Extraits d'un discours prononcé à la Chambre des Communes, le 18 octobre 1945, par l'Hon. Solon Low, leader créditiste.
En ce moment, la crainte étreint les cœurs et les esprits de tous ceux qui envisagent honnêtement la magnitude et la complexité des conséquences qui déjà menacent de nous submerger.
La situation en Europe est actuellement tragique à un point indescriptible. De la confusion qui sévit dans un pays ruiné par une guerre cruelle et inutile, la menace de la tyrannie totalitaire montre partout sa tête hideuse.
Le fascisme et le nazisme, bien que vaincus par la puissance des nations unies ou libres, renaissent dans l'ombre en plusieurs pays ; et le communisme s'efforce par tous les moyens de s'emparer du pouvoir dans le reste de l'Europe. La faim, la maladie, l'inanition et la frustration poussent les hommes à agir contrairement à la logique et à la raison.
Cependant, ce que je crains le plus pour l'avenir, c'est que la lumière et la raison disparaissent de l'esprit des hommes, jusqu'au point de leur faire perdre toute ambition de lutter pour conserver les principes fondamentaux de la dignité et de l'inviolabilité de la personne humaine.
J'ai examiné avec soin la Charte des Nations Unies et dans ces 111 articles, je ne vois aucune disposition claire et spécifique visant la conservation du principe chrétien de l'inviolabilité de la personne humaine.
Je sais qu'on a bien parlé de ce que nous ferons et des quatre libertés que nous établirons dans tous les pays du monde ; mais je ne trouve dans cette charte aucune garantie des droits du citoyen, aucune protection de l'individu contre la tyrannie... Voilà bien une raison de mon étonnement de la façon superficielle dont la charte a été présentée à la population du Canada et aux membres de la Chambre qui devront se prononcer au nom de tous les Canadiens.
On a répudié la charte de l'Atlantique, prétendant qu'elle ne constituait pas un pacte, mais seulement une ligne générale de conduite pour les Alliés démocratiques... Cette répudiation reflète-t-elle la détermination d'établir des conditions qui favoriseront la fidélité aux engagements découlant des traités et du droit international ?
Les honorables députés se rappellent la promesse solennelle renfermée dans le traité conclu entre la Grande Bretagne et la Pologne, avant la guerre. Or quel est maintenant pour ce dernier pays le prix de la victoire ?
La Pologne doit perdre une grande superficie de son territoire aux mains de la Russie soviétique, qui est membre permanent du Conseil de sécurité. De plus, la Russie acquiert ce territoire avec l'assentiment des quatre autres membres permanents de ce conseil. Le reste du pays, apparemment, sera sous la domination russe. Et pourtant, on nous avait assurés à maintes reprises que les Nations-Unies ne luttaient pas pour des conquêtes de territoires.
Staline lui-même disait le 6 novembre 1941 : "Nous n'avons pas et nous ne pouvons avoir pour ambition de nous emparer de territoires étrangers, que ce soit des peuples ou des territoires européens ou des territoires et des peuples asiatiques, y compris l'Iran."
À son tour, M. Litvinoff disait le 16 mars 1942 : "Nous souhaitons tous que la guerre se termine le plus vite possible et que l'on conclue au plus tôt un traité de paix juste, qui permettra à chaque nation de grandir selon ses aspirations, sans intervention étrangère et sans craindre que la guerre n'éclate à nouveau ?"
Demandez à n'importe qui en Pologne, en Lettonie, en Estonie, en Lituanie, en Roumanie ou en Bulgarie, ce qui s'est produit depuis que ces promesses ont été faites. Et quel est le sort des populations de ces divers pays aujourd'hui ?
Traite-t-on ces gens avec justice ? Respecte-t-on les obligations que comporte le droit international ? Observe-t-on les droits de l'homme ou les droits des petites nations ?
Voilà des questions qui démontrent très clairement que M. Crawford, journaliste libéral des États-Unis, ne se trompait guère lorsqu'il a déclaré :
"La charte et l'organisation à laquelle elle donne naissance ne sont qu'une imposture pour dissimuler les mêmes méfaits : la domination des nations faibles par les nations puissantes."
La Charte des Nations Unies fut signée par les représentants des gouvernements comme moyen d'assurer dorénavant la paix de l'univers. Depuis lors la guerre a pris fin. Mais chaque jour la situation mondiale s'aggrave.
Et qui est à blâmer ? Les mêmes nations qui, hier, préconisaient la paix. Il n'y a que quelques courtes semaines que les hostilités ont pris fin et déjà on craint de plus en plus qu'une troisième guerre mondiale éclate.
Je tiens à consigner au compte rendu une citation d'un numéro récent du Daily Herald, d'Angleterre, l'organe officiel du parti travailliste britannique. C'est une déclaration qui, à mon sens, est de mauvais augure :
"Le monde se dirige en toute connaissance de cause vers une nouvelle guerre."
Le même journal ajoute qu'au conseil des ministres des Affaires extérieures, réunis à Londres, ont prédominé "la politique du pouvoir, les soupçons et les ambitions" et que les Chartes de l'Atlantique et de San Francisco "semblent déjà oubliées."
L'article 2 de la Charte affirme que l'organisation est fondée sur l'égalité souveraine de toutes les nations. Cependant, sous l'empire de l'article 27, les nations membres sont assujetties, lorsqu'il s'agit de questions essentielles, à la décision de sept des onze membres du Conseil de sécurité.
Font exception à cette règle les cinq grandes puissances, les membres permanents de ce conseil. Il leur est loisible, par l'exercice du droit de veto, de rejeter toute telle décision. Le privilège spécial de membre permanent du conseil, ajouté au droit de veto absolu, place ces cinq grandes nations dans une catégorie à part. Bien que les autres pays doivent accepter leurs décisions, elles ne sont pas tenues d'accepter celles des autres nations.
Est-ce bien là une application du principe de l'égalité souveraine des nations ? Si la réponse est affirmative, je dois avouer que, pour ma part, je considère cette interprétation des mots plutôt singulière.
Autre point. L'article 4 déclare que toutes les nations pacifiques peuvent devenir membres de l'Organisation des Nations Unies.
Qu'est donc une nation pacifique ? Serait-ce celle qui, aujourd'hui, fait profession de nobles intentions qu'elle répudie par ses actes le lendemain même ? Qui définira ce terme ?
Il semble que l'Union Soviétique a droit d'être considérée comme nation pacifique ; il faut cependant avouer que ses voisins occidentaux, la Finlande, les États balkaniques et la Pologne, n'ont guère bénéficié des intentions pacifiques de la Russie.
La meilleure garantie du respect d'un contrat, d'un pacte ou d'un engagement ne peut jamais résider que dans l'intégrité des parties en cause.
J'aborderai maintenant un autre point. Aux chapitres 9 et 10 de la charte il est pourvu à l'établissement d'un Conseil économique et social international. Cela comporte naturellement l'assujettissement plus ou moins complet de l'économie des diverses nations à la régie d'un organisme international.
Or, quels seront les personnages doués des dons surhumains nécessaires, pour qu'ils puissent conseiller et guider les nations quant à la façon d'administrer leurs affaires domestiques ? Quels seront ces personnages, sinon les experts financiers et économiques que les divers gouvernements ont chargés de les conseiller ?
Je n'ai guère besoin de rappeler aux honorables députés que le terrible bouleversement économique des années d'avant-guerre, qui a abouti au conflit le plus dévastateur de l'histoire, donne bien la mesure de la sagesse conjuguée de ces personnages.
L'absurdité d'assujettir l'économie des diverses nations du monde à la direction, et même à la régie partielle, de tels personnages, est manifeste même pour l'écolier le moins perspicace.
Toutefois, si nous songeons que l'organisme économique et social projeté aura l'appui d'un puissant Conseil de sécurité, autorisé à recourir aux armes s'il le faut pour supprimer toute opposition à l'état de choses résultant des actes de ces soi-disant conseillers économiques, nous ne pouvons manquer de saisir le danger que comporte cette disposition de la charte.
Je serai plus précis. Les premiers fruits de l'organisation internationale proposée sont ce qu'on est convenu d'appeler les propositions de Bretton-Woods visant l'établissement d'une caisse monétaire internationale.
Les propositions de Bretton-Woods comportent l'imposition du régime discrédité de l'étalon-or à tous les pays, plaçant le régime financier existant dans une position imprenable, soumettant les économies de toutes les nations à un contrôle central rigide par les maîtres de la caisse.
En dernière analyse, ceux qui régiront la caisse seront les puissantes banques dominées par l'Allemagne, soit le même groupe qui, je l'espère, sera traduit un jour devant un tribunal pour répondre à l'accusation d'avoir causé la récente guerre tragique, des souffrances et des misères humaines indicibles.
La conférence de Bretton-Woods a adopté le plan général proposé par les "spécialistes", plan visant à enchaîner encore une fois les nations de l'univers à l'étalon-or, sous la régie centralisée d'un organisme spécialisé que la charte soumise à notre examen se propose d'établir.
La régie de la finance internationale est essentielle à la domination mondiale ; pour rendre cette domination absolue cependant, une régie analogue de puissantes forces armées est également essentielle.
Il est donc très significatif que la conférence de Dumbarton-Oaks, où ont été prises les premières mesures pour placer les forces armées du monde sous une seule autorité, ait suivi celle de Bretton Woods. Puis la conférence de San Francisco est venue consolider dans une charte unique l'ensemble de ces diverses propositions.
Les véritables auteurs de la charte cependant, les hommes qui l'ont réellement rédigée, étaient si manifestement désireux d'en masquer les dangers et les traits antidémocratiques derrière un nuage de phrases creuses et humanitaires, qu'ils ont dépassé la mesure.
L'énoncé des buts dans le préambule de la charte n'a rien de commun avec le but sinistre que l'on découvre dans le projet d'organisation même. Cette organisation comporte des traits qui sont une violation flagrante des principes de démocratie et de justice humaine les mieux établis. Elle est non seulement irréalisable, mais fort dangereuse. Dans sa forme actuelle, elle ne peut, en dépit de tous les efforts de l'imagination, servir la cause de la paix et de l'avancement de l'humanité.
Tout ce que nous faisons pour apporter au monde la paix doit être imprégné de l'esprit chrétien, de sorte que les enseignements du Christ soient appliqués à l'établissement de l'ordre mondial et du bonheur commun.
Cette charte est l'œuvre des hommes et elle se moque de l'idée même de la dépendance des hommes par rapport à leur Créateur, parce qu'on ne trouve dans aucune de ses dispositions une seule allusion à la nécessité du doigt de Dieu pour diriger et éclairer les nations du monde dans la poursuite de la paix.
Il n'y aura de paix que le jour où les nations de la terre se repentiront et se jetteront à genoux, pour reconnaître sincèrement et humblement la nécessité d'une orientation divine dans toutes leurs affaires.
Je veux établir clairement que le groupe du Crédit Social n'est pas opposé au principe de la coopération internationale. Nous reconnaissons le besoin d'un organisme international ou de mesures de protection mutuelle contre l'agresseur.
Au fait, nous sommes fortement en faveur d'une entente et d'une collaboration internationales. Toutefois, nous abordons le problème sans perdre de vue la réalité. Nous disons qu'il est impossible d'en arriver à une telle coopération sans que soient abolies les principales causes de désaccord international. Jusque-là, on ne peut guère espérer la paix dans le monde, parce que ces causes profondes de mésentente nuisent à la concorde internationale à base d'esprit chrétien.
Le premier problème auquel doivent s'attaquer toutes les nations est donc la suppression des principales causes de friction internationale, et elles sont au nombre de deux.
En premier lieu, chaque pays doit mettre de l'ordre chez lui et faire disparaître toute cause de mécontentement interne. La paix dépend du bien-être de toutes les familles au pays.
Or quelle sorte de contribution le Canada peut-il apporter à la cause de la paix mondiale tant qu'il y aura du mécontentement au sein de notre pays même, tant que le reste du Canada s'opposera à Québec, ou Québec au reste du Canada, que l'Est sera contre l'Ouest, tant qu'il y aura des troubles ouvriers et que les préjugés et les haines intenses existeront ?
Quelle contribution les États-Unis pourront-ils apporter à la paix mondiale tant qu'ils ne s'entendront pas sur le problème des Noirs, que les groupements ouvriers se feront la lutte, qu'il y aura des conflits d'intérêts entre factions et régions ?
Tant que les conflits domestiques feront grandement partie de l'organisation sociale des nations, aussi longtemps la guerre fera partie de l'organisation sociale de l'univers. Et cette route conduit à l'annihilation de la race humaine.
On ne s'aurait éliminer les conflits domestiques autrement que par la réorganisation de la vie nationale, de manière à assurer la sécurité et le maximum de liberté pour tous les habitants d'une nation, sans égard à la race, à la croyance, à la couleur de la peau, ou à la langue.
La deuxième cause importante de la guerre, c'est l'obsession insensée de la part de chaque nation (ce qui découle des vices de notre régime monétaire) qu'elle doit exporter le plus possible et importer le moins possible.
Cette lutte pour obtenir les marchés étrangers n'est rien d'autre qu'une guerre économique organisée, qui ne peut que conduire à toutes les horreurs d'un confit armé.
Lorsque nous aurons mis notre demeure en ordre, et que nous aurons battu la marche en démontrant ce que doivent être de véritables relations commerciales internationales, à savoir : l'échange de marchandises contre les marchandises, le paiement des exportations au moyen des importations, alors le peuple canadien sera prêt à prendre sa place dans un groupement de nations mondiales et y exercer une saine influence pour le bien.
Quand les diverses nations du monde auront, par des actes du même genre, fait connaître et établir leur intégrité, le monde sera alors prêt, selon moi, à participer pleinement et avec succès à une assemblée démocratique du monde entier, le Parlement de l'humanité.
SOLON LOW