme au matérialisme C.C.F. qui ne sait guère distinguer entre conduire des hommes et conduire un troupeau.
M. René Chaloult espère que M. Duplessis sera ferme lorsqu'il ira à Ottawa pour cette question. Mais si Ottawa refuse, que fera le premier-ministre ? demande-t-il. Et il ajoute :
Pour ma part, il me semble que, dans un cas de refus, il y a lieu de refuser notre collaboration à Ottawa. Nous pouvons reprendre les pouvoirs de taxation cédés à l'occasion de la guerre. Il y a d'autres moyens efficaces pour acculer Ottawa au pied du mur. Je ne verrais pas d'un mauvais œil la collaboration avec l'Alberta, voire même avec le premier-ministre d'Ontario, bien que je n'éprouve aucune sympathie pour ce bonhomme-là.
Enfin, ajoute M. Chaloult, s'il n'y a vraiment pas moyen de s'entendre, eh bien ! nous avons déjà vécu en dehors de la Confédération. Si l'on nous force jusque-là, je crois qu'il n'y a pas d'objection à sortir de la Confédération.
Il est certain, comme nous le disons en page 6, que la province de Québec est capable de voir à ses affaires, allocations familiales y compris, dans les bornes de son territoire, si l'on se décide seulement à mettre la finance en rapport avec les réalités.
C'est au cours du débat sur les allocations familiales, que M. Ovila Bergeron a eu un bon mot pour les créditistes de son comté de Stanstead.
Québec, mardi, 20 février. — Le vote vient d'être pris, à quatre heures, sur la loi de Duplessis concernant les allocations familiales. M. Duplessis demandait de voter une loi pour lui permettre de faire les dépenses nécessaires pour rencontrer le gouvernement fédéral et obtenir une loi qui ne soit pas un empiétement sur les droits de la province de Québec. Les libéraux ont voté contre la demande de Duplessis. Ils en ont fait un vote de parti. Il paraît que tous et chacun des libéraux sont du même avis : l'autonomie de la province est une chose très secondaire. Ce qui n'est pas secondaire, c'est l'unanimité d'avis de tous ceux du parti. Comme quoi l'esprit de parti n'est pas mort.
Le gouvernement a tout de même gagné son point, puisqu'il a la majorité, mais il ne peut pas se présenter à Ottawa comme représentant l'opinion unanime de la province de Québec. Les mêmes dépenses seront faites, mais la force réclamant le respect de nos droits sera moindre. Duplessis a pu lancer ce mot aux libéraux : "Judas a vendu son Maître pour trente deniers ; et aujourd'hui, il sacrifierait les droits du père de famille et des enfants pour n'importe quelle somme d'argent."