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Quand les banquiers prêchent

le samedi, 15 décembre 1945. Dans La politique

Quand un banquier prêche, les grands journaux accordent beaucoup de publicité à son sermon. Ils en font des éditoriaux élogieux. La sagesse est avec les piastres, paraît-il.

C'est ainsi que nos quotidiens se sont générale­ment plus à répéter les sornettes de la circulaire septembre-octobre de la Banque Canadienne Na­tionale.

Possible ou pas possible ?

La Banque n'aime pas la phrase qui circule maintenant partout : "Ce qui est possible en temps de guerre est possible en temps de paix."

La Banque saute tout de suite dans le champ des piastres pour démontrer que ce n'est pas vrai. Tant de piastres ajoutées à tant de piastres font que la guerre nous aura coûté plus de 20 milliards, dit-elle. Impossible de continuer ces sacrifices.

Piastres ou pas piastres, monsieur le banquier, il s'agit de réalités, de choses qu'on mange, de cho­ses avec lesquelles on s'habille.

Le Canada a fait vivre les Canadiens pendant la guerre, tout en ôtant à la production de biens de vie un million et demi des meilleurs travailleurs du Canada. Maintenant que ce million et demi est prêt à augmenter la production de biens de vie, le Canada est-il encore capable, ou n'est-il plus ca­pable, de faire vivre les. Canadiens ? Répondez, Banco.

Ou bien, on peut vous poser la question autre­ment. Si le Canada, avec la fleur de sa jeunesse sous les drapeaux, a été capable de faire des choses pour la valeur de neuf milliards par année, dont plus de la moitié n'était pas pour les Canadiens, le Canada peut-il ou ne peut-il pas, avec tous ses bras revenus, produire au moins les trois quarts de cet­te même quantité de production en l'affectant au bien des Canadiens ? Répondez, Banco.

Voilà pour la production de biens, la vraie pro­duction utile.

Quant à la production de piastres, c'est votre affaire, Banco. Et si vous avez pu laisser les Ca­nadiens avoir autant de piastres qu'ils faisaient de production pendant la guerre, pourquoi ne pour­raient-ils pas avoir encore toutes les piastres né­cessaires maintenant que la guerre est finie ? Ré­pondez, Banco.

La Banque Canadienne Nationale donne un au­tre argument. Pour l'immense production de guer­re, dit-elle, tout était réglementé par l'État. Et il ne convient pas que l'État continue cette régie en temps de paix.

Nous sommes bien de cet avis, que l'État ne doit pas tout régir en temps de paix. Mais dire que la production a été forte à cause de la régie de l'État, voilà qui reste à prouver. Nous ne voyons pas que l'État soit meilleur employeur que l'indus­trie privée. Nous n'avons pas d'exemple que les employés de l'État travaillent mieux, ni plus consciencieusement, que les employés des compagnies pri­vées.

Ce qu'il aurait fallu dire, c'est que l'État ache­tait la production de guerre : le marché était tout trouvé, l'État consommateur avait tout l'argent voulu pour payer ; jamais il n'a refusé un brin de la production par faute d'argent.

Qu'on institue une économie dans laquelle, en temps de paix, les particuliers auront, comme l'État en temps de guerre, tout l'argent nécessaire pour acheter toute la production qui leur convient, et on verra si la production ne continuera pas à un haut degré pour servir les Canadiens.

Mais l'argent entre les mains des consomma­teurs, au niveau de la production qui leur est offer­te, voilà ce que ne veut pas Banco. L'argent à l'État pour tuer, oui. Mais l'argent aux hommes et aux femmes pour satisfaire leurs besoins, c'est cela que vous proclamez impossible, Banco, parce que c'est cela que vous tenez à empêcher à tout prix.

Abondance ou indigence ?

Une autre expression que la Banque Canadienne Nationale veut mettre à l'index, c'est l'expression devenue elle aussi très courante : "La pauvreté au sein de l'abondance."

La banque admet l'existence de la pauvreté. Mais elle n'admet pas l'existence de l'abondance. Il n'y a jamais eu d'abondance, assure-t-elle.

Pour prouver son point, la Banque envisage le monde entier, y compris les pays les plus pauvres de l'Asie et de l'Afrique, et elle conclut qu'il n'y a jamais eu d'abondance, mais que le monde est plutôt indigent.

Elle va jusqu'à dire que les "utopistes"'(les cré­ditistes) ont forgé cette phrase-là pour donner un semblant de raison à leur théorie. Autrement dit, on n'a pas réclamé le Crédit Social à cause de la pauvreté au sein de l'abondance, mais on a dit qu'il y avait de l'abondance afin de pouvoir ré­clamer le Crédit Social.

Voilà qui en est une belle.

Banco est bien à l'aise pour parler de rareté au­jourd'hui, après que dix années de chômage uni­versel et cinq années de destruction — les deux fruits de son œuvre — ont fait disparaître l'abon­dance.

Où étaient les yeux de Banco lorsqu'on détrui­sait des tonnes et des tonnes de produits avant la guerre ; lorsqu'on arrachait les vignes et qu'on tuait les animaux producteurs ; lorsqu'on payait les fermiers pour produire moins ?

Banco ne se rappelle-t-il pas le temps où l'on fermait les portes des manufactures parce que les produits encombraient les magasins et les entre­pôts ?

S'il manquait de produits en ce temps-là chez les Hottentots ou les Patagons, il n'en manquait toujours pas chez les Canadiens, les Américains ou les autres peuples civilisés. S'il n'y avait pas de pauvreté au sein de l'abondance dans le centre de l'Afrique, il y avait tout de même une abondance à crever les yeux en face d'une pauvreté à faire honte dans tous les pays où Banco a des maisons-mères et des succursales.

Monnaie et richesse

Les créditistes ont réclamé l'augmentation du volume de l'argent lorsqu'il ne manquait que l'ar­gent au pays.

La lettre-circulaire de la Banque Canadienne Nationale part en bataille là-dessus :

"On reconnaît là la vieille erreur qui consiste à confondre la richesse et la monnaie, qui n'est qu'un instrument d'échange. La richesse vient de la production, et il n'est d'autre me­sure de bien-être matériel que la production, la distribution et la consommation des biens. Si la production est insuffisante, l'affluence de l'argent ne saurait relever le niveau de vie de la nation."

Pour qui parlez-vous, Banco ? S'il y a des gens qui courent après l'argent plus qu'après les pro­duits, c'est bien vous et vos petits, Banco.

S'il y a des gens qui savent distinguer entre monnaie et richesse, ce sont les créditistes bien plus que les banquiers.

Et ce sont les créditistes bien plus que les ban­quiers qui placent le bien-être matériel dans la production, la distribution et la consommation des biens. Oui, Banco, même dans la consommation des biens.

C'est vous, Banco, et non pas les créditistes, qui dites : Produisez beaucoup, mais consommez peu. C'est vous qui récompensez ceux qui vous appor­tent leurs piastres au lieu de s'en servir pour con­sommer les biens faits pour eux.

Vous pouvez parler d'inflation ou de déflation, Banco. C'est vous qui êtes l'artiste de l'inflation et de la déflation, puisque l'argent ne peut ni naître ni mourir sans vous.

Ne passez pas sur le dos des autres des péchés dont vous êtes le seul auteur. Si vous avez trop honte, cachez-vous et taisez-vous.

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