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Régime démocratique estropié

le mardi, 01 janvier 1946. Dans La politique

Les réflexions qui suivent, sur les lacunes de notre régime démocratique sont extraites du discours prononcé à la Chambre des Communes par le Rév. E. G. Hansell, député créditiste du comté de McLeod (Alberta) :

Les meilleurs arguments ne comptent pas

Il y a à la Chambre plusieurs nouvelles figures, plusieurs nouveaux députés, dont quelques-uns sont sans doute très distingués... De tels hom­mes devraient pouvoir rendre d'inappréciables services à leur pays, mais ils finiront par découvrir que leur travail ici, à titre de simples députés, est ce qu'il y a de plus futile... Ils sont venus ici avec l'idée d'accomplir de grandes choses. Comme simples députés, ils ne tarderont pas à éprouver d'amères désillusions.

Avant de me rendre à Ottawa, un homme m'ar­rêta dans la rue et me dit : "À mon avis, le Parle­ment est réduit à une grande société de débats."

Je lui ai répondu : "Vous avez tort. Ce n'est pas une grande société de débats. Ce n'est même pas une bonne société de débats ; car, dans une bonne société de ce genre, le côté qui présente les meilleurs arguments peut l'emporter. Mais cela n'arrive jamais ici. Peu importe qui présente les arguments les plus solides, c'est toujours le gou­vernement qui gagne. Nous savons dès le début d'un débat qui en sortira vainqueur. Peu importe la valeur et la logique d'un argument, c'est tou­jours le gouvernement qui a le dernier mot."...

C'est toujours le gouvernement qui décroche la timbale. Les chefs des autres partis, eux-mêmes, n'ont pas plus d'autorité à la chambre que le petit page assis à vos pieds, monsieur l'Orateur (prési­dent de la Chambre).

Pour un Parlement démocratique

Ce que je demande, c'est un Parlement réel, démocratique. Je prêche une réforme électorale et parlementaire, grâce à laquelle chaque hono­rable membre du Parlement sera directement res­ponsable à la population de son comté et à per­sonne d'autre.

J'en veux à la discipline rigide des partis, sous l'empire de laquelle un député, après avoir deman­dé à la population de l'élire au Parlement afin d'y accomplir ce qu'elle désire, constate, une fois arrivé à Ottawa, qu'il doit se conformer aux direc­tives des chefs de partis. Voilà ce que je critique.

Quelle est la raison d'être du Parlement ? Quel est, en réalité, son but ? Voici une réponse de mon cru : Le Parlement canadien existe afin d'adopter les mesures propres à donner à la population canadienne les résultats qu'elle désire.

Le but n'est pas atteint

Mais la population canadienne obtient-elle les résultats qu'elle désire ? Non. Certes, non.

Les Canadiens ont-ils obtenu les résultats qu'ils désiraient, de 1930 à 1940 ? Les vieillards qui tou­chent des pensions de vieillesse ont-ils tout ce qu'ils désirent ?

Nous pourrions parcourir toute la gamme de la vie publique au Canada, et je suis bien certain que nous ne pourrions pas dire que les Canadiens ont obtenu les résultats qu'ils désiraient.

Pourquoi n'en est-il pas ainsi ?

Si le Parlement est ici dans le but de légiférer, il devrait pouvoir le faire sans distinction de per­sonnes, sans restrictions, sans considération de parti ou autrement — de façon que les mesures législatives inscrites dans les statuts du Canada donnent au peuple exactement ce qu'il désire.

Vous pouvez m'en croire, quand on siège du côté du gouvernement, il faut être brave pour se lever et voter contre son parti, à cause du prin­cipe en jeu.

J'estime que, sous notre régime électoral et parlementaire actuel, la seule démocratie qui existe au Canada, c'est le droit de voter, et elle s'arrête à la boîte de scrutin...

Je veux une démocratie où le peuple est toujours lui-même tout-puissant. Est-ce qu'il l'est actuel­lement ?

Pouvoir dictatorial du premier-ministre

Je ne crois pas qu'on me contredise, si je dis qu'un seul homme détient aujourd'hui tous les pouvoirs au pays, sous le présent régime politique. Je ne me préoccupe pas de savoir son nom, ni de savoir qui il était il y a vingt ans, ni qui il sera dans cinq ans ; mais l'homme dont je parle est le premier-ministre du pays.

Ce que je dis a été amplement prouvé dans le passé.

Je n'ai qu'à me reporter à l'élection complémen­taire d'il y a quelques mois dans Grey-Nord. Que s'est-il passé ? Le premier-ministre voulait trouver un siège pour son ministre de la Défense Natio­nale, et il a proposé ce dernier aux électeurs de Grey-Nord comme candidat...

Avant le jour de la nomination, le premier-ministre a menacé d'en appeler au peuple si l'on faisait de l'opposition à son candidat et si on soulevait certaines questions nationales.

Est-il juste qu'un homme ait un tel pouvoir au pays ? C'est le pouvoir absolu.

Des questions d'importance nationale furent débattues, et le premier-ministre dit alors que, si son candidat n'était pas élu, il ne convoquerait peut-être pas les Chambres, mais qu'il en appelle­rait au peuple auparavant.

Est-il juste que, dans une élection, un homme puisse parler de la sorte à 12 millions d'habitants ? C'est ce qui se produit.

Pour des élections à dates fixes

Les élections nous fournissent un exemple de cette dictature.

Qui décide du moment d'en appeler au peuple ? Le chef de l'opposition ou quelque autre particu­lier est-il consulté ? J'ignore si le parti libéral l'est, mais le pays ne l'est certainement pas.

Qui fixe la date des élections ? Un seul homme. Pourquoi ? Parce qu'il est tout-puissant.

Pour ma part, je préconise un système sembla­ble à celui des États-Unis en ce qui concerne l'appel au peuple, et le choix constitutionnel d'une date déterminée pour la tenue des élections. Que le jour en soit fixé à tous les quatre ou cinq ans, cela n'a aucune importance, mais j'estime que cette façon de procéder serait plus démocratique. Sous un tel régime, le pays ne s'inquiéterait pas de son avenir immédiat à la première rumeur d'élections prochaines.

Ministres, serviteurs de la Chambre

J'ai autre chose à signaler au sujet de notre procédure parlementaire. Le premier-ministre du pays et les autres membres du cabinet devraient toujours être les serviteurs de la Chambre.

D'aucuns prétendent qu'ils le sont, et il y a là matière à discussion ; mais en pratique, les choses ne se passent pas de cette façon.

Le Gouvernement présente les mesures ; il dit : "Les voici, c'est à prendre ou à laisser." L'organi­sation du parti se met en branle, les whips s'ac­quittent de leurs fonctions, et nous savons d'avan­ce que le Gouvernement a décidé de faire adopter les mesures présentées, et quoi qu'on puisse faire, elles sont approuvées.

Ce n'est pas là la manifestation d'une libre démocratie. Les membres du cabinet canadien devraient être les serviteurs de la Chambre.

Exécutif et Législatif séparés

Ici encore, je préconiserais le régime des États-Unis. Le président et les membres de son cabinet n'ont pas de sièges au Congrès. Je ne veux pas aller à l'extrême, mais je me contente de laisser entendre que le cabinet canadien ne devrait pas avoir de sièges à la Chambre. Il devrait constituer un corps exécutif chargé d'administrer les mesures législatives adoptées par la Chambre, qu'il les approuve ou non.

Je devine ce qu'on rétorquera à cela. On dira : "Allez-vous prétendre que ce corps exécutif aurait à exécuter des mesures qu'il réprouve ?"

Mais, peut-il y avoir quelque chose qu'il refuse d'accomplir quand les députés, qui sont les repré­sentants du peuple, ont décidé que le pays désirait telle ou telle chose ? Non, il ne refusera pas. Le cabinet pourrait offrir certaines objections, soule­ver d'autres motifs, prétendre qu'on ne peut pas l'obliger à accomplir quelque chose d'impossible : mais les membres du Parlement ne seraient pas assez sots pour insérer dans les statuts des lois d'une application impossible.

L'argent, maître

L'argent, hélas ! est le maître.

Plusieurs des nouveaux députés ignorent peut-être qu'il leur est défendu de soumettre une loi qui comporterait des dépenses. Voilà, à mon avis, une des mesures les plus pernicieuses de notre régime parlementaire. Cela veut tout simplement dire que le Parlement est assujetti aux puissances d'argent. Le cabinet, qui est le corps exécutif, a les mains liées par les édits de la finance.

Nous (les créditistes) avons affirmé à maintes reprises que ce qui est humainement possible peut l'être économiquement. Si une chose est humai­nement possible et souhaitable, pour quelle raison au monde le cabinet, comme corps exécutif, ne pourrait-il pas être le serviteur du Parlement et ne pourrait-il pas faire ce qui est humainement possible et souhaitable ?

La question de confiance

Une autre chose. Je ne puis admettre que le rejet d'une motion proposée au nom du gouver­nement doive constituer une motion de non con­fiance. Je ne puis croire qu'il est ainsi ; et pourtant, c'est l'épée de Damoclès que le Gouvernement tient suspendue au-dessus de la tête de tous les députés, de ceux de son propre parti en particulier, lorsqu'il leur dit qu'ils doivent voter pour cette motion, sinon cela constituera une résolution de non confiance. Et comme cela entraînerait une élection — à laquelle les députés ministériels ne tiennent pas — ils ne peuvent voter contre la motion.

À coup sûr, si le Parlement est suprême, il doit pouvoir voter contre une mesure du gouverne­ment sans signifier ainsi le désir que le Gouverne­ment cesse pour cela d'administrer les affaires du pays. C'est ce que l'on fait aux États-Unis et dans d'autres pays.

Pourquoi donc notre Parlement ne pourrait-il pas approuver ou rejeter une mesure du Gouver­nement sans courir le risque d'élections générales ?

Un mot au sujet du Sénat

J'estime que des réformes s'imposent au Sénat ; mais je n'entrerai pas dans ce sujet ce soir, sauf pour dire que le choix des membres devrait se faire par voie d'élection et non par nomination. Les sièges à la Chambre Haute sont devenus en grande partie des récompenses politiques, ce qui ne devrait jamais se produire en pays démocra­tique.

Un mot au sujet de l'argent

Pourquoi le gouvernement dirait-il comme il l'a déjà dit : "Nous ne pouvons faire telle chose parce que nous n'avons pas l'argent voulu" ? Que le Parlement indique simplement au gouverne­ment ce qu'il faut faire, et que le Gouvernement le fasse exécuter.

Personne ne dira : "Vous ne pouvez faire cir­culer des trains, parce qu'il n'y a pas de billets." Ni : "Vous ne pouvez fabriquer d'autres étoffes, parce qu'il n'y a plus de verges." Ni encore : "Vous ne pouvez avoir de nouvelles routes, parce qu'il n'y a plus de milles."

Il y a possibilité physique d'accomplir toutes ces choses. Si le Parlement décide qu'il est physique­ment possible et opportun de faire une chose, il faut adopter des lois appropriées, et le Gouvernement du pays, censé être le serviteur de la population, doit immédiatement agir en consé­quence. C'est alors qu'il se montrera vraiment le serviteur de la population, et nous aurons effec­tivement un régime démocratique.

Ernest G. HANSELL

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