Le marchand de charbon arrive un bon matin, avec une livraison. Mais avant de décharger, il appelle le client ;
"Il y a du nouveau.
—Du nouveau ? Quoi donc ?
—Je ne sais pas. Voyez cette feuille.
—Mais, monsieur le marchand, avez-vous lu la feuille vous-même ?
—Non. Je n'ai pas le temps, et je n'y comprends rien."
* * *
Et qu'est-ce qu'il y avait donc sur cette feuille, qui venait de la commission à Donald Gordon ? La commission qu'on a baptisée officiellement Commission du Commerce et des Prix en Temps de Guerre. Mais celle que les gens connaissent mieux aujourd'hui sous le nom de Gang du Rationnement.
Nous avons lu l'ordonnance d'un bout à l'autre. Avec stupéfaction. Nous en sommes encore à nous demander comment on peut présenter pareilles absurdités à un peuple intelligent.
Il s'agit évidemment de rationner le charbon dur, l'anthracite. Très bien : s'il n'y en a pas assez, qu'on le rationne.
Mais, qu'est-ce qu'on vous dit ?
On vous dit en substance :
"Vous voulez 4 tonnes de charbon dur. Vous n'en aurez que deux. Tout de même, on vous permettra d'en prendre trois, à condition que vous achetiez aussi une tonne de charbon mou."
* * *
Nous avons beau tourner et retourner cela dans notre tête, nous n'y pouvons trouver aucun sens.
Je veux 4 tonnes. Vous ne m'en accordez que 2. C'est, je suppose, parce qu'il n'y a que la moitié de ce qu'on en veut.
Mais vous ajoutez : Achetez une tonne de charbon mou et je vous permets une troisième tonne de charbon dur. N'achetez pas du tout de charbon mou, et vous n'aurez que deux tonnes de charbon dur.
En quoi le fait d'acheter une tonne de charbon mou va-t-il faire pousser une tonne de charbon dur ? C'est une technique sans doute que les profanes ne comprennent pas.
Si j'achète la tonne de charbon mou et que je la jette dans un trou parce que je n'en veux pas, j'aurai gagné le droit à une tonne de plus de charbon dur.
Veut-on rationner le charbon dur, ou bien veut-on nous forcer à payer du charbon mou à ceux qui en ont de reste à vendre ?
* * *
Sans doute qu'un de ces quatre matins, les méninges de Gordon et compagnie auront mis au monde le rationnement des pommes de terre. Et sans doute aussi que nous recevrons un avis — du nouveau, comme dit le marchand — un peu dans la manière suivante :
"Vous voulez 4 sacs de pommes de terre, vous n'aurez droit qu'à la moitié, à 2 sacs seulement. Toutefois, on vous permettra les trois quarts, trois sacs, à condition qu'en même temps vous achetiez un sac de crotte ou de m...."
Ce sera le rationnement à 2 pour ceux qui ne veulent pas de crotte ou de m..., et le rationnement plus généreux à 3 pour les patriotes qui consentiront à placer une commande de crotte ou de m... pour le quart de leur consommation ordinaire de pommes de terre.
Si vous n'aimez pas ce quatrième sac, prenez-le quand même, et payez-le — sinon vous perdrez droit à un sac de pommes de terre.
À quoi rime tout cela ? C'est pour gagner la guerre... N'est-ce pas plutôt pour nous habituer à un régime de bureaucratie et de crotte (ça va ensemble) ?