Le pire affameur est-il l'Allemand ou le banquier ? La Belgique a fait l'expérience des deux, et la lettre suivante, d'un correspondant d'Anvers au Social Crediter de Liverpool, semble trouver le retour au régime de la banque pire que l'occupation allemande :
"Pendant l'occupation allemande, la Belgique était en pleine prospérité. La Bourse restait ouverte, et presque toutes les manufactures travaillaient à plein, excepté celles qui devaient dépendre de la matière brute coloniale. On n'avait aucune difficulté à trouver des acheteurs. L'argent n'était pas un problème. Du travail et des produits, c'est tout ce qui suffisait.
"Naturellement, 80 pour cent des produits étaient vendus sur le marché noir. Le coût de la vie était très élevé, mais pas aussi élevé qu'à présent. 80 pour cent des achats devaient se faire sur le marché noir à environ dix fois le prix d'avant-guerre : nourriture, charbon, habits, vin, liqueurs, etc. ; mais il y en avait en abondance, Lorsque les armées britanniques vinrent en Belgique, elles s'étonnèrent de notre confort et de notre abondance. Elles n'y pouvaient rien comprendre. Leurs officiers, invités dans des maisons privées, déclaraient n'avoir pas connu de si bons repas depuis des années...
"Tout cela est fini. Les mesures financières prises par Gutt ont asséné un formidable coup de mort aux affaires. On ne trouve plus ni charbon, ni gaz, ni vêtements, ni vin. Les rations permises officiellement sont plus élevées, mais à quoi bon quand il n'y a ni viande, ni lait ? Quand bien même nous aurions de la matière première dans nos manufactures, impossible de la travailler, faute de charbon ou de gaz.
"Lorsque les Allemands étaient ici, ils prenaient tout ce qu'ils pouvaient, et cependant on avait de l'abondance ; depuis la libération, il n'y a plus de pillage allemand, et cependant c'est la disette. Voilà certainement le plus grand mystère que j'aie jamais connu.
"Je ne veux pas dire que les années de guerre étaient un temps splendide. Mais les gens gagnaient beaucoup d'argent et en dépensaient beaucoup. Aujourd'hui, toutes les affaires sont à terre.
"... Il était impossible évidemment, de vivre sur les seules rations officielles ; aussi, pratiquement tout le monde achetait plus ou moins de nourriture sur le marché noir. Le marché noir était très bien organisé en Belgique.
"La population était divisée en deux sections : ceux qui achetaient la nourriture et ceux qui l'apportaient aux villes. Ces derniers s'appelaient les "smokkeleers". La plupart de ces smokkeleers étaient de petites gens : concierges, vendeurs de journaux, commis de banquets, etc., qui offraient du beurre, du bacon, du savon, du riz, du café, etc.
"On pouvait aussi acheter autant de coupons d'alimentation qu'on voulait et, avec ces coupons, obtenir du pain, de la viande, etc., aux prix officiels, dans les magasins ordinaires. Les riches se procuraient tout ce qu'ils voulaient, et les pauvres vivaient décemment grâce à leur organisation du "smokkel". Le paysan vendait une partie de sa production sur le marché officiel aux prix officiels ; mais ils s'arrangeait de façon à en conserver la plus grosse partie pour vendre aux smokkeleers.
"L'étonnant de ce système réside dans la question : D'où venaient tous ces produits alimentaires, malgré les appropriations par les Allemands ? Aujourd'hui, le pillage allemand est fini, et l'on manque de tout. Explique qui pourra.
"Lorsque le gouvernement belge exilé à Londres, est revenu, il a dû être surpris de constater cette prospérité et l'abondance d'argent. Les gens n'avaient plus besoin des banquiers pour conduire leurs affaires. Je pense que c'est une des raisons pour lesquelles Gutt a bloqué tout l'argent en circulation. Aujourd'hui, les gens doivent retourner à la banque, pour obtenir des prêts gagés sur leur propre argent bloqué.
"Ces mesures financières ont été un désastre pour les affaires. Depuis, tout est arrêté. La Bourse est fermée depuis neuf mois. Le gouvernement n'a pas été capable de lancer de nouveaux emprunts, personne n'y voudrait souscrire. Toute confiance est partie."
Un inspecteur du rationnement explique aux cultivateurs vendant de la viande sur le marché de Rouyn qu'il faut exiger des coupons.
Une femme de cultivateur : Mais, monsieur, si les gens n'ont pas assez de coupons, qu'allons-nous faire de notre viande ?
L'inspecteur : La reporter chez-vous.
La femme : Et la laisser se gâter ?
L'inspecteur : Qu'elle se gâte ou qu'elle ne se gâte pas, peu importe, c'est le règlement et il faut le respecter.
La femme : Plutôt que de servir la viande au public, on va la laisser se gâter ? Le public ne l'aura pas et nous allons la perdre ! Est-ce cela qui va nous encourager à augmenter la production de viande ? Vous voyez bien, monsieur, que votre règlement est illogique. Au lieu d'épargner la viande, on la gaspille.
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Pendant ce temps-là, pendant qu'on rationne les Canadiens maladroitement, pour nourrir les pays d'Europe, le Danemark, pays d'Europe, a des surplus de viandes et d'autres choses qu'il ne demande pas mieux que d'exporter aux pays européens qui en ont besoin. Mais il manque de moyens de transport.
"Pays de l'abondance et de la surabondance, écrit le Devoir, le Danemark pourrait alimenter des millions et des millions d'affamés d'Europe, si l'on mettait à sa disposition les nécessaires moyens de transport. On ne l'a pas fait. Pourquoi ?"
Le secrétaire permanent du Congrès de l'Agriculture du Danemark dit que son pays a un surplus hebdomadaire de 3,000 à 4,000 tonnes de viandes de bœuf qu'il ne peut exporter à cause de l'insuffisance de moyens de transport.
Le Danemark est bien plus près que le Canada des populations affamées. Que fait donc la bureaucratie ?
Les fonctionnaires de la Commission des Prix d'Ottawa disent qu'au régime actuel, le Canada va rester en-dessous de son programme de ravitaillement de l'Europe, de 40 millions de viande de bœuf pour l'année qui se terminera le 31 décembre. Et le Danemark accumule hebdomadairement 4,000 tonnes de viande de bœuf, ce qui fait 416 millions de livres dans une année, dix fois ce qui manque de la part du Canada.
Y a-t-il beaucoup d'intelligence à agacer tous les marchands et consommateurs du Canada, pour trouver de ce côté-ci de l'océan le dixième de ce qui reste inutilisé de l'autre côté, tout près des pays en détresse ?
Lettre ouverte de Walter Smith, fermier de la Saskatchewan, au gouvernement d'Ottawa :
Moi-même et ma famille, par les présentes, protestons, jusqu'au point de la révolte déclarée, contre le rationnement de toute nourriture au Canada — particulièrement pour le sucre, le beurre, la viande.
Nous exigeons que le sucre et le beurre soient enlevés de la liste du rationnement.
Notre intelligence est claire et notre mémoire est bonne.
Nous nous rappelons 1931 à 1939, lorsque vous ne vouliez pas nous permettre d'avoir assez de nos propres produits pour vivre convenablement. Vous disiez : "D'où viendra l'argent ?"
Dites-nous donc qu'est-ce que l'Europe a fait pour nous nourrir en ces années-là.
Vous nous prenez aujourd'hui notre production alimentaire à la moitié de son prix, et, par les taxes, vous nous enlevez un montant tellement déraisonnable du revenu qui nous reste que vous créez la plus grande famine du monde.
De fait, vous empêchez nos jeunes de se marier et d'élever convenablement des enfants. Votre cœur saigne de compassion pour tout le monde sur la planète, excepté pour la population du Canada.
Je suis saturé, dégoûté et fatigué de vos dictateurs nommés par le gouvernement.
J'ai été un pionnier en production de nourriture, ici même, depuis 1905. Je possède des fermes situées à 28 milles l'une de l'autre. Or, je n'ai pu avoir un permis de pneu depuis le commencement de la guerre. Mais le régisseur accorde des permis à des non-producteurs, à droite et à gauche.
Sur nos fermes de 3,360 acres, nous ne pouvons pas avoir une seule chose sur caoutchouc, alors que des nouveaux-venus ont tout ce qu'ils veulent sur caoutchouc. La séniorité et le mérite ne comptent pour rien avec de tels dictateurs fascistes.
Walter SMITH
Swift Current, Sask.
Si la bombe atomique avait été lancée par les Allemands ou par les Japonais, la conscience des Nations-Unies se serait sûrement révoltée. On aurait condamné cette arme au nom de la civilisation et du christianisme. Mais, vu que cette bombe a été inventée et lancée par les Alliés, la presse des Nations-Unies l'a saluée comme un moyen bienvenu de terminer la guerre et de sauver des vies humaines. Pourquoi cette différence ? Qu'est-ce qui fait la morale ?
L'armée allemande ne connut que des victoires spectaculaires pendant trois années. Mais personne n'eut l'idée de dire que le prestige militaire de l'Allemagne était une preuve en faveur de la civilisation ou une justification du nazisme. Lorsque, à son tour, l'armée russe refoula les bataillons allemands et se couvrit de gloire, la presse communiste, et même la simple presse libérale, ne manqua pas de proclamer que les victoires russes prouvaient la valeur du système social des Soviets.
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Au printemps de 1940, lorsque la France croulait sous l'invasion allemande et que l'armée anglaise se ré-embarquait en vitesse à Dunkerque, l'Italie profita de la situation pour déclarer la guerre à la France, sans la moindre provocation de la part de celle-ci. Ce fut un cri d'indignation dans nos démocraties. Avec raison on taxa le geste de l'Italie de coup de poignard dans le dos d'un voisin déjà frappé à mort. À l'été de 1945, sans la moindre provocation, la Russie déclare la guerre au Japon affaibli. Ces mêmes consciences, qui s'étaient indignées devant le coup de poignard italien, acclament maintenant le coup de poignard russe. Comment un acte, mauvais quand il est posé par Mussolini, peut-il devenir bon quand il est posé par Staline ?