Le fait suivant nous est transmis par des témoins oculaires.
Une femme de Villemontel, Mme Adrien Léveillée, tombe malade dans la première semaine de février. Six enfants dans la maison. Le mari est au travail dans le bois.
Le frère de la malade se rend à Ste-Gertrude, chercher une garde-malade. Douze milles, aller et retour. La garde-malade ne bouge pas : le médecin, dit-elle, lui a défendu de sortir de son territoire.
Le même homme téléphone alors au docteur pour qu'il vienne voir la malade :
"Voulez-vous monter, docteur ? C'est pressé." Le docteur : "Avez-vous de l'argent pour payer le charretier ?"
Réponse : "Je ne sais pas".
Le docteur donne quelques vagues prescriptions et ne bouge pas.
La mère, prenant un peu de mieux, réussit à se lever. Mais tous ses enfants sont tombés malades. Le cas du quatrième, âgé de sept ans, devient grave.
Appeler le docteur ? On n'a pas plus d'argent que pour la mère. Le frère de la malade va voir une garde-malade, à Manneville cette fois, quatorze milles aller et retour.
La garde de Manneville dit que ça ne lui a servi à rien de venir : c'est le docteur qu'il faut appeler. Quant à elle, elle est occupée à distribuer des carnets de rationnement !
Lorsque l'homme rentre à la maison, l'enfant est mort. Le médecin ne l'a pas vu, et le curé dit que, pour enterrer l'enfant, il faut un permis du docteur.
C'est toujours le frère de Mme Léveillée qui fait les démarches. Il téléphone au coroner pour lui demander de venir.
Le coroner (d'Amos) répond : "Je ne suis pas capable de monter, descendez le corps à Amos".
Des vivants refusant de bouger, il faudrait transporter le cadavre : 42 milles aller et retour.
Parlant de la chose à quelqu'un du village, le frère de Mme Léveillée apprend que le Coroner est obligé de se déplacer. Il reprend donc le téléphone :
"C'est impossible de descendre à Amos avec le corps de l'enfant ; montez vous-même, monsieur." Le coroner : "Je monterai demain".
Le lendemain, personne ne vient. Nouveau téléphone au coroner :
"Montez ou envoyez un certificat pour l'enterrement".
Réponse : "Enterrez-le demain ; j'enverrai les papiers voulus à Monsieur le Curé".
Le surcroît de travail et la douleur, rendue plus pénible par de telles circonstances, font retomber la mère. Elle doit reprendre le lit et être administrée le 28 février.
Comme le cas de la mère devient extrême, il faut bien que le mécanisme se mette en branle. Le médecin en chef de l'Unité Sanitaire d'Amos envoie un médecin ; et c'est justement le même médecin qui avait refusé de monter pour cause d'argent.
Dans quel pays vit-on ? Quand la piastre n'est pas là, la médecine reste dans le bureau, et la maladie et la mort font leur œuvre. Mais, c'est donc bien difficile de mettre une piastre au monde, lorsqu'il ne manque rien Rue cela ?
Voilà des absurdités criminelles qui n'auraient pas leur cause sous un régime de Crédit Social.