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Réflexions sur les crédits statutaires

Louis Even le jeudi, 15 mars 1945. Dans L'économique

Crédits statutaires et crédits budgétaires

L'Assemblée Législative de Québec a déjà voté de nombreux millions au gouvernement, et pourtant le budget n'a pas encore été présenté à la Chambre.

Ainsi, le ministre de la Voirie s'est fait octroyer le droit de dépenser 30 millions pour la voirie d'ici quatre ans, et deux autres millions pour la suppression des passages à niveau. Le ministre de l'Agriculture, un million pour le drainage des terres. Le ministre des Travaux publics, une somme indéterminée pour l'achat des édifices nécessités par l'administration de la province. Le premier-ministre, une somme indéterminée pour sauvegarder les droits de la province dans les allocations familiales ; 5 millions pour un Office provincial de la radio ; 12 millions pour promouvoir l'électrification rurale.

Ces crédits sont votés en dehors du budget, c'est-à-dire avant de mettre en regard le chiffre des recettes prévues et le chiffre des dépenses prévues pour l'année.

Les crédits votés, sous le chapitre du budget sont appelés crédits budgétaires et doivent être dépensés durant l'exercice fiscal ; sinon, ils sont cancellés et doivent être votés de nouveau si le gouvernement veut les avoir durant un autre exercice.

Les crédits du genre ci-dessus, votés en dehors du budget, sont des crédits statutaires ; ils demeurent utilisables jusqu'à leur limite, en n'importe quel temps.

Évidemment, du moins sous le régime financier qui nous régit, tous ces crédits, budgétaires ou statutaires, seront payés par des taxes, tôt ou tard.

Mais les crédits budgétaires sont établis de façon à ce que les recettes équilibrent les dépenses. C'est le fameux "équilibre du budget". Tandis que les crédits statutaires ne sont pas si strictement circonscrits. Aussi, un item des lois qui les permettent spécifie que le gouvernement prendra les argents nécessaires à même le fonds consolidé du revenu, mais que, s'il est nécessaire, il pourra emprunter, pourvu que ce ne soit pas des emprunts à plus de 25 ans ni à plus de 4 pour cent d'intérêt.

L'œil scandalisé de l'Opposition

L'Opposition signale toujours cet aspect. Nous votons, dit-elle, pour des dépenses sans nous assurer qu'il y aura, dans le même temps, les recettes suffisantes pour les alimenter. Nous prêtons tout de suite flanc à des augmentations de la dette publique.

D'autres voudraient d'abord avoir le détail des projets avant de voter l'argent. Ce n'est pas pratique. Par exemple, pour faire des projets de voirie intelligents, il faut un plan d'ensemble. Pour faire ce plan d'ensemble, il faut savoir jusqu'à quel degré, jusqu'à quel coût total le pays est consentant d'aller. Il est donc naturel que le ministre de la Voirie, avant de dresser les plans pour une dépense globale de 30 millions, se fasse autoriser à envisager ce montant total.

L'œil réjoui des créditistes

Pour nous, créditistes, qui n'admettons pas de problème financier, mais seulement des problèmes de possibilités physiques, nous voyons de bon œil le vote de crédits statutaires. Ils orientent vers la mise en pratique d'un principe que nous prêchons. Dans l'établissement des dépenses publiques, nous disons que les seules questions à poser sont :

    1. Le peuple veut-il ces choses ? Veut-il de meilleures routes ? Veut-il du drainage ? Etc.

    2. Dans quel ordre de priorité veut-il les amé­liorations publiques ? Lesquelles sont, pour lui, le plus pressées ?

    3. Ces choses sont-elles possibles d'exécution ? Est-il possible de trouver le matériel, la main-d'œuvre, le génie, suffisants pour les accomplir, sans diminuer, plus que le peu­ple y consent, la production des choses qu'il consomme pour ses besoins courants ?

Possible ou pas possible ?

Selon nous, tout est là. Les réponses à la troi­sième question définissent la possibilité ou la non-possibilité des projets. S'ils sont possibles physi­quement et voulus collectivement, qu'a-t-on à hé­siter ?

L'équilibre du budget est une vieille marotte, que le Crédit Social expédiera à la ferraille, avec bien d'autres produits de l'hypnotisme financier.

Les projets publics ne doivent être limités que par leur opportunité et leur possibilité d'exécution. Si l'on veut continuer à appeler cela dépenses, nous dirons que les dépenses doivent être déter­minées simplement par les possibilités réelles et les besoins admis.

Puis, si nous continuons d'appeler recettes ce que le gouvernement prélève par les taxes, nous dirons que, sous un régime créditiste, les recettes ne peuvent être déterminées que par l'excès d'argent en circulation.

Mais entre les deux, entre recettes et dépenses, aucune corrélation nécessaire. Les dépenses ser­vent le pays en utilisant ses ressources selon ses désirs ; les taxes servent le pays en ôtant de la circulation de l'argent qui nuirait.

C'est pourquoi, selon les créditistes, les taxes qui ôtent à un homme de l'argent qu'il emploierait utilement, sans ruiner la production, sont un vol pur et simple.

C'est cela, la théorie créditiste en matière de fi­nance publique. Elle est ensoleillée, comme on voit, et un gouvernement, sous tel régime, ne se casse­rait pas le cerveau sur des chiffres.

Les réalités ou la finance ?

Nous voyons donc avec plaisir voter des projets en les détachant, pour ainsi dire, de la question de finance, pour les considérer sous le seul angle uti­lité et urgence.

C'est exactement comme cela que les envisagera un gouvernement bénéficiant d'un régime financier de Crédit Social.

Quant à l'item inséré dans les lois de crédits sta­tutaires, pour permettre au gouvernement d'em­prunter s'il ne trouve plus rien de disponible dans la caisse, c'est une soumission aux règles du sys­tème actuel, à un système qui, à sa face même, est sans rapport avec les réalités.

Si le ministre de la Voirie, par exemple, fait exé­cuter cette année pour huit millions de travaux, et s'il n'y a pas d'argent pour les payer, qu'est-ce que cela prouve ? Cela prouve que les travaux sont pos­sibles, puisqu'ils se font ; et cela prouve que l'ar­gent n'est pas en rapport avec les possibilités, puis­que l'argent n'est pas là alors que les choses et les hommes y sont.

Si Monsieur Laurent Barré avait demandé qua­tre millions au lieu d'un million pour le drainage, aurait-il fallu objecter : Impossible de trouver tout cet argent ! Non, il aurait fallu simplement lui demander : Croyez-vous qu'après toutes les activi­tés réclamées pour la production privée ou pour les autres projets plus urgents, il restera assez de machines et d'hommes pour creuser vos canaux de drainage ?

C'est quand tout le monde est bien occupé, quand il n'y a plus un seul chômeur, quand toutes les machines, toutes les inventions et toutes les ressources sont déjà à l'œuvre, c'est alors et alors seulement qu'on se heurte à des difficultés pour entreprendre des choses désirées — mais jamais, à tout jamais, ne doit-on s'arrêter par le seul fait que des bouts de papier ou des chiffres dans un livre font défaut.

Louis Even

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