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Cette "impossibilité économique" de M. Godbout

Louis Even le jeudi, 01 mars 1945. Dans L'économique

Au cours du débat sur les Allocations familiales à Québec, d'après le rapport de l'Action Catholi­que, M. Godbout, chef de l'opposition,

"insiste sur le fait que les allocations familiales ne peuvent être payées par une province seule. Cela représente 70 à 80 millions de dollars par année. C'est une impossibilité économique."

Une curieuse d'impossibilité

Il nous vient tout de suite une question à la tête : Comment se fait-il qu'une province ne puisse payer les allocations aux familles de cette province, et que les neuf provinces ensemble soient capables de payer les allocations aux familles des neuf pro­vinces ?

Ce n'est sûrement pas que la province de Québec soit en arrière des autres : d'après des calculs ap­proximatifs publiés dans les journaux au début de cette année, la province de Québec paie 34 pour cent des taxes et retirera 33 pour cent du montant total des allocations familiales. Comment donc pourrait-elle être embarrassée pour fournir elle-même ses propres allocations ?

Si le monde finissait aux limites de la province de Québec, est-ce que les allocations familiales de­vraient appartenir au royaume des fées ?

Qu'est-ce qu'une impossibilité économique ?

Mais qu'est-ce qu'une impossibilité économique ?

Si l'économique signifie l'ensemble des activités qui ont pour but de mettre les biens de la terre au service des besoins humains, l'impossibilité écono­mique signifie l'incapacité de fournir les biens qui répondraient aux besoins.

Or, qui osera soutenir que la province de Québec est incapable de fournir les biens qui satisferaient les besoins de ses familles ? Si notre coin du monde pouvait faire vivre ceux qui l'habitaient il y a deux cents ans, comment ne pourrait-il plus faire vivre ceux qui l'habitent aujourd'hui ? Serait-ce parce que les champs ont remplacé les forêts, parce que les machines motorisées ont remplacé les instru­ments à bras ?

Ou serait-ce parce que la province de Québec est moins isolée ? Parce qu'il y a maintenant, dans la nation appelée Canada, huit autres provinces, elles-mêmes productrices ?

À qui fera-t-on croire que la province de Québec est incapable de fournir toute la nourriture néces­saire à ses familles, même nombreuses, quand les agriculteurs réclament des débouchés pour leurs produits en Angleterre, aux États-Unis, dans l'Amérique du Sud ? Et ainsi pour tous les autres produits.

La province de Québec agricole et industrielle peut certainement fournir plus qu'il faut pour les besoins de ses familles ; s'il y a certaines choses bien utiles qu'elle ne produit pas, elle a, par contre, des excédents à offrir aux autres pays pour avoir de ces autres pays les choses utiles dont ils ont des surplus.

Une impossibilité financière

C'est sans doute une "impossibilité financière" que voulait dire M. Godbout. Ce qu'il juge impos­sible à trouver dans la province de Québec, ce sont les 80 millions de piastres pour les allocations, et non pas les choses que ces 80 millions de piastres achèteraient.

Cela voudrait dire que la finance n'est pas d'accord avec les choses. De fait, chaque fois qu'un problème se lève dans les améliorations sociales, c'est toujours un problème de piastres, jamais un problème d'hommes ou de choses.

Demandez aux députés qui votent les crédits, s'ils discutent la possibilité de trouver le matériel et les bras nécessaires à l'exécution des projets, ou bien la possibilité de trouver les piastres pour payer.

Impossibilité financière ! On nous a rempli les oreilles de cette expression pendant dix années avant la guerre — non seulement au provincial, mais au fédéral, et dans tous les pays du monde. N'empêche que, aussitôt la guerre déclarée, il n'a plus jamais été question d'impossibilité financière pour ce qui regarde la conduite de la guerre. Et l'on sait si l'entreprise coûte des piastres.

Pourquoi l'impossibilité financière a-t-elle dis­paru ? Parce que la finance a été mise au pas des réalités, au pas de la production de guerre.

Comparez les budgets fédéraux d'aujourd'hui avec les budgets fédéraux d'avant-guerre. Vous trouverez que le gouvernement fédéral lève aujour­d'hui dans le pays, chaque année, plus de trois milliards de plus qu'avant la guerre.

S'il lève trois milliards de plus chaque année dans tout le Canada, il lève au moins un milliard de plus de la seule province de Québec. Or, un milliard, c'est 12 fois et demie 80 millions, c'est 12 fois et demie ce que M. Godbout déclare impossible à lever pour les allocations familiales.

Si Mackenzie King trouve ce milliard dans la province de Québec, pourquoi un gouvernement autonome n'y trouverait-il pas le douzième de cette somme ?

Autonomie financière à établir

Mais il faudrait pour cela que la finance soit mise au pas de la production, non seulement de guerre, mais de paix aussi bien, et que la province soit maîtresse chez elle.

Les mêmes jeunes gens qui se battent aujour­d'hui, les mêmes hommes qui travaillent aujour­d'hui dans les usines de guerre, pouvaient fort bien travailler à la production utile avant la guerre, au lieu d'être condamnés à battre les trottoirs, à cou­rir les chemins, à rôder de ville en ville, pour ne trouver que des portes fermées à cause d'une pro­duction restreinte, faute d'argent pour la payer.

Et ces hommes, et ces jeunes gens, c'est dans les provinces qu'ils sont, sur les fermes, dans les bois, dans les usines, dans les établissements de services, — et non pas dans le bureau du ministre fédéral des finances, ni dans les quartiers-généraux des maîtres de la piastre.

Si la finance était mise au pas de la production possible, dans notre province de Québec, il n'y aurait pas plus d'impossibilité financière à gratifier les familles d'allocations généreuses, qu'il n'y a d'impossibilité réelle à produire ce que ces alloca­tions achèteraient.

Ce serait moins difficile de financer le marché domestique, par des allocations bien placées, que de chercher des marchés étrangers, en âpre concur­rence avec d'autres pays, producteurs comme le nôtre, et comme le nôtre paralysés devant le man­que de pouvoir d'achat domestique.

Mettre la finance de la province au pas de la production de la province, et en faveur des con­sommateurs de la province : c'est tout un pro­gramme. C'est l'autonomie financière, la première condition de toute autre autonomie. Et ce n'est pas une impossibilité. On y travaille en Alberta. On pourrait y travailler avec beaucoup plus de succès encore dans la province de Québec. Les pages 4 et 5 du présent numéro fournissent une suggestion (Une finance qui produit des primes).

Louis Even

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