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Le non-sens financier est-il tué ?

Louis Even le mercredi, 01 août 1945. Dans La politique

Lorsque les États-Unis entrèrent en guerre, le président Roosevelt donna comme mot d'ordre : Toutes ressources humaines et matérielles du pays au service de la nation en guerre ; l'argent ne peut être une limite ; Kill the financial non­sense ! — Tuez le non-sens financier!

Pourquoi dit-il : Tuez le non-sens financier. Pourquoi ? Parce que depuis 1933, le non-sens financier avait paralysé tous ses efforts pour sortir les États-Unis d'une crise stupide et pour établir une prospérité en rapport avec l'immen­se capacité de production du pays.

Roosevelt avait perdu la guerre intérieure contre l'ennemi intérieur, à cause du non-sens financier. Il le savait bien. Il savait bien qu'il n'y avait aucun sens à chômer en face de be­soins criants. Il savait bien qu'il n'y avait au­cun sens à détruire le coton, le blé, le café, les animaux domestiques, en face de familles qui avaient besoin de coton, de blé, de café, de vian­de, de lait.

Le président Roosevelt, qui avait déterminé sincèrement de sortir les États-Unis du maras­me, n'y avait pas réussi, malgré sa bonne volon­té, malgré des efforts multipliés, malgré de nom­breux organismes établis par lui exprès pour tri­ompher du chômage.

Roosevelt savait bien aussi que le seul obsta­cle dans sa lutte contre le chômage et contre la crise était un obstacle d'argent. Il savait très bien que les États-Unis avaient tout excepté l'argent, à leur service. Il savait bien que, si l'argent avait fait défaut tout d'un coup, en 1930, ce n'était pas par un acte divin ni par un acte naturel, mais par une action d'hommes.

Roosevelt avait gémi bien des fois sur cette absurdité d'un pays en pénitence en face de trop de produits, uniquement parce que la finance n'était pas en rapport avec les faits.

Depuis longtemps, il trouvait que la finance était un non-sens, et que ce non-sens financier frustrait tous ses efforts.

Pearl Harbor est venu, comme un coup de foudre. Comme un coup de foudre aussi, Roose­velt a poussé le cri d'alarme : Kill the financial nonsense ! Devant la nation en danger, tuez le non-sens financier ! On a pu laisser des millions d'Américains souffrir inutilement pendant dix années à cause du non-sens financier. On ne devra pas laisser envahir le sol de l'Amérique par les Japonais à cause du non-sens financier. On ne devra pas laisser les Allemands couler nos bateaux et menacer nos côtes à cause du non-sens financier.

La finance a été pendant dix années entre les stocks débordants et les foyers vides. La finan­ce a été pendant huit années entre ma volonté de chef responsable et l'accomplissement de mes desseins. Je ne supporterai pas qu'elle soit un instant désormais entre mes ordres et leur exé­cution. Pour l'amour du pays et de toute l'hu­manité, tuez le non-sens financier. Qu'aucune usine ne reste fermée faute d'argent. Qu'aucun service de transport ne soit immobilisé faute d'argent.

Qu'aucune armée ne soit privée de nourriture ou de munitions faute d'argent. Tuez le non-sens financier.

Les caractères du non-sens financier

Avant de se demander si le non-sens financier a été tué, examinons ses principaux caractères. C'est, en effet, à ses manifestations qu'on le re­connaît.

Le non-sens financier n'est pas une statue sur la place publique, dont on peut dire : Elle est encore sur son piédestal, ou bien : : Elle a été jetée à terre. Non le non-sens financier n'est pas un monument public ou privé, visible à tous les yeux.

Le non-sens financier n'est même pas un grou­pe d'hommes bien connus, qui se rassemblent, comme un Parlement, au su et vu de toute la nation, pour passer des règlements dépourvus de bon sens. Le non-sens financier ne signe pas d'ordonnances, comme la commission des prix, pour dicter des rationnements, même lors­qu'il nous rationne bien sévèrement et bien plus longtemps que la commission des prix.

Non. Le non-sens financier n'est ni une cho­se, ni un homme, ni un groupe d'hommes visi­ble, même si c'est le tyran qui a fait le plus de mal à l'humanité.

Le non-sens financier est une structure, un système de réglementations, dont on ressent les effets. Et c'est parce que les effets étaient con­traires au bon sens, que Roosevelt appelait ce système un non-sens.

Quels sont les principaux caractères du non-sens financier. ?

Citons-en seulement trois :

1.— Le non-sens financier fait des poches vi­des en face des magasins pleins.

2.— Le non-sens financier empile les dettes au rythme du progrès.

3.— Le non-sens financier ne consent un peu de prospérité aux hommes que s'ils sont enrégimentés comme des animaux.

Poches vides et magasins pleins

Ceux qui ne peuvent croire à l'existence de poches vides en face de magasins pleins sont des gens à la mémoire courte, ou encore des favoris chargés de maintenir la multitude en esclavage.

Des perroquets de chaires d'économie politi­que auront beau répéter que la production dis­tribue toujours un pouvoir d'achat équivalent aux prix des produits, dix années de pouvoir d'achat déficitaire posent un bonnet d'âne sur leur tête parcheminée.

Le pouvoir d'achat provenant de la produc­tion de choses à vendre est insuffisant, lorsque les gens doivent produire des choses qui ne se vendent pas, afin d'avoir assez d'argent pour acheter les choses qui se vendent. Lorsqu'il faut faire une route, un pont, un bureau de pos­te, qui ne se vendent pas, pour avoir de quoi acheter du blé, des pommes de terre, des chaus­sures, des habits, qui n'attendaient que l'argent, c'est une preuve que la production du blé, des pommes de terre, des chaussures, des habits n'avaient pas distribué assez de pouvoir d'achat.

Le pouvoir d'achat est déficitaire lorsqu'il faut vendre à crédit, sous peine d'avoir à fermer les manufactures. La vente à crédit signifie deux choses : 1° que le produit est là, puisqu'il se vend ; 2° que l'argent n'est pas en face, puis­que l'acheteur ne peut pas payer le prix entier.

Mais un changement est survenu avec la guerre.

On a poussé, pour la guerre, la production de choses qui ne se vendent pas. La fabrica­tion de canons met de l'argent dans les poches sans mettre de beurre dans les magasins. À cau­se de cela, certains sont portés à célébrer les funé­railles du non-sens financier, même s'il a fallu, pour le tuer, organiser d'abord une tuerie d'hom­mes et une destruction de choses.

Même à ce compte, cependant, n'allons pas trop vite danser sur la prétendue tombe du non-sens financier. N'oublions pas que la fabrication de canons doit diminuer, ou même cesser éven­tuellement. Si les canons et les bombes ne rem­plissent plus les poches d'argent, et surtout si les fabricants de bombes et de canons se met­tent à produire du blé, des chaussures, des cho­ses qui se vendent, ne va-t-on pas revenir au régime des choses venant plus vite que l'ar­gent ?

Pour s'assurer que le non-sens financier est bien disparu, voyons si ses autres caractères ont dis­paru de l'économie.

Dettes et progrès

Le non-sens financier du monde moderne em­pile les dettes à mesure que la production fait du progrès.

C'est tellement vrai que le pontife financier du Canada, Graham Towers, gouverneur de la Banque du Canada, déclare publiquement que les dettes sont un indice de progrès. Il n'y a de dettes que dans les pays civilisés, ajoute-t-il, que dans les pays qui travaillent et font du pro­grès ; il n'y en a pas chez les peuplades arriérées du centre de l'Afrique.

C'est vrai, et c'est facile à comprendre avec le non-sens financier. À mesure qu'un pays fait du progrès en production, il y plus de choses à vendre dans ce pays. En face de plus de choses à vendre, il faut plus d'argent pour les acheter. Il faut donc que l'argent augmente avec le pro­grès. Or l'argent n'augmente pas tout seul. Et sous notre régime de non-sens financier, l'argent n'augmente que par l'action des banques d'émis­sion, en retour de dettes signées par des gouver­nements, par des industriels, par des commer­çants.

Le progrès se représente donc par des dettes ; et cela, à cause du non-sens financier.

Eh bien, les dettes continuent-elles à augmen­ter ou diminuent-elles, depuis que Roosevelt a condamné le non-sens financier à mort ?

Les dettes ont continué de plus belle. Elles ont plus que triplé au Canada, plus que quadru­plé aux États-Unis. Pourquoi ? Parce qu'on bougeait pour la guerre. Et sous le système quand on bouge, on s'endette. C'est donc en­core bien le règne du non-sens financier, sorti de la guerre trois fois plus fort qu'en y entrant. Il est loin d'être mort, il est mieux armé que ja­mais.

Prospérité et enrégimentation

Le non-sens financier met l'argent au service des hommes seulement lorsqu'ils sont bien enré­gimentés, comme pendant la guerre chez nous, ou comme sous le régime bolchevique et le ré­gime naziste en Europe. Pendant qu'on chô­mait, faute d'argent, dans les démocraties, l'em­bauchage intégral était florissant dans les dic­tatures.

Nous appelons cela un non-sens, parce que l'homme n'est pas un animal domestique. Un régime financier qui ne sert bien l'homme que s'il est mené comme un animal domestique, ce régime-là est un non-sens, il va contre la nature de l'homme.

La guerre finie, est-ce que l'enrégimentation va encore être nécessaire pour avoir un peu de prospérité ? Mais certainement, parce que le non-sens financier est toujours là. Est-ce que les gouvernements sont pressés de dissoudre leurs commissions bureaucratiques ? Ne nous ré­pètent-ils pas qu'il faut les maintenir pour em­pêcher le pays de sombrer dans une nouvelle crise ? Est-ce qu'ils ne nous parlent pas tous de plans, de grands plans d'État, de grands projets d'embauchage, d'enrégimentation du travail sur une vaste échelle, pour éviter des conditions que les populations ne subiraient plus sans se révol­ter

Nous allons à l'enrégimentation permanente, à la perte graduelle de la liberté, sous prétexte de maintenir la prospérité qu'on a connue pendant la guerre. Pourquoi ? Parce que le non-sens fi­nancier est encore là.

Pour tuer le non-sens financier

Pour tuer le non-sens financier, il faut autre chose qu'un cri de mort, ce cri fût-il poussé par le chef d'un grand État.

Pour tuer le non-sens financier, il faudra éta­blir concrètement un système financier de bon sens :

L'argent au service des hommes ;

L'argent au niveau de la production ;

L'argent dans les maisons, en face des pro­duits ;

L'argent naissant sans endetter personne ;

L'argent allant aux hommes sans les lier.

Ce système financier de bon sens, il est tout indiqué dans les propositions monétaires du Cré­dit Social.

Mais si le non-sens financier a résisté à Roose­velt, et aux autres chefs d'État, pendant dix an­nées de crise ; s'il s'est affermi pendant que les nations se saignaient, il ne consentira point à disparaître devant de simples désirs.

Staline est puissant, mais le non-sens finan­cier est encore plus puissant que Staline. Et si les chefs des grandes nations démocratiques s'in­clinent devant Staline, croit-on qu'ils vont se raidir devant le non-sens financier ?

Il ne faudra pas moins que la plus grande for­ce politique au monde : la force de tout un peu­ple sur pied, réclamant le coup de mort au non-sens financier, et tout entier derrière son gou­vernement pour inaugurer et maintenir un sys­tème financier de bon sens.

Louis Even

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