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Vente d'hommes pour la guerre

le lundi, 15 novembre 1943. Dans La politique

Il y a toujours eu des exploiteurs d'hommes. Mais ils ont généralement soin de vernir les ap­parences. Il est assez rare de les voir coucher par écrit les dessous de leur âme avec le même cynis­me que le signataire de la lettre reproduite ci-des­sous.

Lorsque les colonies américaines se révoltèrent contre l'Angleterre et entreprirent, sous le com­mandement de Georges Washington, la lutte pour leur indépendance, le gouvernement anglais ache­ta, littéralement, des régiments de Hessiens (Alle­mands du duché de Hesse), pour aller faire la guerre en Amérique. Plus il y avait de tués parmi ces Hessiens, plus ça payait le vendeur, pour deux raisons : il était payé en raison du nombre de morts ; puis, plus les réserves d'hommes disponibles diminuaient, plus il pouvait les vendre cher.

La lettre suivante, écrite par le comte de Schaumbergh au baron Hohendorf, commandant des troupes hessiennes en Amérique, jette une lu­mière crue sur ce trafic de "chair à canon" :

Rome,                                                                        18 février 1777

Monsieur le Baron,

À mon retour de Naples, j'ai reçu à Rome votre lettre du 27 décembre de l'an dernier. J'ai appris avec un plaisir indicible le courage montré par nos troupes à Trenton. Vous ne sauriez vous imaginer ma joie d'apprendre que, sur 1,950 Hessiens engagés dans la bataille, 345 seulement ont réchappé.

Ainsi, il y a eu exactement 1,605 tués. Je ne puis trop louer votre prudence en envoyant la liste exacte des tués à mon ministre à Londres. Cette précau­tion était d'autant plus nécessaire que le rapport en­voyé au ministre anglais ne donnait que 1,455 tués. Cela ne m'aurait valu que 483,450 florins, au lieu de 643,500 que j'ai le droit d'exiger d'après les ter­mes de notre contrat.

Vous comprenez quel préjudice une telle erreur eût causé dans mes finances, et je ne doute pas que vous ferez tous les efforts nécessaires, pour prouver que la liste de Lord North est fausse et que la vôtre est correcte.

La cour de Londres objecte qu'il y avait une cen­taine de blessés qui n'auraient pas dû être inclus dans la liste, ni être payés comme morts. Mais j'espère que vous ne négligerez pas les instructions que je vous ai données en partant de Cassel, et que vous n'essaierez pas de faire donner des secours humains pour ramener à la vie les infortunés dont les jours ne peuvent être prolongés que moyennant la perte d'un bras ou d'une jambe. Ce serait leur rendre un mau­vais service, et je suis sûr qu'ils préfèrent mourir que vivre dans un état où ils ne peuvent plus me rendre service.

Je ne veux pas dire par là que vous devez les as­sassiner. Nous devons être humains, mon cher Ba­ron. Mais vous pouvez insinuer aux chirurgiens, avec beaucoup d'à-propos, qu'un homme estropié est un reproche pour leur profession, et que le plus sage est de laisser chacun de ces hommes mourir lorsqu'il cesse d'être apte à se battre.

Je suis sur le point de vous envoyer de nouvelles recrues. Ne les épargnez pas. Rappelez-leur que la gloire prime tout. La gloire est la véritable richesse. Rien ne dégrade le soldat comme l'amour de l'ar­gent. Il doit aimer les honneurs et la renommée, mais cette renommée ne s'acquiert qu'au milieu des dan­gers. Une bataille gagnée sans perte de sang est un succès sans gloire, tandis que les vaincus eux-mêmes se couvrent de gloire s'ils périssent les armes à la main.

Vous rappelez-vous que, sur les 300 Lacédémo­niens qui défendirent les Thermopyles, pas un seul ne revint ? Comme je serais heureux si je pouvais dire la même chose de mes braves Hessiens !

Il est vrai que leur roi, Léonidas, périt avec eux. Mais les choses ont changé. Ce n'est plus la coutume pour les princes de l'empire d'aller se battre en Amé­rique pour une cause dans laquelle ils n'ont aucun intérêt.

Puis, à qui seraient payées les 30 guinées par hom­me tué, si je ne restais pas en Europe pour les rece­voir ? Il faut bien aussi que je voie à envoyer des re­crues remplacer les hommes que vous perdez. C'est pourquoi je retourne au Hesse.

Il est vrai que les adultes se font rares par là, mais je vous enverrai des garçons. De, plus, le plus rare la... ? ? ? les femmes et les petites filles ont commencé à culti­ver nos terres et qu'elles ne s'en tirent pas trop mal.

Vous avez bien fait de renvoyer en Europe le Dr. Crumerus qui réussissait si bien à guérir vos troupes de la dysenterie. Ne vous tracassez pas d'un homme qui est sujet aux diarrhées ; cette maladie fait de mauvais soldats. Puis il vaut mieux que les hommes crèvent dans leurs baraques que de fuir le champ de bataille et ternir la gloire de nos armes. Vous savez qu'on me paie pour ceux qui meurent de maladie la même chose que pour ceux qui se font tuer ; tandis que je ne retire pas un farthing pour les déserteurs.

Par suite de mon voyage en Italie, qui m'a coûté énormément cher, il devient désirable qu'il y ait une forte mortalité parmi vos soldats. Promettez donc des promotions à ceux qui s'exposeront ; exhortez-les à chercher la gloire au milieu des dangers. Vous direz au Major Maundorff que je ne suis pas du tout content qu'il ait sauvé les 345 hommes qui ont échappé au massacre de Trenton. Pendant toute la campagne, il n'a pas eu plus de dix hommes tués par suite de ses ordres.

En terminant, que votre principal but soit de pro­longer la guerre, évitant tout engagement décisif d'un côté ou de l'autre, parce que j'ai pris des arran­gements pour un grand opéra italien et je ne vou­drais pas avoir à y renoncer.

En attendant, mon cher Baron de Hohendorf, je prie Dieu de vous avoir en sa sainte et gracieuse garde.

Comte de Schaumbergh

N'est-ce pas que c'est édifiant ?

Voilà pour le vendeur d'hommes et pour les hom­mes qui enrichissaient le vendeur en tombant sur le champ de bataille.

Mais le financier dans les coulisses ? Il devait bien y avoir, en ce temps-là déjà, des financiers qui profitaient de la guerre et de son trafic. D'au­tant plus que les banques privées et les gouverne­ments courtisans ou esclaves des banquiers, exis­taient déjà depuis près d'une centaine d'années.

En effet. Le landgrave de Hesse s'engagea à fournir 16,800 de ses sujets au roi Georges III d'Angleterre, moyennant la somme de 20 millions de dollars. C'était considérable en ce temps-là.

Le landgrave n'avait pas besoin de ces 20 mil­lions pour sa table ni pour sa maison. Il décida donc de les confier à son banquier pour les faire fructifier. Son banquier était le Juif de Francfort, Anselme Rothschild, le chef de la fameuse maison qui s'est engraissée des querelles européennes, et même américaines.

Le banquier jugea que la guerre américaine lui offrait une belle occasion. Il prêta l'argent à son congénère, le Juif américain Haym Solamon. Ce­lui-ci le prêta, à gros intérêts, à Morris, l'homme chargé de trouver des fonds pour les armées de Washington.

Et c'est ainsi que l'argent sorti du peuple an­glais, par son roi, pour mener la guerre contre les Américains, finança les armées américaines contre les Anglais.

Les soldats mouraient des deux côtés. Mais trois hommes, qui se fichaient de toute patrie et qui considéraient l'humanité comme un instrument à revenus, trois hommes profitaient sans verser une goutte de leur sang ni exposer un seul de leurs membres : le landgrave de Hesse, vendeur de ses sujets ; le Rothschild de Francfort et le Solamon d'Amérique.

Sang doute qu'aujourd'hui les mœurs sont plus raffinées, que personne ne profite de la guerre, que les financiers ne tirent plus un sou d'intérêt, que les chancelleries sont des asiles de vertu et que di­plomates et chefs d'État sont des saints mus par les motifs de la plus pure charité !

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