Cet article est extrait d'une causerie donnée par M. J.-Ernest Grégoire à CHRC le 1er novembre. Il est tout fait pour éclairer ceux qui ne comprennent pas pourquoi les créditistes participent à l'élection de la Beauce. On remarquera aussi la différence entre ce discours du candidat des électeurs et les discours de n'importe quel politicien de parti : la différence entre la lumière et le bruit.
L'élection de la Beauce est la première élection provinciale partielle depuis l'élection générale d'août 1944. Les deux grands partis de la province — l'Union Nationale et le parti Libéral — déploient toute leur force. Ils veulent l'un et l'autre persuader la province, le premier qu'il a conservé la faveur de l'électorat, le deuxième qu'il a reconquis la faveur de l'électorat.
Argent, patronage, promesses, menaces, boisson, autos, tapage, tout est exploité de main de maître par des experts dans le métier.
C'est le vieux jeu des vieux partis — tout feu et tout flamme pour la foule en temps de campagne électorale, et tout à fait indifférents aux souffrances de la multitude entre les élections. À ce titre, bleus et rouges sont deux visages d'une même âme.
En face de ces deux grosses vagues qui déferlent et se heurtent sur le comté de Beauce, les créditistes du comté ont décidé, à bon escient, d'entrer dans l'arène pour faire entendre, au milieu du tapage infernal, la voix du bon sens, le langage d'électeurs alertes et renseignés.
Pour les créditistes et leur candidat, il ne s'agit ni de faveurs ni d'honneurs à cueillir ; mais d'une politique de bien commun à revendiquer, des principes d'une véritable démocratie à proclamer.
Les partis politiques tels que nous les avons, les campagnes électorales telles que conduites par les partis politiques, et l'attitude des partis politiques entre les élections, sont la négation même de la démocratie et le mépris du peuple.
De démocratie, de gouvernement pour le peuple, nous n'avons guère que le nom, tout au plus une grossière caricature et une façade trompeuse.
Il ne peut y avoir de véritable démocratie tant que le peuple n'est pas d'abord éclairé, renseigné et organisé pour veiller sur les actes de son gouvernement, pour parler à ses députés et se faire écouter d'eux.
Or, où et quand les partis politiques ont-ils commencé cette éducation politique du peuple ? Où et quand ont-ils commencé à organiser le peuple pour qu'il se fasse entendre par ses députés sur les grandes questions politiques qui affectent ses intérêts ?
La seule organisation que pratiquent les partis politiques et celle-là est puissante c'est l'organisation pour capter les votes lorsqu'il y a un appel aux urnes. Hors de là, lorsqu'il n'est plus question de campagne électorale, où sont les activité des partis politiques auprès des électeurs ?
Quand a-t-on vu le parti libéral aller aux électeurs douze mois par année pour les renseigner sur la chose publique ? Quand a-t-on vu le parti de l'Union Nationale s'agiter pour instruire le peuple entre les élections ?
Les deux candidats de partis dans la présente lutte doivent être considérés comme de parfaits gentilshommes dans la conduite de leurs affaires individuelles. Ils n'ont qu'une chose à leur passif : ils ont le malheur d'appartenir à un parti politique, et leur conception de la politique doit entrer dans le cadre du parti auquel ils appartiennent. Cette conception de la politique est la même pour les deux partis : la conquête ou la conservation du pouvoir.
L'un et l'autre candidats sont debout, actifs, vont d'une place à l'autre, rencontrent le peuple qu'ils appellent en plus grand nombre possible. Ils sont cela et font cela depuis l'ouverture de la campagne électorale. Où étaient leurs activités de cette sorte hier ? Quelles assemblées ont-ils montées, quels éclaircissements ont-ils donnés au peuple depuis le mois d'août 1944 jusqu'au mois d'octobre 1945 ? N'y a-t-il donc eu aucune question d'intérêt public pendant toute cette période ?
Une politique qui met tout en branle pour les candidats et qui ne met rien en branle pour les électeurs, est-elle une politique pour les électeurs ou une politique pour les partis ? Est-ce, une politique démocratique, ou une politique de factions ?
Pourquoi chaque parti est-il si intéressé à détenir le pouvoir ? Pour être ceux qui servent ou pour être ceux qui profitent ?
L'un des gros arguments donnés dans la présente élection par le candidat de l'Union Nationale, c'est qu'il faut faire de l'élection une question d'affaires. C'est-à-dire : Votez pour le parti qui détient le pouvoir, afin que le gouvernement soit plus généreux pour le comté.
Est-il argumentation plus anti-démocratique ? Faut-il avoir un député du parti du gouvernement, pour que le comté ait droit à sa part des deniers publics ? Pourquoi alors fait-on payer les taxes par tout le monde, même par les citoyens des comtés qui ont leur député dans l'opposition ?
Cet argument-là dénote bien la philosophie politique qui inspire les partis. Il démontre bien que la politique des partis n'envisage pas le bien de tout le monde, mais la faveur aux amis du parti.
Impossible pour des citoyens qui se respectent, comme les créditistes, de souscrire à pareille politique. Une telle politique n'est, ni plus ni moins, qu'un marché pour acheter les votes. Les acheter par des ponts ou des promesses de ponts, par des bouts de chemins, par des octrois ou des promesses d'octroi pour des salles paroissiales, par des octrois pour faire disparaître des barrages nuisibles, par des octrois de drainage juste en temps d'élection, par des octrois ou des promesses d'octrois de construction, par la promesse de licences ou la menace de retraits de licences.
Les deux partis politiques sont habiles à exploiter la foule, à la chauffer à blanc, à la manipuler à leurs desseins, en temps d'élections. La couleur, le tapage, l'excitation, qu'ils font naître à coups d'argent, à coups d'autos, à coups de boisson, à coups d'accusations sensationnelles, n'ont pas d'autre but. Rien pour convaincre, tout pour exciter et gagner.
La foule est le champ d'exploitation des politiciens de partis, et c'est auquel des deux partis qui l'exploitera le mieux pour lui-même.
Dans son dernier message de Noël, notre saint Père le Pape disait que la foule est le plus grand ennemi de la démocratie. Pourquoi ? Parce qu'une foule ne raisonne pas, elle sent seulement et vibre sous la touche de qui sait la faire jouer.
Et c'est avec cela, avec l'exploitation d'une foule qu'ils tiennent dans l'ignorance, que les partis politiques s'efforcent l'un et l'autre de conquérir le pouvoir ! Une autorité ainsi obtenue ne peut être que de l'usurpation. Les usurpateurs d'autrefois sabraient les corps ; les usurpateurs d'aujourd'hui sabrent les esprits.
Sur quoi donc faut-il établir la démocratie ? À qui faut-il aller pour édifier une politique de bien commun, une politique conforme aux aspirations légitimes des citoyens ?
Le même Pape nous l'indique dans le même message : Il faut aller au peuple. La politique vraiment démocratique ne peut être appuyée que sur le peuple — pas sur la foule.
Le Pape fait la distinction entre peuple et foule. "Le peuple, dit-il, se compose d'hommes dont chacun est une personne consciente de ses propres responsabilités et de ses convictions."
La solution consiste donc à diminuer la foule et à augmenter le peuple ─ à faire l'éducation sociale et politique du plus grand nombre possible de citoyens. Puis à faire les élections avec le peuple et non avec la foule.
C'est cela que font les créditistes. Ils s'appliquent à promouvoir l'éducation politique des citoyens à l'année. Ils continuent de le faire en temps de campagne électorale.
Les créditistes constituent l'avant-garde de la démocratie. Ils sont dans l'arène, justement pour amoindrir l'exploitation de la foule et entretenir la lumière dans le phare qu'ils ont allumé. Ils sont dans l'élection, non pas pour se salir, mais pour contribuer de toutes leurs forces à nettoyer la place.
Les créditistes savent ce qu'ils veulent. Et ils savent que ce qu'ils veulent est bon pour tout le monde et nuisible à personne. Ils le demandent en tout temps aux gouvernements du jour. Mais lorsque les politiciens en selle n'ont que des formules calmantes à servir, les créditistes ne sont pas assez enfants pour s'en contenter. S'ils ne peuvent trouver de véritables serviteurs publics dans les politiciens de partis, force leur est de faire la lutte aux politiciens de partis et de pousser des "candidats d'électeurs".
Les créditistes de la Beauce l'ont compris, et tous les créditistes de Nouvelle-France aussi. Conscients de leurs devoirs et de leurs responsabilités, les créditistes ne fléchissent jamais, pas même devant des flots d'argent corrupteur.
L'Union Nationale prétend qu'il faut élire son homme pour consolider M. Duplessis dans sa défense de l'autonomie provinciale.
Les créditistes sont, plus que toute autre école politique, pour l'autonomie provinciale et la décentralisation des pouvoirs. Mais ils le sont autrement que par des discours.
Nous nous demandons comment un gouvernement peut bien championner l'autonomie et la décentralisation, lorsqu'il s'en va, chapeau bas quêter de l'argent chez les maîtres de la finance essentiellement dominatrice et centralisatrice. Le gouvernement actuel gagnerait à entendre au Parlement une voix créditiste, sur toutes les questions où le problème financier crée la principale entrave aux meilleurs projets et paralyse les meilleures volontés.
Le vote du 21 novembre dans la Beauce sera-t-il un vote de partis ou un vote d'électeurs conscients de leurs convictions et de leurs responsabilités ? Le vote d'une foule ou le vote d'un peuple ? Un vote pour consacrer la politique de partis, ou un vote pour l'inauguration d'une politique d'électeurs ?
Sans doute que le résultat du vote, quel qu'il soit, ne changera pas les hommes au pouvoir ; mais il peut leur faire savoir qu'il existe dans la province une force nouvelle dont ils devront tenir compte.
Le vote du 21 novembre peut aussi, si les électeurs de la Beauce le veulent, proclamer à toute la province que les machines électorales des partis politiques, si grassement financées et si copieusement arrosées soient-elles, ne sont pas invincibles. L'esprit peut encore triompher de la matière.