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Spectacle incroyable

le lundi, 01 janvier 1945. Dans Réflexions

Les autres planètes sont-elles habitées ? Cette question hantait nos esprits d'écoliers après une leçon d'astronomie. Le professeur nous répondait : S'il existe de la vie un peu semblable à la nôtre sur les autres planètes, ça ne peut bien être que sur la planète Mars.

Et l'on appelle Martiens les habitants possibles de Mars.

Supposons maintenant qu'un Martien soit venu visiter notre Terre ces dernières années. Ce ne sont sûrement pas les surprises qui lui auraient manqué.

Ce Martien, observant les Terriens d'il y a dix ans, aurait trouvé bien étrange de voir les habi­tants de notre planète en proie à la désolation, se serrant la ceinture, se privant de toute façon, traînant dans la faim et les guenilles, abandon­nant leurs fermes, détruisant leurs troupeaux, fer­mant leurs usines, plusieurs se suicidant — tout cela parce qu'ils avaient trop de produits entas­sés devant eux, trop de blé, trop de viande, trop de lait, trop de beurre, trop de café, trop d'habits, trop de coton, trop de chaussures, trop de toutes sortes de bonnes choses, et trop de bras offerts pour en faire beaucoup plus.

Le Martien n'aurait jamais pu rien trouver de logique à pareille stupidité. Les couronnés les plus illustres de nos universités auraient perdu leur latin et leur grec à vouloir lui expliquer que c'était une crise, une crise aussi inévitable après quelques années de prospérité que l'hiver est iné­vitable après l'été.

Notre Martien aurait haussé les épaules sous le nez de ces grands économistes ; il aurait plutôt conclu que la Terre doit être un asile d'aliénés.

*   *   *

Mais voici un autre spectacle après celui de ces dix années de stagnation et de pénitence inconcevables. Voici maintenant que ces mêmes hommes se lèvent en hâte, courent à l'ouvrage, travaillent tout le jour, et toute la nuit, ne connaissent plus de dimanches, mettent fiévreusement à contribu­tion toutes les ressources de leur planète, toutes les inventions de leurs cerveaux, et pourquoi ? Pour se ruer les uns sur les autres, pour s'entre-égorger à qui mieux mieux.

Pour le coup, notre Martien dirait : Ils sont devenus des fous furieux.

Et s'il prenait envie au visiteur d'examiner en détail quelques-unes des industries les plus en honneur parmi les humains, que de choses capa­bles de l'estomaquer !

Que penserait-il, par exemple, en voyant des hommes s'enfoncer à des centaines et des milliers de pieds sous terre, à Val d'Or, à Noranda, à Tim­mins, dans l'Afrique du Sud, et ailleurs ; y jouer de la foreuse, de la dynamite, de la barre de fer, du pic, de la pelle, des bras, des appareils mécani­ques ; monter des bennes de roche, la passer dans des concasseurs, fondre et raffiner le produit mé­tallique, le couler en lingots, le charger, le trans­porter sous bonne escorte, le décharger, le ré-enfouir dans les collines du Kentucky, l'enfermer là et monter la garde pour que personne n'y tou­che plus ? Occuper ainsi des milliers et des mil­liers de personnes, depuis le prospecteur jusqu'au policier américain — tout cela pour prendre de l'or dans les entrailles de la terre et le replacer dans les entrailles de la terre !

Notre Martien dirait : Mais, ces fous-là font avec le plus grand sérieux des choses qui n'ont aucun sens !

Retourné dans son pays, le visiteur réussirait-il jamais à faire croire à ses co-Martiens ce qu'il aurait pourtant vu de ses propres yeux sur la Terre où s'exerce notre intelligence ?

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