Pour la neuvième fois depuis 1940, le gouvernement lance un emprunt public. Jusqu'ici, c'était pour financer la guerre ; cette fois-ci, c'est pour financer l'après-guerre.
L'emprunt lancé le 22 octobre prochain vise à un milliard et demi. Avec les crédits supplémentaires actuellement devant la chambre des Communes, cela fera pour l'année fiscale la jolie somme de 5 milliards à dépenser par le gouvernement.
La somme de tous les revenus touchés par les Canadiens étant, en chiffres ronds, de 9 milliards dans l'année, et le gouvernement en obtenant, par taxes ou par emprunts, 5 milliards, il faudra accentuer ce que nous écrivions dans notre dernier numéro.
Nous disions que le gouvernement fédéral prend et dépense le quart du revenu national. Ce n'est plus le quart, mais les cinq neuvièmes, donc plus de la moitié.
Sur $9 gagnés par les Canadiens, le gouvernement en lèvera et dépensera lui-même 5 et les citoyens en dépenseront seulement 4.
Si ce n'est pas là du socialisme d'État aux cinq neuvièmes, nous nous demandons ce que c'est. Le gouvernement fédéral se rend bel et bien maître des cinq neuvièmes des activités économiques du pays.
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Si nous appelons l'emprunt qui vient le neuvième emprunt de la bêtise, c'est pour stigmatiser cette méthode de finance publique.
L'État qui emprunte n'est pas un État souverain.
La manière logique pour un gouvernement souverain de financer les dépenses publiques, c'est :
1. Par les taxes, lorsqu'il y a suffisamment d'argent en circulation pour payer à la fois les produits de consommation privée et la production de biens publics ;
2. Par la création de monnaie, lorsqu'il en manque pour utiliser toute la capacité productive du pays en fonction de la demande de biens publics et de bien privés.
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Non seulement l'emprunt place le gouvernement dans une position d'infériorité vis-à-vis de ses créanciers ; mais il est absolument illogique, sinon immoral, de promettre de l'intérêt sur un capital qui ne rapporte rien.
Les huit premiers emprunts de 1a Victoire ont servi à faire sauter des ponts, à défoncer des routes, dynamiter des chemins de fer, raser des usines productrices, détruire des villes, coucher des hommes dans la tombe et en estropier d'autres pour la vie.
Combien les villes détruites, les hommes tués, les invalides de guerre, fournissent-ils chaque année au gouvernement canadien pour récompenser les capitaux employés à financer la destruction ?
De quelles sources le gouvernement peut-il donc tirer l'argent nécessaire à rencontrer les intérêts et l'amortissement de capitaux disparus en ne laissant que des ruines humaines et matérielles ?
Les intérêts, et le remboursement du capital, ne pourront se faire qu'en prenant d'autre argent, plus tard, dans les poches des contribuables, ou en allant chercher l'argent créé par les banques, augmentant encore d'autant la dette publique et les charges annuelles des contribuables. Il en sera toujours ainsi, tant que le gouvernement n'aura pas décidé d'exercer lui-même sa prérogative de création de l'argent.
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La souscription du public aux emprunts a pour le système actuel l'avantage de lui donner des défenseurs parmi ceux-là mêmes qui en sont les victimes.
Le citoyen qui touche du gouvernement, disons, $40 en intérêts sur des obligations achetées par lui, ne voudra pas entendre critiquer le système de finance-dette dont il croit profiter. Il oubliera qu'il paie lui-même trois ou six fois cette somme, en taxes ou en prix, pour solder les intérêts sur des obligations plus grosses que les siennes.
À mesure aussi que les petits porteurs d'obligations souffriront de diminutions de salaires ou de chômage, ou de manque de pouvoir d'achat pour des raisons quelconques, ils iront faire escompter leurs obligations à la banque, et ce sont les banques qui finiront par toucher le gros des intérêts annuels. L'expérience est déjà faite.
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Les nombreux agents employés par le gouvernement à solliciter des souscriptions aux emprunts seraient bien plus utiles dans la production de choses demandées par tous.
Le mode de financement public par emprunts est à la fois un avilissement, une duperie et un gaspillage d'énergies.
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Jamais au cours de la guerre, Vers Demain n'a écrit une seule ligne en faveur d'un seul emprunt de la Victoire, ni éditorialement ni sous forme d'annonces payées par le gouvernement. Vers Demain tient trop aux principes qu'il prêche pour s'abaisser jusque-là, même s'il refuse ainsi de beaux chèques à même les fonds publics.